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Christian Masset, Ambassadeur de France en Italie : « Comprendre nos différences pour mieux faire vivre notre proximité »

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Sublime et sans demi-mesure. C’est depuis le Palais Farnèse que Paris dialogue avec Rome ; une résidence historique à l’image de notre relation avec l’Italie : admirable mais qui ne se laisse jamais totalement découvrir. Retour pour Forbes France depuis le Palais Farnèse à Rome avec Son Excellence Christian Masset, Ambassadeur en Italie depuis 6 ans, une durée exceptionnellement longue pour un diplomate.

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Portrait de Son Excellence Christian Masset © Ambassade de France à Rome

 

Pour commencer, pourriez-vous nous partager votre vision des relations franco-italiennes ?

Son Excellence Christian Masset : Dans les temps difficiles que nous traversons, le voisinage redevient un facteur de force. Nos histoires se sont croisées depuis des siècles, nous sommes héritiers d’une culture commune, nos économies sont imbriquées. Nous partageons des intérêts stratégiques, comme la Méditerranée. Pourtant, cette proximité s’accompagne d’un paradoxe : nous avons aussi de grandes différences. Nos deux pays se sont construits différemment. En France, l’Etat a précédé la Nation, en Italie c’est l’inverse. L’Italie est profondément polycentrique alors que la France est historiquement centralisée. Les grandes villes italiennes ont été des capitales, et s’en souviennent. Nos régimes constitutionnels fonctionnent différemment. Tout cela emporte des différences de sensibilité et d’approche. Nous croyons nous comprendre, mais en fait nous ne nous connaissons pas assez. 

 

En quoi un Italien et un Français appréhendent-ils la réalité différemment ?

S.E. Christian Masset : Il faut prendre garde à ne pas tomber dans les clichés. Mais mon expérience m’a enseigné que bien souvent en Italie, l’approche est plus pragmatique, et intègre davantage le cheminement historique et d’une certaine façon la diversité des situations. L’approche en France, de ce point de vue, se fonde davantage sur les concepts qui sont ensuite déclinés. L’ancrage géographique et historique pèse plus lourd en Italie. Ce sont des traits que j’ai notés en particulier lors des débats d’idées que nous organisons régulièrement ici (les dialogues du Farnèse). Un autre exemple qui m’a frappé : les séries policières à la télévision sont toujours identifiées à une ville ou une région (la Sicile pour le Commissaire Montalbano par exemple), alors que bien souvent en France, l’action a pour décor une ville qui n’est pas définie.  

Intérieur du Palais Farnèse, commandité par Alexandre Farnèse, futur pape Paul III © ChMantuano/Ambassade de France en Italie

 

Le traité du Quirinal signé le 26 novembre 2021 a redonné un nouveau souffle à la relation entre nos pays. Pourriez-vous nous donner plus de détails, notamment du point de vue de la coopération culturelle ?

S.E. Christian Masset : Ce traité constitue un tournant dans notre relation. Il offre un cadre à une relation déjà extrêmement dense et vivante, pour la rendre encore plus féconde.  Il s’agit de transformer nos convergences en actions communes. Par exemple, le plan de relance européen (le « Next Generation Eu ») mis en place en 2020 pour faire face à la pandémie, initiative prise avec l’Italie, montre que nos deux pays peuvent ensemble faire la différence. Le traité du Quirinal couvre tous les secteurs. Il vise à développer le « réflexe franco-italien » et développe les échanges et les projets : accélérateurs d’entreprises, soutien aux start-up, coopération militaire, projets dans l’industrie d’armement, participations communes à des projets technologiques européens, service civique franco-italien, coopération transfrontalière… . La culture tient une place particulière dans le traité, nos deux pays étant deux grandes puissances culturelles. Nous sommes dans ce domaine le premier partenaire l’un pour l’autre par exemple dans l’édition ou dans les coproductions cinématographiques.  Avec le traité, nous lançons un « Nouveau Grand Tour », en référence à celui que réalisait une partie de la jeunesse européenne au XVIIIème et au XIXème siècle.  Nous nous sommes concentrés sur la circulation des jeunes artistes dans un réseau étendu de résidences, tant en France qu’en Italie, avec une vocation européenne. Ce programme d’envergure promeut le dialogue culturel ainsi que les valeurs d’échange et de partage propres à notre Europe.  Symbole de notre proximité culturelle, la réception l’Académie française l’an dernier de Maurizio Serra, premier écrivain italien à entrer sous la coupole, au fauteuil de Simone Veil. C’était un moment particulièrement émouvant où l’on sentait une sorte de communion autour de tout ce qui nous lie dans notre héritage.

Entrée à l’Académie Française de Maurizio Serra le 1er avril 2022 ©Ambassade France en Italie

Comment a commencé votre relation avec l’Italie ?

Je suis venu à l’Italie par le cinéma, lorsqu’adolescent, j’ai découvert les grands cinéastes comme Vittorio De Sica, Federico Fellini, Luchino Visconti ou Ettore Scola. J’étais fasciné et cela m’a porté à vouloir connaître ce pays et parler sa langue.  Le 7ème art témoigne de la relation étroite entre nos deux pays : une part considérable de films de cette période sont des co-productions franco-italiennes, comme Rocco et ses frères, un chef-d’œuvre absolu. C’était comme si les acteurs et les cinéastes appartenaient à un même pays. Cette période peut revenir. Les coproductions se multiplient. En 2019, l’Italie était le premier territoire (en nombre de spectateurs) pour les films venus de l’hexagone, soit 9,5% des entrées des films français dans le monde.

 

 A quoi êtes-vous le plus attaché dans votre mission d’Ambassadeur ?

S.E. Christian Masset : Être ambassadeur, c’est comprendre pour agir. Il faut être à l’écoute et connaître le terrain pour être capable d’identifier là où les opportunités de coopération ou d’action se présentent et de savoir comment les mettre en œuvre. C’est un travail de traduction au sens où l’on doit éviter les « faux amis » et pouvoir parler à l’autre d’une façon qui évite les malentendus. C’est un travail de mise en contact, c’est aussi une aide à la prise de décision pour nos autorités.  Mon objectif c’est obtenir des résultats, et je ne peux que me féliciter lorsque je constate par exemple le dynamisme de nos échanges économiques en 2022, où nos échanges commerciaux dépasseront la barre des 100 milliards d’euros, soit une très forte augmentation par rapport au niveau pré-pandémie. Le développement de nos investissements croisés, et notamment des investissements italiens en France (+133 % en 5 ans) nous rend plus forts l’un et l’autre.

Inauguration du ‘Punto di Fuga’ de JR au Palais Farnese 21 juillet 2021 © ChMantuano/Ambassade de France en Italie

 

 Quelques mots sur ce lieu magnifique où nous nous trouvons pour réaliser cet entretien ?

S.E. Christian Masset : Le Palais Farnèse est l’un des joyaux du patrimoine romain. Michel Ange, qui y a travaillé comme architecte, lui a donné sa splendeur. Notre ambassade a la chance d’y avoir son siège depuis 1874. Il a été construit au XVIème siècle par un cardinal, Alexandre Farnèse, qui est devenu Pape. Son pontificat a marqué la Renaissance. Par héritage, il est devenu la résidence à Rome des rois des deux Sicile et de leurs ambassadeurs. Il a abrité aussi au XVIIème siècle Christine de Suède après son abdication. C’est un lieu chargé d’histoire, dont chaque pièce garde la mémoire et nourrit l’imaginaire. Le IIème Acte de la Tosca de Puccini s’y déroule.  Aujourd’hui, c’est un lieu de travail, de coopération, d’échange et toujours de création. Ainsi, dans le cadre de la grande campagne de restauration en cours, qui s’achèvera en 2025, nous invitons des artistes contemporains à revisiter le Palais à travers des créations originales. C’est ce qu’a réalisé JR sur la façade avec l’anamorphose « Punto di Fuga » qui recouvre l’échafaudage de la façade et qui connait un immense succès.

La Galerie des Carrache – © ChMantuano/Ambassade de France en Italie

 

Pour finir, auriez-vous un conseil de lecture pour notre lectorat afin de mieux appréhender l’Italie ?

Je pense au dernier discours public prononcé par André Gide à Naples en 1950 intitulé « Reconnaissance à l’Italie ». Parmi les nombreux auteurs italiens, Leonardo Sciascia qui a su si bien appréhender les dimensions politiques, territoriales, sociales et intellectuelles de l’Italie, me touche particulièrement, comme son « Candide ou un rêve fait en Sicile », par exemple, inspiré du Candide de Voltaire.

 

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