logo_blanc
Rechercher

Brexit. Thomas Roulet (King’s College) : « L’Article 50 Engendre Une Double Incertitude »

© KCL School

Enseignant-Chercheur en Sociologie Economique et Stratégie Internationale au King’s College, Thomas Roulet revient, pour Forbes France, sur les enjeux et les conséquences potentielles de l’activation, ce mercredi, de l’article 50 du Traité de Lisbonne, première étape « opérationnelle » du départ programmé du Royaume-Uni de l’Union européenne.

L’article 50 du traité de Lisbonne, activé ce jour, marque le début du « divorce » entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et, par extension, le début des négociations devant aboutir, sous deux ans, à la sortie de la Grande-Bretagne du giron européen. Pouvez-vous nous présenter, dans les grandes lignes, ce fameux article qui fait couler tant d’encre ?

L’article 50 est effectivement un des articles du traité de Lisbonne permettant à un pays membre de sortir de l’Union. Cet article couvre de manière lapidaire le processus de sortie – le pays doit notifier le Conseil Européen de son intention de départ, et se voit offert une période de deux ans pour négocier les conditions de sortie de l’Union mais aussi le cadre de la relation à venir. Les conditions de sortie incluent l’addition à payer pour les projets sur lesquels le Royaume Uni s’est engagé en tant que membre de l’Union Européenne, mais aussi la relocalisation des agences européennes présente sur le sol anglais – comme par exemple l’agence médicale européenne qui approuve les médicaments. Le Conseil Européen a été parfaitement clair sur le fait qu’aucune négociation ne pouvait avoir lieu sans cette notification prévue dans l’article 50. En plus d’être lapidaire, c’est la première fois que cet article est utilisé par un pays membre. Il y a donc une double incertitude. L’article laisse la porte entrouverte pour une extension des négociations au-delà de deux ans si nécessaire à la condition que le Conseil Européen soit unanime sur la question.

Que se passera-t-il si, au terme de ces deux années, aucun accord n’est trouvé, Theresa May répétant à l’envie qu’elle préférait « aucun accord » à un « mauvais accord » ?

Sur le plan des accords commerciaux, une absence d’accord signifierait un retour aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. En comparaison avec les conditions actuelles d’un Royaume Uni intégré à l’Union Européenne, cela renchérirait les produits britanniques exportés d’environ 7 milliards de dollars, d’après de récentes estimations des journalistes du Guardian. Les industries automobile et agro-alimentaire, particulièrement protégées par l’Union Européenne, seraient les premières à en pâtir. Le commerce britannique chuterait de 22% à 30% d’après les estimations du National Institute of Economic and Social Research.

Par effet de dominos, les marchés financiers sanctionneraient fortement cet échec des négociations. La valeur du pound chuterait encore plus par rapport aux tréfonds déjà atteints – peut-être même jusqu’à arriver à parité avec le dollar ?

De nombreuses industries seraient aussi directement affectées par un « saut dans le vide » sans accord. Les compagnies aériennes par exemple : quels seraient leurs accès aux aéroports européens ? Les banques basées à Londres perdraient leur « droit de passeport », ce qui entrainerait une désertion de la place britannique pour ce qui l’en resterait. L’industrie financière représente une part importante de l’économie – plus de 140 000 britanniques sont employés dans le secteur bancaire.

Comme vous le souligniez lors d’un précédent entretien, le gouvernement conservateur britannique a pris le parti de s’engager vers un « hard Brexit ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Les conservateurs britanniques au pouvoir ont vu le vote en faveur du Brexit comme un signal clair hostile à l’immigration et un retour à la souveraineté nationale – le programme de l’extrême droite, en somme. Theresa May, avant d’être premier ministre, était déjà sur une ligne très dure au sein de son parti et au gouvernement concernant l’immigration. Elle s’est entourée de personnalités partageant ses vues à la droite du parti conservateur comme Amber Rudd, la nouvelle ministre de l’intérieur.

Le gouvernement se sent donc investi d’un mandat sur l’immigration. Or, le refus de la libre circulation des personnes rend impossible l’adhésion au marché commun. Qui dit non au marché commun, dit nécessité d’un accord commercial qui sera nécessairement moins conciliant que les conditions du marché commun, et des produits britanniques qui seront donc plus chers à exporter. C’est ce qu’on appelle le « hard brexit », un accord qui nie les bienfaits économiques de l’appartenance à l’Union Européenne et qui est vu par beaucoup comme un acte de masochisme économique.

Le Labour Party, qui n’a fait campagne que mollement contre le Brexit, a promis de ne ratifier le deal de sortie – puisque le parlement britannique devra valider l’accord trouvé avec le Conseil Européen – si et seulement si le gouvernement conservateur obtient du Conseil Européen des conditions au moins aussi bonnes que celles du marché commun, or c’est impossible puisque ces conditions exigent aussi une libre circulation des personnes. En somme, la classe politique britannique dans son ensemble ou presque vend au public des conditions d’un accord qui tient plus du mirage que de la réalité.

L’Union européenne restera-t-elle « quoi qu’il arrive » le premier partenaire commercial du Royaume-Uni ? 

Oui, il est probable que l’Union Européenne reste le premier partenaire du Royaume Uni – les Etats-Unis ne vont pas prendre cette place d’un jour à l’autre comme Theresa May essaye de le vendre à ses électeurs.

L’incertitude va-t-elle faire provoquer une désaffection notable des investisseurs au point de mettre l’économie en péril ?

Imaginez : vous êtes le PDG d’une grande multinationale d’une économie émergente et vous souhaitez conquérir les marchés européens et l’Afrique du Nord. Ou allez-vous établir votre usine ou votre succursale ? Dans un pays dont on ne sait pas à quels tarifs douaniers il sera exposé à horizon deux ans ? Ou dans un pays membre de la zone euro qui a les meilleures conditions commerciales possibles avec ses voisins ? Dans un pays où il est impossible de prédire les conditions d’emploi de main d’œuvre étrangère ou dans un pays qui peut attirer les talents des quatre coins de l’Europe ? Sans compter les fluctuations erratiques du pound dues à l’incertitude des négociations et l’amateurisme du gouvernement conservateur. Le choix sera vite fait pour les investisseurs…

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC