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Temps Et Neurosciences : « Devenir Maître Des Horloges »

Décider d’en découdre avec « Father Time », le Dieu du Temps, c’est ce que Macron a annoncé en préambule de sa nomination, en déclarant vouloir devenir « le maître des horloges ». Dont acte. Dompter et maîtriser le temps, le rêve de chacun puisque « Il n’est rien de plus précieux que le temps puisque c’est le prix de l’éternité » Louis Bourdaloue. Très bel objectif ou irréaliste défi… Il est utile de s’interroger sur cette intention manifeste de se mesurer au Dieu Chronos et de se positionner en «Deus ex machina » pour mieux contrôler le cours de l’histoire et le parcours qu’il s’est choisi.

Chacun d’entre nous reste obnubilé par cette lutte contre le temps qui nous renvoie au mythe de Sisyphe. Comment se confronter jour après jour à l’accélération des rythmes, comment résister à une charge exponentielle, à un épuisement de ses ressources et surtout quelle réponse donner pour se confronter allègrement à sa relativité ? Vaste programme et colossal chantier.  Prenons le temps de nous pencher sur les deux obsessions de l’homme Dieu, puis examinons comment  apprivoiser ce temps qui file sous l’éclairage des  neurosciences.

Accélérer le temps pour rattraper les Dieux

Où s’arrêtera la quête de rapidité et la volonté d’en découdre avec le temps ? Les fibres optiques obligent les marchés à réagir à la nanoseconde en utilisant des systèmes toujours plus véloces et diligents. Depuis plus de 10 ans, « le courtage est entré dans une course de vitesse sidérante. (…) Nomura, dont l’une des spécialités est l’exécution des ordres passés par les clients à haute fréquence, se vante de réaliser une opération en un minimum de deux microsecondes, soit 0, 000005 secondes, c’est-à-dire 500 fois moins de temps qu’un battement de cils. (…) Chacun se bat pour contrôler les réseaux de fibres optiques et gagner quelques micro secondes, graal absolu car promesse d’un pouvoir surnaturel : prendre tous ses concurrents de vitesse.

L’exaflop succèdera au pétaflop c’est-à-dire à l’ordinateur le plus rapide au monde, qui atteint 16, 32 pétaflops et représente 400 000 fois la puissance de votre PC. Aujourd’hui l’homme veut construire une machine sachant traiter un milliard de milliard d’opérations de calculs par seconde. Ce chiffre nous donne le tournis et pourtant  ce supercalculateur s’annonce à l’horizon des années 2020 et détrônera la machine chinoise mise en service en 2013, Tianhe-2.

Ralentir les effets du temps et gagner l’immortalité

Trouver la jeunesse éternelle, et stopper les effets du temps, un autre chantier qui occupe plus d’un chercheur de la Silicon Valley avec un seul objectif : la mise à mort de la mort. Cette maîtrise sera ou ne sera pas, mais révolutionnera l’humanité. Certains y travaillent activement  sachant que celui qui détiendra ce secret là, considèrera  la vieillesse comme une maladie qui se combat, sachant aussi qu’à l’horizon 2020 « il y aura sur Terre plus de gens âgés de plus de 65 ans que d’enfants de moins de 5 ans ». C’est ce qu’affirme Elizabeth Paris, scientifique et PDG de l’entreprise BioViva USA Inc qui a réussi à rallonger ses télomères et affirme avoir rajeuni ses cellules de plus de 20 ans.

L’homme se fait démiurge, rêve d’auto régénérescence et se réinvente  dans une transhumanité fantasmagorique menée par les robots, les neurones artificiels, les circuits imprimés et entièrement dédiée à une quête de perfection empreinte d’eugénisme et désireuse d’immortalité.

Au-delà de ces travaux herculéens, nous sommes confrontés à notre réalité d’hominidé : un quotidien foisonnant et dévorant où nous devons rivaliser d’ingéniosité pour réorganiser nos opérations mentales sous la pression exponentielle du temps et sous la terreur du stress et du burn-out.

Comment suspendre notre temps ? Avant de s’inscrire « aux pressés anonymes », tordons le coup à quelques vieilles croyances qui nous freinent plus qu’elles ne nous entrainent.

Une certitude : numérique et digital favorisent la pollinisation des idées, l’essaimage de l’attention et bouleversent violemment  nos modes opératoires. Le XXIème siècle a fait l’homme Dieu en le dotant de nouveaux pouvoirs : le nomadisme, l’accès illimité à une information « open bar », le temps réel et l’effacement des distances… Pourtant, curieux paradoxe, nous sommes à la fois fascinés et excités par la vitesse, celle-là même qui nous tue à petit feu.

La maîtrise du temps
maîtriser son temps

1/ Reconquérir son acuité attentionnelle

L’ADT* (Syndrome de l’Attention Deficit Trait) fait rage et se nourrit de Ritaline. Zapper, papillonner, se repaître de faits, de nouvelles, se tenir en état de veille permanent, traiter les informations en continu et en simultané sur des écrans à lumière bleue, autant d’éléments qui nous égarent et parasitent nos esprits. Triste constat qui nous questionne sur la façon de fuir l’éparpillement et sur le moyen de se recâbler à soi-même au moment ou nous nous réfugions dans le Shift, Suppr, Echap.

  • Disséquer les mécanismes de la concentration

L’attention : une ressource à préserver pour ne pas faire imploser son cerveau. Elle est sélection et couplage entre activité cérébrale et un objet qui suscite un intérêt momentané. L’environnement producteur de stimuli, nous manipule à tout instant et instaure une interaction porteuse de  réponses ou de réactions en prise direct avec notre système de défense et notre prisme.

Cette rencontre fugitive se nomme « clignement attentionnel » ou « attentional blink » car il faut un laps de temps d’une demi-seconde à notre cerveau pour se mettre sur « arrêt » et intégrer l’objet de son désir, quitte à occulter d’autres informations, c’est le phénomène de l’arbre qui cache la forêt. L’attention est capture et sélection et  Michaël Posner, chercheur américain le nomme :  « projecteur attentionnel ».

Échapper aux différents stimuli est une opération compliquée car nos capteurs scannent  l’environnement avant de jeter leur dévolu sur ce qui a fait tilt. Ainsi il est difficile de conduire en limitant notre attention, tant les processus de connectivité en jeu sont de l’ordre de l’inconscient, sans oublier l’impact de la sphère émotionnelle. Une parade ? Comme les chevaux,  nous mettre des œillères pour limiter les distractions extérieures.

Certains stimuli capturent naturellement notre attention en fonction de nos préoccupations du moment, un chou à la crème si nous avons le bec sucré, un soda bien frais si nous avons soif, l’information sur le net qui nous intéresse si nous voulons faire du benchmarking. Il est donc illusoire de penser que nous décidons d’orienter notre attention en toute liberté. Les poly sollicitations sont à l’œuvre en permanence pour distraire notre système et égarer nos ressources. En résumé, nous ne sommes pas tout à fait maître de notre système attentionnel.

  • Dompter sa distractibilité

Selon un spécialiste en neurosciences cognitives, Jean-Philippe Lachaux, auteur du livre Le Cerveau attentif : contrôle, maîtrise et lâcher-prise, et contrairement aux idées reçues, les limites du cerveau ont peu évolué ces dernières années. Le multitâche est venu mettre à mal nos hémisphères cérébraux qui sont au bord de l’implosion. Pour s’en rendre compte il n’y a qu’à regarder les convives aux tables des restaurants, qui dans le même temps échangent, regardent leur smartphone et choisissent un plat sur le menu. Jean-Philippe Lachaux explique que « le multitâche : il y a le bon et le mauvais » et il nous dit que nous pourrions superposer des tâches automatiques sans problème à condition de nous méfier de la simultanéité de deux expériences demandant « un suivi précis de l’attention ou de la mémoire « , car c’est là qu’intervient un conflit cérébral.

La parade consiste à s’inscrire dans la monochronie, c’est-à-dire être mono tâche ou mono maniaque,  en s’obligeant à ne faire qu’une seule chose à la fois et en résistant à notre désir irrépressible de simultanéité.  Ressembler à Shiva est bon pour le moral puisque cela  donne l’illusion d’un super pouvoir, celui de la polychronie (faire plusieurs choses en même temps), cependant c’est une illusion. « Impossible » me direz-vous et pourtant c’est une des clés de notre concentration. Contrairement aux idées reçues, efficience, célérité et sérénité se gagnent dans l’ attention à l’instant et à sa cible visuelle.

Jean-Philippe Lachaux parle de « sens de l’équilibre attentionnel, c’est-à-dire chercher à se rééquilibrer en permanence » et cela passe par un tri drastique de l’information et par le développement de sa capacité d’analyse et de priorisation. La métaphore donnée par le  chercheur est l’image d’une personne marchant sur une poutre et qui chaque fois qu’il sent un déséquilibre, corrige sa posture. Pour pallier à la distraction, ajustons notre focale par accommodations successives. Il ajoute « Une des clés de la maîtrise de l’attention est de prendre conscience de ses facteurs de distraction et de revenir à l’objectif. » 

 Chronos  et Ananké ou le temps face à la nécessité impérieuse … (A suivre)

 

(1) Voir à ce sujet l’article « Comment échapper au burn-out et éviter de se laisser carboniser » paru sur le site forbes.fr

 

 

 

 

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