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Management | Roland Guinchard : « Faire la différence entre les vrais dangereux et les personnes en difficulté »

"En entreprise, faire la différence entre les vrais dangereux et les personnes en difficulté" Roland Guinchard« En entreprise, faire la différence entre les vrais dangereux et les personnes en difficulté » Roland Guinchard

Il suffit parfois d’une seule personnalité dite « difficile » dans une organisation pour que la vie au travail soit gâchée que la performance diminue, que le moral et la santé de toute une équipe soient affectés. Pour comprendre ce mécanisme, j’ai eu le plaisir d’échanger cette semaine avec Roland Guinchard, psychologue, psychanalyste, conférencier et auteur de l’ouvrage « Les personnalités difficiles ou dangereuses au travail ». 

Pour commencer, pourriez-vous nous donner un aperçu de votre livre et expliquer pourquoi vous avez choisi d’aborder cette question souvent tabou ?

 

Personnes difficiles ou dangereuses, personnes en difficulté ou simplement « décontenancées » et mal à l’aise, il faut pouvoir faire rapidement la différence. Au travail, face à des personnes dont les comportements apparaissent « un peu » décalés, étonnants, il est important de pouvoir situer, d’identifier ce qui se passe, d’évaluer le niveau des risques pour les personnes ou l’organisation afin de mettre en place des solutions à court et moyen/long terme.

 

Roland Guinchard : Les affaires dans le commerce, l’industrie, les services se font avec… des gens ! Très souvent positifs talentueux, sympathiques et engagés dans le monde du travail. Ils forment une grande majorité. Mais parfois ce n’est pas le cas. Alors les questions se posent : pourquoi ? de quoi s’agit-il ? est-ce de ma faute ? et surtout, comment faire pour que ça s’arrange ou du moins que cela ne s’aggrave pas ? puis-je changer quelque chose à cette situation ? dans quelle mesure ? Des centaines d’autres questions se posent encore… L’objectif de ce livre est d’éviter les pseudo solutions qui aggraveraient la situation, pour autoriser à trouver soi-même des solutions individuelles ou globales, managériales, intégrées au métier dans lequel chacun travaille.

Vous dites que les vrais dangereux sont assez rares en entreprise, que voulez vous dire par là ? 

Roland Guinchard.  C’est ce que permet ce livre : reconnaître, distinguer ces comportements, ne pas se tromper sur la nature difficile ou dangereuse de certains interlocuteurs, clients ou personnels. Ensuite on apprend à mettre en place des préventions individuelles puis collectives, ce que nous appelons le « workcare ». L’objectif est bien, face au problème et pour le résoudre, de préserver une ambiance de travail équilibrée qui ne fasse souffrir inutilement ni les personnes, ni les résultats !

Comment décririez-vous une « personnalité difficile » au travail ?

Attention, il faut distinguer les personnes juste décontenancées, troublées, les personnes en difficulté (en fait déprimées), les personnes difficiles (plutôt «caractérielles»), et les personnes dangereuses (malades imperceptibles car «pseudos adaptés»).

 

Roland Guinchard : Une personne difficile ce n’est pas seulement « l’autre » qui ne ferait pas comme nous… Trois grands critères la définissent : c’est quelqu’un dont le comportement semble inadapté… de façon répétitive sans qu’on puisse en connaitre les raisons… à tel point que cela devient gênant pour les autres et pour le fonctionnement de l’entreprise… et parfois pour la personne elle-même ! Pour les personnalités dites dangereuses la question est fondamentalement différente, puisqu’il s’agira là d’une pathologie psychiatrique, paranoïaque ou perverse, qui prendra toutes les apparences et les déguisements de la normalité, c’est une pseudo normalité qui masque quelque chose de réellement « tordu » et dangereux pour l’entreprise ou les personnes qui l’entourent.

Comment s’opère la distinction entre personnes difficiles et personnes en difficulté ? Quelle est la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis d’eux ?

Roland Guinchard : Le terme « en difficulté » désigne essentiellement les personnes qui vivent un état dépressif (qui n’est pas obligatoirement lié au travail, mais aura des conséquences sur ce dernier) ou les gens qui traversent un burn-out. Ce dernier point est illustré par un investissement incroyablement excessif au travail. Les deux questions sont liées, le point commun est la dépression explicite dans le premier cas, mal dissimulée sous l’excès de travail dans l’autre. Vis-à-vis de ces cas la responsabilité de l’entreprise consiste à se montrer concernée (non pas culpabilisée) et active (en sachant orienter, si possible avec l’aide du médecin du travail), vers des soins adaptés et un retour préparé.

YML – En m’intéressant aux commentaires sur la précédente édition, j’ai observé que votre ouvrage avait aidé beaucoup de salariés à mieux comprendre les motivations des personnalités difficiles. Pouvez-vous en dire plus à ce sujet ?

Pour tous les humains, l’angoisse est première, et toujours un peu présente (angoisse existentielle : quelque chose comme la peur mais sans savoir vraiment de quoi il s’agit). Pour les personnalités dites « difficiles », cette « peur inconsciente » est plus importante encore que pour la grande majorité.

Roland Guinchard.  Le fait d’éprouver TROP l’angoisse poussera une personne à exagérer l’utilisation d’une des trois réactions normales dont nous disposons ordinairement face à cette inquiétude. Cela se matérialise face aux autres : la parole, le sentiment, la relation, l’affectivité mais aussi face aux objets ou à la nature : le contrôle, la maîtrise, la connaissance, la méthode ou encore face au changement : la résistance, la protection, l’évitement, la fuite. Une personne dite difficile est donc quelqu’un qui – éprouvant cela TROP fort, sans vraiment le savoir, sera TROP dans la relation affective, ou TROP dans le contrôle, ou TROP dans la fuite. Mais au-delà de cette manie caractérielle, parfois exaspérante au travail, nous restons avec ces personnes dans la plus totale humanité relationnelle. La seule différence est dans le TROP d’affectivité, de contrôle, ou de pusillanimité. Cela se gère, au quotidien par la relation ou par des outils de workcare

 

Est-ce que vous considérez que les personnes sont plus difficiles que par le passé ? Peut-on y voir un lien avec le télétravail ?

Sincèrement, je ne crois pas que les personnalités difficiles soient plus nombreuses ou plus graves. La question a toujours existé, sans jamais être ni nommée, ni traitée cependant.

Roland Guinchard : En revanche, beaucoup plus de gens sont aujourd’hui plus inquiets et décontenancés. Comment les recruter plus facilement et les fidéliser davantage ? Face à leurs inquiétudes, l’assurance offerte par l’entreprise de proposer régulièrement la recherche d’un équilibre dans l’ambiance professionnelle (cf. les 7 points cités plus haut : discours, autorité, projet, etc..) est attirant pour les candidats et apaisant pour ces salariés. Quant au télétravail, il ne me paraît pas être à l’origine de l’apparition de difficultés particulières. Simplement le changement du type de lien et de mode relationnel qu’il représente peut faire apparaitre des caractéristiques jusque-là masquées par l’organisation classique, en « présentiel ».

Les cadres sont parfois tenus pour responsable des personnalités difficiles de l’organisation. Pouvez-vous donner quelques conseils pratiques dans de telles situations?

Pour ne pas être tenu entièrement responsable de la « panique relationnelle » dans son équipe face aux personnalités difficiles, un cadre un peu formé à ces aspects de la « psychologie professionnelle pratique », devrait surtout savoir par exemple que la clarté vaut bien mieux que la gentillesse.

Roland Guinchard. Je veux dire par là, non pas qu’il faut cesser toute « gentillesse », mais commencer par mettre tout son effort de management à clarifier sans cesse les règles et chercher à maintenir l’équilibre dans les 7 thèmes centraux que sont : la clarté du discours, la justesse de la hiérarchie, l’intérêt du projet, les conditions d’exercice, la relation l’exigence du management de proximité, l’intérêt du métier et le maintien du lien avec l’entreprise. On peut mesurer cela annuellement et rapidement. Le DUERP « Rps » s’en déduit naturellement et, de fait, les plans d’action et les modifications nécessaires peuvent se discuter et s’appliquer. Progressivement, en quelques mois, dans les équipes qui veulent mesurer ces aspects, les personnalités difficiles se calment et les éventuelles personnalités dangereuses cessent de sévir ou… partent.

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