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La Bêtise Ou La Théorie De L’Esprit Plat

La théorie de l'esprit platLa théorie de l’esprit plat

Etonnante nouvelle, Nick Chater, professeur en sciences du comportement à l’université de Warwik vient de découvrir que notre esprit n’est pas aussi profond que nous l’imaginons. La profondeur de notre intelligence ne serait qu’un mirage, puisque contrairement aux apparences elle serait d’une platitude à nulle autre pareille… et ressemblerait à de la bêtise…

Alors serions-nous tous bêtes ou faussement intelligents ? « Encore faut-il le savoir pour l’être moins » nous dit Thomas Cavaillé-Fol dans son article remarquable et passionnant : « Théorie de la bêtise : L’intelligence, n’est qu’une illusion. » (Sciences & Vie, août 2019). Arrêtons-nous un instant sur ce nouveau postulat pour évaluer ses incidences.

Nick Chater s’est employé à faire de nombreuses études en sciences cognitives afin de pointer les dysfonctionnements de la pensée, souligner ce qui détonne et ainsi contredire la vision d’un esprit profond. Il nous dit en particulier « …Les très nombreux biais cognitifs, les phénomènes comme l’illusion du choix, la création des sentiments a posteriori, ainsi que la faiblesse de notre perception sont pour moi des signaux… » preuves de l’esprit plat et de la bêtise.

La « théorie de l’esprit plat » révolutionne nos certitudes sur l’intelligence. Quel crédit accorder au nouveau credo de Nick Chater et à son travail lorsqu’il annonce dans son ouvrage « The mind is flat », traduit sous le titre « Et si le cerveau était bête ? », éd. Plon, 2018, : « L’esprit n’est pas profond, il n’existe pas de moi intérieur, ni de subconscient ou d’inconscient ». Une affirmation renversante, à ce jour non démentie par la communauté scientifique, et validée par bon nombre de ses pairs.

L’esprit ne puiserait nullement sa nourriture informationnelle au cœur des abysses de la psyché mais se sustenterait des éléments gravitant autour de lui en se connectant à des vitesses vertigineuses de l’ordre du pétaFlops, autant dire une capacité d’interprétation d’une puissance phénoménale. À titre comparatif, notre cerveau serait l’équivalent de 10 processeurs de 100 gigaFlops chacun et il faudrait une puissance 10 fois supérieure pour recréer artificiellement la plasticité de nos synapses.

Interpréter à la volée, en surface et dans l’instant : une habileté cérébrale jamais égalée car selon une étude américaine, reprise par Science & Vie, il faudrait 40 minutes à l’ordinateur le plus puissant du monde pour décoder une seconde d’environ 1% de notre activité cérébrale. C’est cette surpuissance qui serait à l’origine de l’illusion de la profondeur de nos pensées.

Cette théorie ambitieuse et iconoclaste bouleverse nos connaissances en neurosciences, chamboule nos croyances sur l’intelligence et appelle à revisiter l’inconscient, notre identité et l’usage des thérapies cognitives…

Au pilori l’illusion introspective

Les recherches en psychologie et neurologie démontrent depuis quelques années que nos pensées, notre libre arbitre, notre imagination ne seraient que des constructions mentales. Selon Adam Bear, psychologue à Harvard, nous passerions notre temps à nous raconter des histoires et à justifier nos choix à posteriori avec de fausses bonnes raisons, pour écrire une cohérence, ce qui limiterait notre capacité d’introspection, c’est  là que réside la bêtise.

Inutile de nous persuader que nos valeurs morales, nos jugements et nos goûts sont profondément ancrés, alors qu’ils se distinguent par leur volatilité. Notre Moi profond n’existe pas, il se cantonne à la surface, et virevolterait comme une girouette. Nous tiendrions enfin l’explication des retournements de veste en politique…

Au pilori le mirage de la perception

La perception parfaite est une illusion : notre acuité attentionnelle est continuellement parasitée. Pour preuve les effets d’optique, qui  leurrent nos sens et manipulent notre vision du monde. Notre mémoire fragile et flexible serait falsifiée par nos biais cognitifs et notre besoin de vraisemblance.

Le test de l’attention qui consiste à fixer pendant plusieurs secondes une image colorée, nous montre qu’après quelques instants nous voyons ces mêmes couleurs s’effacer et l’image devenir entièrement grise. Cet effet illustre notre mode perceptif et nous montre que lorsque nous ne sommes pas attentifs, ce qui n’est pas considéré comme important est évacué et disparaît de l’esprit.

Alors, la conscience des choses se limiterait-elle à notre attention ? L’illusion perceptive induirait des comportements proches de la bêtise avec les phénomènes de surconfiance, de surfocalisation et de surinterprétation. « Nous pensons voir beaucoup plus que ce que nous voyons en réalité … mais nous surestimons en plus nos capacités et nos connaissances ! » nous dit encore Thomas Cavaillé-Fol, et moins nous avons de données plus nous les interprétons et plus nous nous confortons et faisons confiance à notre expertise : comble de la bêtise.

Cette nouvelle théorie induirait que le superficiel prime sur la profondeur et que l’instantanéité prend le pas sur les ancrages.

Notre subconscient n’existerait pas, et ne serait « qu’une illusion générée par la formidable puissance du cerveau. » Pour Nick Chater, notre quête identitaire à la recherche de « notre moi profond » est une bêtise. Le moi ne serait pas l’entité archaïque et fondatrice de la psyché, mais une construction cérébrale née d’adaptations fulgurantes aux stimuli. 

Notre identité ne serait que plasticité et malléabilité, et nos 3 instances : le Ça, le Moi et le Surmoi, des chimères suggestibles en proie à des réaménagements interprétatifs, à mille lieux de l’immuabilité que nous leur accordons. Thomas Cavaillé-fol fait référence à Giuliana Mazzoni, professeur de psychologie à l’université Sapienza de Rome qui confirme d’une part, que « l’expérience présente modifie aussi notre mémoire » et que d’autre part que « c’est bien cette communication flexible entre notre mémoire et la situation actuelle qui crée ce sentiment de cohérence du Soi ». Cette impression est une tromperie provoquée par des élaborations successives, des « quick and think » édifiants à la vitesse de l’éclair.

La supercherie de l’intelligence issue des profondeurs,  nous dupe, nous abuse, nous fait prendre des vessies pour des lanternes, et la platitude pour une savante construction.

Notre esprit ne serait qu’un accélérateur de particules, un compositeur génial qui orchestrerait, idées,  réminiscences  dans une partition superficielle.  Alors platitude ou profondeur, bêtise ou intelligence ? Fausse cohérence ou véritable identité ?

Références : 

Science & Vie n°1223, août 2019

Nick Chater, « Et si le cerveau était bête ? éd. Plon, 2018

Thomas Cavaillé-Fol, journaliste scientifique chez Science & Vie

 

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