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Holacracy : Une Fin Ou Un Point De Départ ?

Source : Gettyimages

Christiane Seuhs-Schoeller et ses partenaires ont uni leurs forces au sein de « Evolution at Work » avec l’objectif de soutenir les individus et les organisations sur le chemin de la transformation vers l’auto-organisation.

Il y a 12 ans, Christiane était consultante en organisation et management, coach en développement du leadership. Son travail perd son sens lorsqu’elle réalise que l’organisation écrase tout sous son propre poids, qu’elle devient souvent dysfonctionnelle, et que les personnes qu’elle conseille ne savent finalement pas faire la différence entre l’avant et l’après… C’était assez déprimant. Il devait y avoir un autre moyen, une autre façon de travailler ensemble.

Elle étudie alors de près la Sociocratie, puis Holacracy. C’est un long chemin d’apprentissage. Puis un jour, elle a un choix à faire : embrasser totalement ce nouvel état d’esprit ou essayer de faire le lien entre l’ancien monde et le nouveau ? Elle décide alors de lâcher l’ancien, de s’immerger dans l’Holacracy et devient l’une des premières personnes à l’introduire en Europe.

Le transfert du pouvoir est la clé

Quelles sont les caractéristiques des nouveaux modes de gouvernance ?
Le « transfert du pouvoir » est la clé, selon Christiane Seuhs-Schoeller, de la gouvernance auto-organisée. Le « power shift » signifie la distribution de l’autorité, du leadership et de la raison d’être. La conséquence naturelle est une gouvernance distribuée qui détourne la dynamique de pouvoir pour la mettre au service de la raison d’être de l’organisation.
Le changement d’appréhension du pouvoir et le fait d’y faire face d’une manière totalement nouvelle pose un défi à de nombreux dirigeants qui ont l’habitude de travailler dans des cadres hiérarchiques conventionnels. « Notre monde évolue vers un nouveau niveau de conscience, nous passons du pouvoir sur (les autres) au pouvoir avec (les autres) ».
Lorsque nous voulons réaliser quelque chose, nous, les humains, commençons automatiquement à nous organiser. Nous avons besoin de structure pour pouvoir travailler ensemble. L’auto-organisation avec son système d’autorité distribuée est un levier important pour faire passer ce changement collectif de conscience du « pouvoir sur » au « pouvoir avec ». L’Holacracy, jusqu’à aujourd’hui, est encore la seule pratique organisationnelle qui distribue pleinement l’autorité et la prise de décision. Avec son jeu de règles claires, la Constitution d’Holacracy veille à ce que les mêmes règles s’appliquent à tous, ce qui garantit une distribution et une décentralisation complètes.
Après dix ans de pratique, Christiane Seuhs-Schoeller ne se voit plus travailler différemment. Tout mode d’organisation basé sur une hiérarchie de pouvoir lui paraîtrait malsain et dysfonctionnel.

Différencier le personnel de l’organisation

Un aspect essentiel et souvent sous-estimé dans le processus de transformation de la gouvernance en un système auto-organisé est le développement personnel. Sortir de la dépendance et entrer dans l’autonomie, passer d’un système de commandement descendant à un système de transparence, lâcher le « prévoir et contrôler » pour adopter le « ressentir et réagir » – tout cela déclenche d’énormes besoins et opportunités d’apprentissage et de développement pour les personnes et collectifs évoluant vers ce nouveau paradigme.
Il est beaucoup plus difficile de changer l’état d’esprit, les comportements et les cartes mentales des personnes que de modifier la pratique organisationnelle elle-même.
Vous pouvez apprendre des règles, les appliquer mécaniquement comme un robot, mais la pratique d’Holacracy exige une évolution psychologique, des changements personnels. C’est un grand saut pour tout le monde jusqu’à ce qu’ « être efficient ensemble » devienne possible.
Christiane Seuhs-Schoeller mentionne le cas d’une petite entreprise sociale, dédiée à l’initiation financière, qui l’a invitée à soutenir son cheminement vers l’auto-organisation.
Connaissant la difficulté qu’un tel cheminement peut évoquer, elle propose, parallèlement à la mise en œuvre d’Holacracy, d’utiliser le « langage des espaces », un cadre de travail développant les capacités nécessaires au passage à l’auto-organisation. Ce cadre propose des méthodes pour comprendre et pratiquer la différenciation entre les personnes et l’organisation, entre les tensions personnelles et les tensions organisationnelles, et pour intégrer les résultats dans les mentalités et les comportements. Comme pour d’autres organisations auparavant, ce travail parallèle a permis d’équilibrer les frustrations qui surgissent presque inévitablement lors de ce type de changement.
L’Holacracy exige la différenciation du « rôle et de l’âme » et offre un ensemble de règles et de pratiques claires pour les « rôles », pour la structuration du travail de l’organisation. Mais – de par sa conception – Holacracy n’offre aucune solution pour les personnes, le système social. Si le système social ne se développe pas d’une manière compatible avec le système organisationnel, le résultat peut être vraiment néfaste.

Le transfert du pouvoir comme principe fondamental

Un autre exemple concerne une entreprise de 500 à 600 personnes, qui s’était lancée dans l’aventure de l’Holacracy, mais qui a rapidement échoué principalement du fait du système d’autorité et de gouvernance distribuées.
Le transfert du pouvoir commence dans l’esprit du détenteur du pouvoir, qui prend la décision de le distribuer et – tout aussi important – dans l’esprit de tous les autres. Même lorsque l’ancien détenteur du pouvoir cède son pouvoir par le système d’autorité distribuée de l’Holacracy, cela ne fonctionne que si, en même temps, tous les autres prennent le relais et « prennent » le pouvoir.
La subtilité est de comprendre qu’il ne s’agit pas de « lâcher » le pouvoir, mais d’inviter tout le monde à entrer dans son pouvoir authentique, afin que l’efficience  collective – le « pouvoir avec » – devienne possible.
Le transfert du pouvoir peut être effrayant et crée souvent beaucoup de peur. La peur de perdre le pouvoir, de se sentir impuissant et la peur de la responsabilité qui vient avec le pouvoir. La peur trouve sa source dans notre système social, notre éducation. Les familles, les écoles, les églises, les clubs sportifs… les systèmes qui nous éduquent ne nous apprennent pas à voir le pouvoir comme une responsabilité partagée. La société nous fait croire que certains sont nés pour être plus puissants que d’autres. Les gens grandissent en pensant qu’ils sont nés leaders ou non, et lorsque cette croyance est remise en question, la peur de gagner du pouvoir ou de devoir l’abandonner surgit. Surmonter ces craintes est une partie importante du cheminement personnel vers l’auto-organisation.

L’autogestion pour l’auto-organisation

Ce sont deux notions, souvent considérées comme similaires, qui sont en fait très différentes.
L’auto-organisation est le plus ancien principe existant. C’est le principe évolutif de l’univers. Depuis le début des temps, l’univers a évolué en s’auto-organisant. Le développement évolutif se fait selon des principes d’auto-organisation. Les forces motrices de l’évolution sont les tensions – l’énergie qui circule d’une réalité actuelle vers un futur désiré. Là où il n’y a pas de tension, il n’y a pas de vie. Tout système organique évolue en résolvant ses tensions par une adaptation dynamique et auto-organisée à son environnement changeant.
L’autogestion, par contre, est tout ce que nous faisons pour nous gérer nous-mêmes : gérer notre temps, notre santé, notre spiritualité… et nous utilisons différents outils pour ce faire. Holacracy, disons le, est un outil, une pratique d’autogestion pour une organisation, basée sur des principes d’auto-organisation. Les personnes qui pratiquent Holacracy, en raison de l’autonomie, du dynamisme et de la transparence qu’elle requiert, ont besoin de bonnes compétences d’autogestion pour travailler avec les outils (règles et processus) permettant de travailler avec des rôles.

Holacracy, une mécanique froide?

L’Holacracy ne gère pas les émotions, ni n’organise le débat d’opinions de différentes personnes pour obtenir un consensus. Il s’agit d’un ensemble de règles permettant la structuration organisationnelle et la prise de décision. L’Holacracy gère les rôles de chacun, et non leur « âme » ; elle régit l’organisation, et non les personnes. Par ce biais, elle s’assure que l’organisation peut pleinement servir sa raison d’être, en distribuant l’autorité dans toutes ses parties. C’est un cadre et un ensemble de règles qui, dans leur conception, protègent la prise de décision des émotions des individus et de leurs relations. Dans une hiérarchie de pouvoir conventionnelle, les individus utilisent leur pouvoir, leurs relations et leurs émotions pour convaincre, faire avancer un projet, gravir les échelons …. cela ne fonctionne pas en Holacracy, parce que cela n’est pas nécessaire dans l’auto-organisation. Le système dans son ensemble devient clair et transparent quant à la répartition des pouvoirs, et cela peut évoluer et être adapté à tout moment.

L’Holacracy va-t-elle prévaloir?

La question est de savoir si la hiérarchie de pouvoir ou les nouveaux systèmes d’autorité distribuée prévaudront ; seul le temps nous le dira. La question vraiment importante ici est d’identifier quel système servira le mieux les personnes et la planète de manière égale, pour trouver des solutions aux immenses défis mondiaux auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui.
Depuis longtemps, notre économie vit avec l’idée de toujours plus de croissance et de richesse, mais il devient évident que cela n’est plus tangible. Notre mode d’organisation hiérarchique a été extrêmement efficace dans le passé pour créer cette croissance en constante accélération. Elle a également conduit l’humanité à créer un monde dont le niveau de complexité dépasse les systèmes qui le créent. La hiérarchie de pouvoir a dépassé son utilité, car parallèlement à son succès, elle  créé des problèmes d’une ampleur considérable et nous savons que ceux-ci ne peuvent être résolus par la même logique qui les a créés. Il est nécessaire de transformer la façon dont nous organisons notre vie en général face à des problèmes comme la crise climatique, le fossé entre les riches et les pauvres et toutes ses conséquences sociales, pour ne citer que deux des questions brûlantes de l’humanité.
Changer notre compréhension du pouvoir, et sur cette base, créer de nouveaux modes d’organisation, afin que nous puissions tous être efficients ensemble, est une dimension cruciale de cette transformation. Dans 30 ans, peut-être dans 100 ans… « La hiérarchie de pouvoir telle que nous la connaissons aujourd’hui aura fait face au même destin que les dinosaures. »
Holacracy est une méthode de « précurseurs » et, si l’on observe l’ensemble des entreprises au niveau mondial, certes, encore peu répandue, mais son impact sur le changement en cours est considérable. Utilisée quotidiennement par un nombre croissant d’entreprises, elle en inspire beaucoup d’autres. L’Holacracy va évoluer, mais elle ne disparaîtra pas! Jusqu’à aujourd’hui, c’est la pratique la mieux définie pour l’auto-organisation du travail au service de la raison d’être. Elle apporte la clarté et la transparence nécessaires pour accompagner le changement induit par l’auto-organisation. Le fait que de grandes entreprises telles que Danone et Castorama la testent est très encourageant.

Un pas vers la suite?

Au terme d’une décennie d’expérience dans l’auto-organisation, Christiane peut dire que l’Holacracy fonctionne comme un « catalyseur de développement ». Elle remet en cause les systèmes organisationnels et les personnes de manière égale et les engage sur le chemin du développement. Pour autant, comme mentionné précédemment, elle n’apporte des réponses que sous forme de pratiques pour l’organisation. « Ce que nous avons vu depuis des années désormais, c’est la nécessité de fournir le cadre nécessaire pour qu’un tel parcours de développement puisse amener en toute sécurité vers ce nouveau niveau de conscience qu’exige l’auto-organisation ».
C’est ce qu’est le « Langage des Espaces ». Il propose des pratiques aux personnes et organisations (avec Holacracy ou d’autres pratiques d’auto-organisation) leur permettant de grandir en symbiose par l’auto-organisation. Il crée les espaces permettant à chacun de se mettre en chemin en toute sécurité psychologique.

Avec l’Holacracy, le « Langage des Espaces », et d’autres voies d’auto-organisation, l’humanité dans son ensemble n’en est encore qu’au tout début de ce voyage évolutif. Christiane Seuhs-Schoeller espère que d’autres modèles et méthodes suivront afin de soutenir et d’accélérer les changements dont le monde a si urgemment besoin : un changement dans la manière dont le pouvoir est utilisé au service des personnes et de la planète, pour la conscience et la protection de l’environnement et la justice sociale.

Cette interview, réalisée par Luc Bretones, organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit” avec HolaspiritMaif, Manpower et OCTO Technology, et président de l’Institut G9+, est extraite d’un livre en préparation sur les dirigeants de 30 pays ayant mis en œuvre de nouvelles formes de gouvernance, ré-engagé leurs forces vives autour d’une raison d’être fédératrice ou encore expérimenté  une innovation managériale majeure.

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