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Le traquenard de la comparaison sociale numérique

OPINION // De récentes études ont révélé que certains réseaux sociaux pouvaient avoir un impact très néfaste sur les plus jeunes, en raison de leurs mécanismes alimentant la comparaison avec une réalité idéalisée. Faut-il en déduire pour autant que toute comparaison est mauvaise ? Pas sûr. Voici quelques éléments pour éviter de tomber dans le piège de la comparaison sociale numérique et tirer le meilleur de l’expérience d’autrui.
Par Peter Saba
, Directeur du master « Management des Systèmes d’Information et des Datas » à l’EMLV, Paris La Défense


« Arrête de te comparer ! » Cette injonction est fréquente, car chacun d’entre nous a déjà fait la désagréable expérience des comparaisons abusives avec autrui. Nous connaissons tous le sentiment déchirant qui survient lorsque nous voyons ou entendons quelque chose sur les réseaux sociaux qui nous fait immédiatement remettre en question notre apparence, notre personnalité ou nos compétences. Et si le problème ne venait pas de la comparaison en soi, mais plutôt de la façon dont nous nous comparons ? Car en réalité, cesser de se comparer est tout simplement impossible. Nous cherchons constamment à nous définir comme étant distincts ou similaires aux autres, selon la théorie de la comparaison sociale. Cette dernière a été présentée pour la première fois en 1954 par le psychologue américain Leon Festinger, qui a émis l’hypothèse que nous faisons des comparaisons pour nous évaluer. À sa racine, l’impulsion est liée aux jugements instantanés que nous portons sur les autres – un élément clé du réseau de cognition sociale du cerveau qui peut être attribué au besoin évolutif de se protéger et d’évaluer les menaces.

 

Selon une recherche de Thomas Mussweiler, professeur de comportement organisationnel à la London Business School, nous rapportons inévitablement les informations sur les autres à nous-mêmes.

 

Les humains naissent avec la tendance à se comparer aux autres afin d’évaluer leurs statuts et leurs capacités. L’émergence des réseaux sociaux renforce cette tendance, car ils affichent un tsunami d’informations personnelles qui peuvent être une puissante source de comparaison sociale. La famille d’applications de Facebook (Facebook, Instagram, Messenger, et/ou WhatsApp) compte en effet désormais plus de 3,5 milliards d’utilisateurs actifs par mois. Ces utilisateurs passent beaucoup de temps connectés (un peu plus de 2 heures par jour en moyenne), poussés par leur besoin fondamental de connexion sociale. Les utilisateurs des réseaux sociaux sont exposés à une très grande quantité de profils, qui sont autant de sources de comparaison. Mais ce n’est pas tout. Sur les réseaux sociaux, de façon beaucoup plus marquée que dans la « vraie vie », les personnes tendent à ne montrer que ce qui les met à leur avantage. Ce qui ressort le plus souvent est bien une image éloignée de la réalité, qui est généralement beaucoup plus nuancée. Mais la mise en scène excessive de la réussite sous tous ses aspects peut avoir des effets délétères sur la santé mentale de certains.

A titre d’exemple, le mois dernier, Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, a déclaré que le géant californien avait caché des études montrant que la fréquentation de sa filiale Instagram avait des conséquences négatives sur une partie non négligeable de ses jeunes utilisateurs. D’après ces recherches menées sur trois ans par le géant californien, la fréquentation d’Instagram et de sa vision idéalisée des corps serait notamment susceptible de renforcer le mal-être d’un quart des jeunes adolescentes britanniques. Selon les révélations du Wall Street Journal sur le sujet, les chercheurs à l’origine de ces études auraient formulé des recommandations pour atténuer les effets néfastes d’Instagram, qui ont été accueillies avec scepticisme. Et pour cause. Selon un message interne d’un responsable de ce réseau social, cité par le quotidien américain, l’essence même de l’application réside dans la comparaison sociale : « Les gens utilisent Instagram parce que c’est une compétition. C’est cela qui est amusant. »

Selon une recherche de Thomas Mussweiler, professeur de comportement organisationnel à la London Business School, nous rapportons inévitablement les informations sur les autres à nous-mêmes. C’est l’un des moyens les plus élémentaires de développer une compréhension de qui nous sommes, de ce dans quoi nous sommes bons et de ce pour quoi nous ne sommes pas si bons. Cela se produit non seulement de manière stratégique, mais aussi spontanément et automatiquement chaque fois que nous sommes confrontés aux autres.

Par conséquent, la santé mentale des personnes sujettes aux comparaisons négatives peut en être sérieusement compromise. Cela est d’autant plus accentué lorsque nous dépendons des autres pour améliorer notre estime de soi, car nous ne sentirons pas bien que si nous obtenons des commentaires positifs des autres, au risque de tomber en dépression, selon Mitch Prinstein, professeur en psychologie à l’Université de Caroline du Nord. Puisque la comparaison est une impulsion humaine fondamentale, il n’y a vraiment pas de solution miracle pour l’estomper complètement. Ainsi, ceux qui sont incertains de leur valeur personnelle, qui n’ont pas de normes internes claires, s’engageront dans des comparaisons sociales plus fréquentes. Malheureusement, les recherches ont montré que cette volonté même de s’évaluer est ce qui est problématique, en ce qu’elle tend à mettre en place un cycle de comparaisons de plus en plus fréquentes. Cela conduit la personne à être dépendante de ces comparaisons permanentes et à répondre à des normes externes pour renouveler un sentiment de bien-être. Conséquence : ce cycle entraîne une frustration récurrente et une baisse constante du bien-être, pourtant.

 

La comparaison sociale est le propre de l’homme, et à l’ère du digital, il est normal que celle-ci se transpose dans la sphère numérique, tout particulièrement sur les réseaux sociaux.

 

En comprenant mieux les origines de la comparaison sociale, ses mécanismes et les éléments clés à surveiller, nous pourrons peut-être contourner ses effets négatifs, car c’est finalement la façon dont nous utilisons les réseaux sociaux qui a le plus d’influence sur ce que nous ressentons. Voici quelques conseils pour échapper au piège de la comparaison sociale numérique :

  • Se comparer pour s’améliorer

Même si nous adoptons un comportement sain sur les réseaux sociaux, la comparaison reste inévitable en tant qu’humains, et il est important de se rappeler que ce n’est pas nécessairement mauvais. Lorsque des individus se comparent aux autres pour mesurer leur développement personnel ou pour se motiver à s’améliorer et, ce faisant, développer une image de soi plus positive, les comparaisons peuvent être bénéfiques. Il faut cependant de la discipline pour éviter les pièges de la comparaison, en se comparant à des personnes « pires » que nous ou bien extrêmement mieux que nous. En effet, accepter que nous ne sommes pas bons dans quelque chose peut être particulièrement utile.

  • Choisir avec qui se comparer

L’un des enjeux de la théorie de la comparaison sociale est de décider à qui on va se comparer. Lorsque nous voulons nous améliorer, nous pouvons nous comparer à des personnes à peu près similaires à nous mais plus performantes dans un trait ou un autre. Cela pourrait nous encourager à nous concentrer sur des talents qui sont plus directement à notre portée.

  • Se connecter au lieu de se comparer

Si l’angoisse fait suite à l’implication dans les médias sociaux, il faudrait savoir que la vie affichée et extérieure d’un autre n’a rien avoir avec la connaissance intime de sa vie réelle. Pour nous aider à nous renouer avec la réalité, limiter le temps sur les réseaux sociaux nous sera certes utile, mais le plus important serait de savoir comment passer du temps sur ces réseaux. Il peut être intéressant d’explorer les connections dont nous disposons sur notre réseau : c’est-à-dire de vraies personnes sur lesquelles on peut compter pour un soutien émotionnel ou autre lorsque cela est nécessaire.

La comparaison sociale est le propre de l’homme, et à l’ère du digital, il est normal que celle-ci se transpose dans la sphère numérique, tout particulièrement sur les réseaux sociaux. La profusion de profils et l’embellissement de la réalité proposés sur ces plateformes, notamment certaines, peuvent toutefois avoir des effets négatifs, voire néfastes, sur notre santé mentale. Plutôt que de chercher à se débarrasser de la volonté de comparer, ce qui est quasiment impossible, apprenons à rendre ces comparaisons saines et utiles : en donnant un but à celles-ci, en choisissant mieux les sujets de comparaison et en cherchant à nouer des relations sincères avec ceux que nous regardons parfois avec envie.

 


Par Peter Saba, Directeur du master « Management des Systèmes d’Information et des Datas » à l’EMLV, Paris La Défense

 

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