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« A table ! », une exposition qui nous donne envie de rêver de convivialité

Avec pour ambassadeur le pâtissier Pierre Hermé, la superbe exposition proposée par le musée de Sèvres n’attend plus que l’autorisation de passer “à Table !” pour ravir les visiteurs. En la parcourant, chacun se rêvera en convive partageant les plus belles tables au fil des siècles grâce à une scénographie très réussie signée Jean-Paul Camargo.
Suivons donc Anaïs Boucher et Viviane Mesqui, conservatrices au Musée national de Sèvres pour une visite en avant-première de cette importante exposition qui retrace l’histoire de la gastronomie et des arts de la table à travers quelques 1000 beaux objets provenant des collections du Musée National de la Céramique de Sèvres et de prêts d’institutions prestigieuses ou de grandes maisons françaises tels Saint-Louis ou Christofle.
 
A table ! Le repas tout un art – © Nicolas Buffe

Imaginée et préparée tout au long de l’année 2020, cette exposition fête aussi, et de brillante manière, le 10ème anniversaire du classement par l’UNESCO du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l’humanité. La France symbolise aux yeux du monde entier ce pays où les habitants aiment se réunir tout au long de leur vie autour de tables joliment dressées pour pratiquer l’art de la conversation et de la bonne chère.
Cette esthétisation du repas ne concerne pas que les classes les plus aisées où les restaurants étoilés mais fait partie d’un réel art de vivre “ à la française” et c’est bien le sens de cette reconnaissance.

Prenant place au dernier étage du musée de Sèvres, l’exposition commence par une mise en bouche avec un panorama des créations d’assiettes en porcelaine de Sèvres ou en faïence de différents époques ; car l’exposition est conçue comme un menu avec plusieurs services. On y trouve aussi des entremets avec des mini-présentations, par exemple sur les condiments, les épices, le thé ou le café, qui interviennent comme des respirations entre deux séquences importantes.
A chaque service correspond une époque qui, de siècle en siècle, passe en revue l’évolution des manières de table, des goûts et des savoir-faire développés pour offrir le plus bel écrin à la gastronomie comme à l’art de la conversation autour d’un repas.

Bassins et aiguières en faïence de Nevers pour une collation Grand Siècle.
 

L’histoire nous intrigue dès le Moyen-âge avec ses festins qui se caractérisent par l’apparition du service à la française. Il consiste en une succession de moments au cours desquels sont apportés de nombreux plats. Les mets sont servis sur une tranche de pain appelée tranchoir. Les convives mangent avec leurs doigts mais l’hygiène est importante avec abondance d’aiguières et de bassins destinés à se rincer souvent les mains.
Les salières, spectaculaires et décoratives, trônent car elles constituent souvent la pièce la plus remarquable de la table, témoignant de la rareté et de la préciosité du poivre, du sel et des épices.

A la Renaissance comme au Moyen-Âge, l’abondance des mets concerne surtout les élites et si le tranchoir commence à faire partie du passé tandis que l’assiette fait son apparition, les objets présents sur la table sont encore dépareillés. Quant à l’ancêtre de la fourchette, la légende voulant qu’elle soit apparue à la Cour de France dans le sillage de Catherine de Médicis n’a rien de vrai ; elle existait déjà au Moyen-Âge, mais rien à voir avec notre vision contemporaine pour ce couvert : il s’agissait d’une pique à deux dents bien utile pour choisir le morceau dans le plat. A l’époque, il est encore très excentrique de s’en servir pour porter les morceaux à la bouche.

Au XVII ème siècle la table est joyeuse et nomade – Tableau: Les femmes à table en l’absence de leurs maris, Bosse Abraham (1602-1676) – © RMN-Grand Palais Mathieu Rabeau
 

Le repas gastronomique français fait réellement son apparition au 17ème siècle.
Le Grand Siècle marque une vraie rupture d’un point de vue culinaire. Les épices, utilisées à profusion, sont peu à peu abandonnées au profit d’un assemblage de plusieurs herbes aromatiques dit le “ paquet”  : l’ancêtre de notre bouquet garni.
L’usage du beurre, de plus en plus fréquent et répandu, devient la signature de la cuisine française tout comme les pré-cuissons, les sauces, les bouillons. On trouve l’inspiration dans la lecture du “Cuisinier François” alors “best-seller” des livres de cuisine.
Le goût des mariages « sucré-salé » des mets, cher au Moyen-âge s’estompe tout à fait mais le service à table reste empreint d’un certain nomadisme.

Comme dans les époques précédentes, on installe tréteaux et planches de bois là où l’on veut se restaurer et notamment dans les jardins, sur les terrasses, dans les bosquets car l’art de la gastronomie se développe en parallèle de l’art des jardins.

Le rôle de la collation -notre buffet d’aujourd’hui- est considérable mais peu à peu le service à la française se complexifie et se codifie, notamment à la cour de Versailles.
La table est couverte de nombreux plats chauds et froids mais les verres et les bouteilles ne sont toujours pas posés sur la table. Les convives sollicitent les serviteurs pour faire remplir le verre ou garnir l’assiette lorsqu’un met le tente ; tout ceci nécessitant une importante domesticité.

Le raffinement préside aux soupers intimes du XVIII ème siècle
 

Si le Siècle des Lumières paraît rejeter la cuisine du siècle précédent, en réalité la formation d’un goût typiquement français pour une cuisine simple et raffinée friande de pré-cuisson, coulis, bisque, sauce et bouillon, s’affirme. La salle à manger devient le cadre idéal du dîner intime. Le “surtout” décor du centre de table à l’origine destiné à recevoir le sel, le poivre, commande l’ordonnancement du couvert, avec parfois tant d’opulence et d’ostentation qu’on le qualifie de “machine”. La soupière, jusqu’alors plutôt discrète, adopte le style rocaille et repose sur des petits pieds. Les terrines empruntent des formes de légumes, de gibiers, comme les pièces sortant de la manufacture Hannong de Strasbourg.

Au 18 ème siècle les tables se parent de terrines et autres pièces de faience en trompe-l’oeil autour de thèmes naturalistes.

 

L’Europe se passionne pour cette cuisine et les cours européennes s’arrachent les cuisiniers français. Les arts de table connaissent un développement considérable qui ne se démentira plus au fil des siècles suivants : L’empire adapte son style décoratif au service de table et dote ambassades et ministères de nombreuses pièces sortant de la Manufacture de Sèvres assurant ainsi une véritable publicité pour des créations françaises qui font également de parfaits cadeaux diplomatiques. Ces services sont encore en place, tels le service “aux oiseaux” ou celui “des petites vues de France” à l’Elysée.

Au 19 ème siècle, les ménagères et coffrets de couverts dédiés u service de tel ou tel met, se multiplient.
 

Au 19 ème siècle, le service à la française, trop lourd à mettre en oeuvre est peu à peu délaissé au profit du service à la russe ou les mets sont apportés les uns après les autres et non plus tous en même temps. Le décor de table verse dans le spectaculaire à travers les éclats du cristal ( les verres se multiplient près de l’assiette) , l’argenterie signée Christofle depuis 1832 et les porcelaines des meilleures maisons de Limoges. C’est aussi le siècle des cuisiniers et des gastronomes. Les restaurants, concept inventé en 1760, se multiplient et avec eux, les menus, les critiques gastronomiques, les chefs en vogue, d’Antonin Carême à Escoffier en passant par Jules Gouffé.

Le magnifique surtout du Jeu de l’écharpe en porcelaine dure de Sèvres signé Agathon Léonard. 1899-1900.

 

L’émergence de nouveaux moyens de transport, le tourisme vont encore accroître cette tendance qui permet à l’élite de découvrir les palaces où l’on croise une clientèle cosmopolite.

Sur terre, sur mer et dans les airs, la gastronomie et les arts de la table français continuent de rayonner au 20 ème siècle.

 

L’art nouveau puis l’art déco vont fortement influencer les décors de table du 20 ème siècle tandis que la pratique du repas gastronomique se diffuse dans les différentes strates de la société française et ce, jusqu’à nos jours où la passion pour la cuisine ne s’est jamais démentie et reste accompagnée d’un goût du beau autant que du bon.

Le service Bleu Elysée, 2018, crée par Evariste Richer. – © Manufacture Nationale de Sèvres

 

L’exposition se termine sur l’étonnant service Bleu Elysée qui reprend sur un mode très contemporain, la saga du fameux bleu de Sèvres. Prévu pour 300 convives à l’occasion des grandes réceptions d’Etat, il est composé de 1200 assiettes du modèle “Diane” et 300 assiettes à pain.

L’exposition n’attend plus que le droit de passer “A table !” Qui plus est, lui sera associée une très belle programmation culturelle imaginée par l’agence “Alimentation Générale” avec des visites thématiques et des ateliers dédiés à la gastronomie, aux manières de table et aux savoir-faire liés aux arts de la table : porcelaine, cristal, argenterie mais aussi en rapport avec les mets. Bref, un foisonnante source d’inspiration qui met en appétit !

Claire Cayla

Février 2021
 
A Table !
Musée National de céramique de Sèvres
2 place de la Manufacture
92310 Sèvres
Tous les jours sauf le mardi de 10h à 13h et de 14h à 18 h.
Du 18 novembre au 6 juin.
Prolongation envisagée compte tenu de la crise sanitaire.
L ‘exposition sera ensuite programmée au musée national Adrien Dubouché à Limoges.
Depuis janvier 2010, la Manufacture nationale de Sèvres et le Musée national de céramique, deux services à compétence nationale du Ministère de la Culture et de la Communication, ont été réunis en un établissement public administratif.
 

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