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L’Histoire De Pauli Murray, Militante LGBT Avant L’Heure

Puali MurrayCrédit photo : Getty Images

Le grand public la connaît peu, pourtant Pauli Murray, une Américaine militante pour les droits civiques, féministe et avocate, a influencé les plus grands, comme Martin Luther King, Eleanor Roosevelt ou encore Ruth Badr Ginsburg. Son combat pour modifier un terme dans le Civil Rights Act de 1964 lui a permis de changer le cours de l’histoire.

En 1963, alors que le Congrès des États-Unis est tiraillé au sujet de de la rédaction du texte de loi plus important depuis un siècle, Paul Murray, une avocate de 53 ans, est chargée de convaincre les députés d’inclure le mot « sexe » dans la loi sur les droits civiques. Certains militants craignent alors que l’utilisation de ce terme ne détourne l’attention des droits des Afro-Américains au profit des femmes blanches, ou même qu’elle ne fasse couler totalement le projet de loi. 

En tant que brillante stratège juridique, Pauli Murray rédige alors un texte émouvant expliquant pourquoi le « sexe » doit faire partie intégrante de l’objectif du projet de loi. Elle estime que sans cela, seule la moitié de la population noire sera protégée, puisque les femmes noires (dont des millions travaillent déjà en Amérique et subviennent aux besoins de leur famille) ne seront pas concernées et pourront encore être licenciées en raison de leur sexe. Elle écrit : « Il est extrêmement difficile pour une femme noire de déterminer si elle est victime de discrimination en raison de sa couleur de peau ou de son sexe. Ces deux types de discrimination sont si étroitement liés et si semblables que les femmes noires sont les seules à pouvoir affirmer leur interdépendance ».

Le mémo est par la suite transmis à tous les membres du Congrès et atterrit dans les mains de Lady Bird Johnson, qui le fait lire à son mari, le président Lyndon B. Johnson. Au moment du vote, le mot « sexe » est conservé dans le titre VII du Civil Rights Act, contrecarrant par la même occasion les plans du représentant Howard Smith, un ségrégationniste originaire de Virginie qui avait recommandé l’utilisation de ce terme pour décrédibiliser le projet de loi. C’est tout l’inverse qui se produira puisque le texte est validé comme tel, une victoire pour les militants féministes.

Serena Mayeri, professeure de droit et d’histoire à l’université de Pennsylvanie, explique : « Il existe un mythe pernicieux selon lequel l’amendement sur le sexe était une sorte de blague destinée à faire couler le Civil Rights Act, alors qu’en fait, c’était le produit des efforts délibérés des défenseurs des droits des femmes. [Pauli Murray] a reformulé l’amendement sur le sexe, le présentant comme étant véritablement crucial pour la justice raciale, et non pas contraire à celle-ci ».

Ce n’est alors pas la première fois que Pauli Murray permet à deux mondes opposés de se rejoindre. Pionnière parmi les femmes noires, elle a toutes les casquettes : avocate, féministe, militante des droits civiques, prêtresse, poète, et activiste se rebellant contre les normes de genre. Pendant la plus grande partie de sa vie, elle renie constamment les étiquettes et les stéréotypes sociaux que lui impose la société. Au début des années 1940, elle fonde le Congress of Racial Equality (CORE) avec Bayard Rustin et influence, entre autres, un jeune Martin Luther King. Elle fonde également la National Organization for Women (NOW) avec Betty Friedan dans les années 1960. Pendant des décennies, elle correspond avec Eleanor Roosevelt et finira par devenir la première femme noire à être ordonnée prêtre épiscopalien.

Au cours de sa vie, Pauli Murray n’a pas seulement été au premier plan de l’histoire, elle a écrit l’histoire. Pour l’historienne Susan Ware : « Lorsque les historiens se pencheront sur l’Amérique du XXe siècle, il y a de grandes chances pour que tous les chemins les mènent à Pauli Murray ».

Les graines de l’activisme plantées par Pauli Murray il y a plusieurs décennies portent toujours leurs fruits aujourd’hui. Début juin, la Cour suprême a par exemple utilisé dans un texte de loi le terme « sexe », celui-là même pour lequel la militante s’était battue. Il concerne cette fois-ci la protection des personnes LGBTQ+ sur le lieu de travail.

Depuis son plus jeune âge, Pauli Murray a toujours remis en question le statu quo. Selon David J. Johns, directeur exécutif de la National Black Justice Coalition : « C’est une personne qui a vécu une vie intersectionnelle avant même que ce terme n’existe ».

Née à Baltimore et élevée par sa tante et ses grands-parents, la petite Pauli a toujours insisté pour s’habiller au rayon garçon des boutiques de vêtements, un choix respecté par sa famille, sauf quand il s’agissait d’aller à l’église. Très tôt, la petite fille explore son identité de genre, et c’est cette ouverture d’esprit si précoce qui lui permettra d’être la militante que nous connaissons aujourd’hui.

Pauli Murray rencontre son premier obstacle professionnel à la sortie du Hunter College de New York, lorsqu’elle décide de suivre des études à l’université de Caroline du Nord. Sa couleur de peau l’empêche alors d’être admise et elle reçoit une lettre du doyen qui lui explique : « Selon les résolutions du conseil d’administration de l’université de Caroline du Nord, les membres de votre race ne sont pas admis à l’université ». Contrariée, la jeune femme écrit alors au président de l’école, Frank Porter Graham, et envoie une copie de sa candidature à Walter White, directeur de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Inspiré par sa situation, ce dernier fait remonter l’histoire aux oreilles du conseiller juridique en chef de la NAACP, qui deviendra par la suite juge à la Cour suprême : Thurgood Marshall.

Bien que l’affaire ait retenu l’attention des médias américains, les efforts de Pauli Murray ne lui permettent pas d’être admise à l’université (le premier élève noir ne sera accepté à l’université de Caroline du Nord qu’en 1951). En 1940, la jeune femme proteste contre la ségrégation dans les transports en commun en Virginie et se fait arrêter pour avoir refusé de s’asseoir sur des sièges cassés à l’arrière du bus, quinze ans avant Rosa Parks.

À la même époque, après s’être inscrite à la faculté de droit de Howard (où elle finira première de sa classe entièrement masculine), Pauli Murray s’engage dans la Workers Defense League, afin d’aider à collecter des fonds pour aider un métayer originaire de Virginie nommé Odell Waller, qui sera condamné à mort pour avoir tiré sur l’homme blanc qui possédait la terre sur laquelle il travaillait, en invoquant la légitime défense. Après avoir obtenu son diplôme à Howard en 1944, elle tente à nouveau sa chance dans le droit, mais est de nouveau rejetée, cette fois-ci par l’université de Harvard, qui ne veut pas d’elle car elle est une femme.

Rosalind Rosenberg, auteure de Jane Crow: The Life of Pauli Murray, explique : « Bien que toutes ces tentatives aient échoué, elles ont inspiré les militants du futur ». En effet, Thurgood Marshall s’inspire de l’activisme de Pauli Murray pour mettre fin à la ségrégation scolaire et mettre fin aux lois Jim Crow. Il applique également bon nombre des idées de la jeune militante en plaidant l’affaire Brown v. Board of Education en 1954. Par ailleurs, Betty Friedan, Shirley Chisholm et d’autres féministes de la deuxième vague se sont très largement appuyées sur Pauli Murray pour fonder la National Organization for Women en 1966.

Toute sa vie, Pauli Murray est tout à fait consciente des limites imposées par son sexe, et elle se demande d’ailleurs si elle se reconnaît dans le statut de femme. Pendant sa jeunesse elle continue à porter des vêtements masculins, se faisant souvent passer pour un homme et se qualifiant « d’homme prisonnier d’un corps de femme ». Dans sa jeunesse, Pauli Murray fait des recherches sur les traitements hormonaux de pointe qui se pratiquent alors en Europe, et demande à des médecins américains d’essayer l’hormonothérapie, sans avoir jamais reçu de réponse positive de leur part.

Bien que Murray ait été brièvement mariée à un homme, sa relation amoureuse la plus longue aura été avec Irene Barlow, une femme blanche qu’elle rencontre alors qu’elle travaille en tant qu’associée au prestigieux cabinet d’avocats new-yorkais Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison. Même si elles n’ont jamais pu vivre ensemble, Barbara Lau, directrice du projet Pauli Murray au Centre des droits de l’homme de Duke, explique : « Elles avaient des chiens ensemble, elles avaient des voitures ensemble, et elles partaient en vacances ensemble ». 

Pourtant, malgré le fait que Pauli Murray ait été une pionnière du mouvement féministe et des droits civiques, et malgré sa relation avec Irene Barlow, elle a toujours été réticente à définir explicitement sa sexualité. Karen Ross, sa petite-nièce qui a vécu avec elle pendant cinq ans, se souvient que Pauli Murray ne parlait jamais de sa vie personnelle : « Elle avait l’impression d’avoir le cerveau d’un homme dans le corps d’une femme, [mais] elle n’était pas très loquace à ce sujet ».

Il faudra attente le décès de Pauli Murray en 1985 pour que la militante soit enfin libérée. À la fin de son combat contre le cancer du pancréas, elle fait don de ses travaux à la bibliothèque Schlesinger de Harvard, y compris des notes sur sa lutte contre sa sexualité et son identité sexuelle. Sarah Azaransky, auteure du livre The Dream Is Freedom sur la vie de Pauli Murray, précise : « Elle avait choisi de les conserver dans ses archives. Je pense que ce choix est important ».

Sa famille n’a jamais eu connaissance de cet aspect de sa vie avant son décès. Karen Ross poursuit : « La famille a  eu l’impression d’aller à la bibliothèque Schlesinger et d’y découvrir la véritable identité de Pauli Murray ». Ironie du sort ou non, il ne fait en tout cas aucun doute que la militante qui était si réticente à l’égard de sa sexualité a jeté les bases de l’une des plus grandes décisions de l’histoire récente en matière de droits LGBTQ+.

La dure réalité est que Pauli Murray n’aura pas pu profiter pleinement des fruits de son travail, mais malgré cela, une chose est sûre : les femmes noires LGBTQ+ ont aujourd’hui une grande dette envers elle.

 

Article traduit de Forbes US – Auteures : Leah Rosenbaum et Brianne Garrett

 

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