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Charles Zana : « La sensualité du design, c’est cette émotion qui passe par le regard et le toucher »

Portrait of Charles Zana_ Photo Credit Luna Conte_Courtesy
Portrait of Charles Zana_ Photo Credit Luna Conte_Courtesy
À l’occasion d’Art Basel Paris 2025, Charles Zana investit le 242 rue de Rivoli, ancien siège du Cercle suédois, pour y présenter In Situ, une exposition manifeste où le designer mêle architecture, art et mobilier dans un dialogue sensuel avec l’espace. Après Ithaque à l’Hôtel de Guise (2021) et Iter à l’Hôtel de la Marine (2024), cette nouvelle résidence marque un tournant plus intime et sculptural dans sa recherche. Rencontre avec un créateur qui revendique l’héritage de Carlo Scarpa et la rigueur des maîtres italiens du XXe siècle, tout en inscrivant son œuvre dans un art de vivre profondément français.

Désirée de Lamarzelle : Vous évoquez souvent votre attachement aux maîtres italiens du XXe siècle. Que vous ont transmis ces figures, de Gio Ponti à Carlo Scarpa : influencent-elles encore aujourd’hui votre pratique ?

Charles Zana : J’ai découvert le design italien dans les années 1980, en entrant à l’école d’architecture. Ce fut un choc : une autre manière de penser, loin de la tradition française des arts décoratifs. J’ai d’abord appréhendé le design à travers les grands architectes : Carlo Scarpa, Castiglioni, Bellini, Gae Aulenti… Ce sont eux, et les grandes marques comme Cassina ou Poltrona Frau, qui m’ont ouvert au design. Puis j’ai remonté le temps et découvert les maîtres des années 1950-1960, comme Caccia Dominioni ou Sottsass. Scarpa, ce génie du mobilier et de l’architecture, a été une révélation. Son œuvre m’a appris une autre façon de penser la matière et la fabrication, plus proche de l’artisan que du décorateur.

Tous ces créateurs étaient architectes avant d’être designers. Leur design, entre art et mobilier, m’a apporté une grande liberté et une joie toujours renouvelée dans la collaboration entre architectes et fabricants.

In Situ_Photo Credit Vincent Leroux_Courtesy of Charles Zana
In Situ Photo Credit Vincent Leroux Courtesy Charles Zana

 


Dans vos créations, les matières et les formes semblent dialoguer avec une certaine sensualité.

C. Z. : La dimension sensuelle du design me touche profondément. J’aime travailler l’émotion, le toucher, le regard. Une pièce doit être « confortable au regard ». C’est une idée que j’ai apprise de Carlo Mollino, dont les meubles s’inspiraient de l’anatomie féminine. Je suis sensible à cette sensualité du confort et de la douceur : un mobilier peut transformer la perception d’un lieu, comme la manière dont les matières bougent avec la lumière ou le vent. Ce sont ces variations subtiles qui, pour moi, donnent vie à l’espace.

 

Que représente pour vous l’exposition présentée au 242 rue de Rivoli ?

C. Z. : C’est une étape importante de ma carrière : une forme de mise à nu. J’y montre mon univers, mes passions, mes inspirations accumulées au fil de trente ans de création. Le visiteur y découvre un appartement pensé comme une traversée sensorielle, où chaque pièce a sa couleur, sa lumière, son rythme. Nous travaillons d’ailleurs avec une artiste qui va réinventer l’éclairage du lieu. J’aimerais que cette visite soit une expérience sensuelle, une immersion dans mon monde.

 

Vous y avez intégré un cabinet de curiosités. Que raconte-t-il  ?

C. Z. : C’est une forme autobiographique. Chaque objet a un poids, une mémoire. J’ai toujours aimé la céramique grecque, les amphores anciennes… Ici, je peux en montrer une accumulation grâce à la Galerie Chenel. Dans ce décor Empire, presque napoléonien, ce cabinet de curiosités permet de faire exister une part intime de mon univers.

 

Cette sensibilité de collectionneur vient-elle de votre père ?

C. Z. : Oui, sans doute. Mon père était un collectionneur un peu fou, toujours en quête de la pièce rare. Il m’a appris que la collection est une manière de vivre, une quête permanente. L’essentiel n’est pas de trouver, mais de chercher.

 

Vous défendez un lien fort avec l’artisanat et les savoir-faire. Pourquoi est-ce essentiel ?

C. Z. : Parce que tout part d’eux. Nous sommes architectes et architectes d’intérieur, et nos artisans travaillent dans l’exception et la haute qualité française. Nos collections de mobilier sont nées de ces collaborations, souvent au détour d’une visite d’atelier. C’est la rencontre avec la main, la matière, le geste qui fait naître l’envie de créer.

 

Vous souvenez-vous de votre première émotion artistique ?

C. Z. : Oui, je me souviens d’une exposition de Picasso, celle des Mousquetaires, vue avec mon père. Et des livres Skira : de véritables trésors où les reproductions étaient collées sur les pages. J’y ai découvert Miró, Soulages, la peinture américaine… Et puis il y a eu cette maison en Provence, le château Eleanor, que nous avions visitée : les volets clos, une lumière filtrante, l’odeur du lieu. J’y ai compris la force de la mémoire des espaces. Cette émotion est encore présente dans mon travail : j’aime que les lieux portent une histoire, comme dans les tableaux d’Hammershøi, où tout semble suspendu.

 

Vous êtes à la frontière entre design, art et architecture…

C. Z. : Je me sens architecte avant tout. C’est un métier qui permet d’orchestrer beaucoup de choses, de mêler la passion à la pratique. Mais l’art reste ma première inspiration.
Quand je conçois un projet, mes références sont souvent artistiques plutôt qu’architecturales. Les artistes se mettent à nu, ils travaillent dans l’émotion. Nos meubles sont d’ailleurs comme de petites architectures. Et je crois que les architectes doivent retrouver leur place dans le paysage artistique, s’inscrire dans leur époque.

 

Vos créations dialoguent toujours avec un lieu précis. Est-ce l’espace qui dicte vos pièces, ou l’inverse ?

C. Z. : Souvent, c’est l’espace qui dicte. Mais nos créations peuvent aussi le transformer. Depuis quelques années, nous avons créé une marque indépendante, Charles Zana Mobilier, et je suis heureux de voir nos pièces vivre ailleurs, dans d’autres contextes. Le canapé Sara, par exemple, est né d’un projet à Miami : nous voulions un geste fort, une sorte d’« incision dans l’espace », à la manière de Fontana.

Chaque meuble peut influencer une attitude : une grande table invite à la convivialité, un fauteuil confortable change la manière d’habiter. C’est ce dialogue entre espace et objet qui me passionne.

In Situ_Photo Credit Vincent Leroux_Courtesy of Charles Zana
In Situ_Photo Credit Vincent Leroux_Courtesy of Charles Zana

In Situ – exposition de Charles Zana

Du 22 au 26 octobre 2025

242 rue de Rivoli, Paris 1er

 


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