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Notre pouvoir d’achat se consume et les banques centrales regardent ailleurs

Confrontées à une inflation atteignant 7,5 % aux Etats-Unis et 5,1 % en zone Euro en janvier 2022, les principales banques centrales jouent la politique de l’autruche et cherchent à justifier une réaction à minima envers une menace qu’elles n’ont pas vu, ou pas voulu voir, venir. Face à la fois à un risque de crise financière et à une possible accélération durable de l’inflation, les banques centrales sont prises au piège de la politique monétaire menées depuis plus d’une dizaine d’années.

 

Une inflation durablement élevée est assimilable à la propagation d’un incendie qui viendrait consumer à la fois le pouvoir d’achat des agents économiques et l’épargne des créanciers. Comme tout incendie, une étincelle est nécessaire pour l’allumer. Dans le cas du retour de l’inflation constaté en 2021 dans la plupart des pays développés, c’est la crise covid-19 qui a allumé la mèche. La désorganisation des chaînes logistiques et de production a eu pour effet de créer des effets de pénurie affectant le prix de nombreux biens et a entrainé un choc de coût lié aux matières premières et plus particulièrement à l’énergie.

Dans un contexte de pressions inflationnistes, il revient aux banques centrales – Federal Reserve (Fed) aux Etats-Unis et Banque Centrale Européenne (BCE) en zone Euro – de jouer les « pompiers », ces dernières ayant notamment pour mandat de lutter pour la stabilité des prix et une inflation autour de 2 %. Pourtant à ce stade la réaction des « pompiers » a essentiellement consisté à ne rien faire ou presque ! En principe, pour agir contre une inflation qui excède la cible, les banques centrales se doivent de durcir leur politique monétaire par le biais d’une hausse des taux d’intérêt directeurs et éventuellement d’autres actions qui viseront globalement à rendre les conditions de financement moins accommodantes.

Mais ce n’est pas ce qu’il se passe. Les deux principales banques centrales n’ont jusqu’ici nullement durci leur politique mais simplement ralenti la conduite de leurs opérations d’assouplissement quantitatif (programme d’achat d’actifs). Les déclarations d’intention repoussent le moment de l’action. Ainsi, les taux d’intérêt continuent de rester bas alors que les bilans de la Fed et de la BCE continuent de progresser (jusqu’en mars pour la Fed).

 

La politique de l’autruche

Pour justifier cette attitude attentiste, les banquiers centraux avancent qu’un durcissement de la politique monétaire n’aurait pas d’effet sur le déficit d’offre de biens lié aux pénuries actuelles et pourrait compromettre la reprise économique. D’autre part, les responsables de la Fed et de la BCE, s’ils ne qualifient plus le niveau d’inflation actuel comme étant « transitoire » ou « temporaire », s’attachent toutefois à le lier à des causes qui le sont ou devraient l’être (prix des matières premières qui devraient se stabiliser et normalisation des chaînes logistiques et de production qui devraient mettre un terme aux pénuries de biens intermédiaires). Autrement dit, les banquiers centraux espèrent que l’incendie s’éteindra de lui-même faute de combustible à bruler.

Il s’agit là d’un pari risqué car il existe plusieurs facteurs susceptibles d’entretenir une inflation durable, et l’incendie au lieu de s’éteindre pourrait au contraire se propager voire devenir hors de contrôle.

 

Les conséquences de 10 ans de politique monétaire accommodante

Au cours de la décennie précédente, les principales banques centrales (notamment Fed, BCE, Bank of Japan) ont conduit des politiques monétaires particulièrement accommodantes caractérisées par une augmentation de leur bilan et de la masse monétaire et un environnement de taux d’intérêt bas. L’économie et les marchés financiers ont ainsi durablement bénéficié de conditions de financement artificiellement favorables.

Toutefois, ce type de politique n’est pas sans risque ni sans coût. Le risque réside à la fois dans l’apparition d’un niveau d’inflation supérieur à sa cible mais également dans une allocation du capital sous-efficiente (risque de formation de bulle d’actif notamment).

Dans les années 2010, la relative stabilité de l’activité économique et la faible croissance des prix ont limité le coût économique immédiat à un effet de rente monétaire au profit des détenteurs d’actifs financiers et immobiliers. Les banques centrales ont ainsi pu agir à leur main pour soutenir les marchés financiers et les états lorsque ce fut nécessaire.

En réponse à la crise du covid-19, l’accélération des mesures monétaires accommodantes ont amplifié des effets déjà à l’œuvre, provoquant une flambée du prix des actifs mobiliers et surtout immobiliers (+25 % aux Etats-Unis en 2 ans). Le coût économique se matérialise et devient alors visible.

Ce coût, qui consiste notamment en une dévalorisation des revenus du travail par rapport aux prix des actifs, est par ailleurs accentué par la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation frappant les biens et services de consommation. Aux Etats-Unis, le nombre de record d’emplois non pourvus (plus de 10 millions) et la baisse du taux de participation au marché du travail s’expliquent pour une part par le surcroit d’épargne accumulée durant la crise (dues aux aides de l’état indirectement financées par la politique monétaire et à une consommation empêchée) mais traduisent également le découragement des salariés (notamment à « bas salaire ») face à la hausse globale des prix et des incitations financières devenues insuffisantes. Cette situation créée naturellement une pression à la hausse sur les salaires susceptible d’entrainer en retour une hausse des prix de la part des employeurs qui engendrera de nouvelles revendications salariales et ainsi de suite. Cette boucle prix/salaire, une fois enclenchée, est un facteur pouvant pérenniser les hausses de prix. Mais ce n’est pas le seul.

 

Le spectre d’une inflation durablement élevée

La transition énergétique, qui repose sur l’exploitation de certains métaux comme le lithium, le cobalt et le cuivre (ou encore les terres rares) dont les prix sont déjà en tension, nécessite des investissements considérables qui risquent de fortement renchérir le prix de l’énergie à l’avenir. Parallèlement à cela, les investissements au niveau mondial dans les énergies fossiles (qui constituent toujours 80 % de notre consommation d’énergie primaire) souffrent d’un effet d’éviction au profit des énergies renouvelables. En particulier, comme souligné dans le rapport de décembre 2021 du International Energy Forum et IHS Markit, les investissements dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz naturel sont en recul de 25% en 2021 par rapport à 2019. Ce niveau d’investissement apparait insuffisant pour satisfaire une demande qui est attendue en hausse dans les 2 ou 3 prochaines années et devrait rester élevée jusqu’en 2030.

Par ailleurs, au-delà du prix de l’énergie, c’est l’ensemble des prix des matières premières qui a énormément augmenté depuis 2 ans (hausse supérieure à 100 % du Global Price Index for all Commodities entre le deuxième trimestre 2020 et le dernier trimestre 2021). A l’inverse de ce qui s’est passé dans les années 2010, rien ne permet d’affirmer que ce phénomène de hausse ne va pas se poursuivre alors que le pouvoir d’achat des consommateurs est d’ores et déjà amputé.

Enfin, les projets de relocalisation vers les pays développés de certaines chaînes de production (suite à la crise du covid-19) pourraient également avoir un effet inflationniste durable s’ils venaient à se concrétiser. Comme le mentionne Patrick Artus, « les coûts de production sont deux fois plus élevés dans les pays de l’OCDE que dans les pays émergents ; les hausses des bas salaires feront monter les prix des sociétés qui les versent » (Les Echos 20 mai 2021).

 

La crédibilité des banques centrales en question

Les éléments susceptibles de réveiller une inflation structurellement élevée sont donc bien présents et les conséquences des politiques monétaires menées depuis plus de 10 ans comptent parmi eux. En continuant de pratiquer une politique monétaire trop accommodante (en restant « behind the curve »), les banques centrales prennent le risque de fournir le carburant qui alimentera le sinistre en permettant notamment aux agents ayant accès au crédit (au premier rang desquels figurent les états par le biais de leur plan de relance et d’investissement) de jeter de l’huile sur le feu en soutenant la demande d’actifs dont les prix sont déjà en tension.

Dans ce cas, si les banquiers centraux sont conscients des risques potentiels, pourquoi ne réagissent-ils pas davantage ? La politique monétaire pratiquée depuis une dizaine d’années a soutenu l’économie en même temps qu’elle a permis de faire gonfler les niveaux globaux d’endettement ainsi que le prix de nombreux actifs financiers et immobiliers. Un brusque relèvement des taux et un durcissement des conditions de financement iraient à l’encontre de la politique pratiquée et souhaitée par les banquiers centraux depuis la crise de 2008. Une réaction trop vive des autorités monétaires pourrait ainsi provoquer, au-delà d’un ralentissement économique, une forte chute des actifs financiers (actions et obligations) voire une crise financière susceptible d’évoluer en crise économique. En ayant rendu l’économie et les marchés financiers dépendant de leur politique accommodante, les banques centrales sont prises dans le piège qu’elles ont elle-même créés.

Le pompier en est donc réduit à regarder l’incendie évoluer et à faire le pari que les flammes ne se propageront pas. Les banques centrales espèrent que les déclarations d’intention et des interventions volontairement sous-dimensionnées feront illusion et ne les obligeront pas à devoir faire un choix cornélien entre le respect de leur mandat et le risque d’une crise financière.

 

Article rédigée par Sébastien Cabrol, BSI Economics

 

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