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Marc Touati (économiste) : Hausse du livret A ou comment donner un coup de pouce aux épargnants sans (trop) pénaliser les banques

Le 1er février, le taux du livret A passera de 0,5% à 1%, une première depuis 10 ans.


Bien qu’attendue, cette réévaluation répond à la nécessité d’aligner le taux de rémunération du livret d’épargne sur l’inflation enregistrée au second semestre 2021 (1,6% en moyenne selon l’INSEE). Une mesure qui devrait satisfaire les 55,7 millions de français détenteurs du Livret A, très attachés à ce produit refuge, d’après les chiffres de la Banque de France au 31 décembre 2020. Cette hausse sera-t-elle pérenne ? De l’autre côté de la chaîne, comment les banques perçoivent-elles cette annonce ? Réponse avec Marc Touati, Économiste, Président du cabinet ACDEFI et auteur de nombreux best-sellers économiques*.

La Banque de France effectue deux fois par an le calcul du taux de rémunération des livrets d’épargne réglementée. Quels sont les paramètres pris en compte ?

Marc Touati : Depuis le 1er février 2020, la formule de calcul du Livret A a été révisée et simplifiée. Le taux du Livret A est égal à la moyenne du taux d’inflation sur les six derniers mois et des taux interbancaires à court terme (qu’on appelle EONIA), avec un arrondi au dixième de point le plus proche pour être précis. L’avantage est que ce taux peut facilement se calculer. L’inconvénient est qu’il se rapporte à la situation passée et n’intègre pas l’inflation à venir.

 

Au 1er février, le Livret A va donc connaître une hausse qui n’était pas intervenue depuis 10 ans. Un coup de pouce plus politique qu’économique en temps de campagne présidentielle ?

Comme nous venons de la voir, il ne s’agit pas d’une décision politique mais d’une conséquence de l’évolution passée de l’inflation. Si le gouvernement avait voulu faire un vrai cadeau aux épargnants français, il aurait augmenté le taux du livret A au moins au niveau de l’inflation de décembre dernier, c’est-à-dire 2,8 %. N’oublions pas que le véritable taux de rendement d’un placement est ce que l’on appelle le taux réel, c’est-à-dire la différence entre le taux de rendement nominal et l’inflation.

 

Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour les épargnants, dans la mesure où le taux de rendement sera toujours inférieur à l’inflation ?

Dans le cas présent du livret A, avec un taux de rendement de 1 %, mais une inflation de 2,8 %, le taux réel est négatif à – 1,8 %. Autrement dit, lorsque vous laissez votre épargne sur votre livret A, vous perdez de l’argent. De plus, à 2,8 %, l’inflation française n’est qu’au début de sa phase d’augmentation. Le glissement annuel des prix à la production, indicateur avancé de l’inflation, a ainsi atteint 16,3 % en décembre dans l’Hexagone, un sommet historique. Cela signifie que l’inflation va encore nettement se tendre au cours des prochains mois, ce qui réduira d’autant le rendement réel du livret A.

 

Du côté des banques, quelles sont les conséquences de cette hausse ?

40,5 % de l’épargne investie dans les livrets A est rémunérée par les banques, le paiement des 59,5 % restant étant assuré par la Caisse des Dépôts. Si le montant que les Français investissent sur le livret A ne change pas en 2021, cela se traduira par un surcoût pour les banques françaises de l’ordre d’un milliard d’euros. Si ce montant peut paraît énorme, il ne s’agira que d’une goutte d’eau au regard de l’ensemble des profits des banques françaises. En revanche, le problème est que ce nouveau taux est largement supérieur à celui auquel les banques peuvent placer leurs liquidités sur les marchés, en l’occurrence proche de 0 %. Autrement dit, en collectant de l’épargne sur le livret A, elles sont sûres de perdre. On touche ici le vrai paradoxe du livret A : il est plébiscité par les Français, mais aussi par les banques qui y voient un formidable produit d’appel, mais tout le monde y perd, les épargnants puisque son taux réel est négatif et les banques puisque son taux est bien plus élevé que sur les marchés !

 

Dans ses prévisions, la Banque de France table sur une baisse de l’inflation d’ici la fin de l’année. Doit-on s’attendre à une baisse du taux de rendement du livret A dès 2023 ?

Il y a encore quelques mois, la plupart des économistes, mais aussi des banques centrales, y compris la Banque de France, soutenaient que l’augmentation de l’inflation ne serait que modérée et transitoire. En France, on voulait même nous faire croire qu’elle ne pouvait pas dépasser durablement les 2 %. Quel manque de discernement ! Ou plutôt quel déni de réalité ! Il suffit de voir le niveau des prix à la production mais aussi l’exagération des planches à billets pour annoncer, comme je le fais depuis le début 2021, que l’augmentation forte et durable de l’inflation est inévitable. Sur ces bases, peut-on croire la Banque de France lorsqu’elle nous dit que l’inflation va baisser au second semestre 2022 ? Cela paraît compliqué. Étant donné l’augmentation récente des prix à la production, mais aussi celle des cours du pétrole et des matières premières, l’inflation française va encore augmenter au moins jusqu’à l’été prochain. Ensuite, elle connaîtra certainement une baisse corrective, mais elle demeurera élevée. Dans ce cadre, en moyenne annuelle, l’inflation française devrait avoisiner les 3,2 % sur l’ensemble de l’année 2022, donc toujours très loin du 1 % du livret A. Si l’on reprend le calcul évoqué lors de la première question, cela signifie que le taux du livret A devrait encore augmenter dans six mois, sans pour autant faire des miracles, comme d’habitude… 

* dont « RESET – Quel nouveau monde pour demain ? » aux Editions Bookelis

 

 <<< À lire également : Prévisions d’inflation, sommes-nous face à ce fameux paradoxe du consensus plus souvent faux que vrai ? >>>

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