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L’or contre l’IA : quel refuge en cas de krach ?

Un paradoxe déroute les marchés financiers. L’or, valeur refuge par excellence, atteint 3 843 dollars l’once, en hausse de 45 % depuis janvier 2025. Dans le même temps, les valeurs technologiques américaines dopées par l’intelligence artificielle, comme Nvidia (+27 % cette année, +122 % sur un an), poursuivent leur ascension. Deux actifs historiquement opposés – l’un défensif, l’autre spéculatif – progressent désormais de concert.Cette convergence inédite, où le métal jaune, symbole de prudence et d’anti-dollar, s’aligne sur les valeurs de croissance, interroge : si la bulle technologique éclate, l’or tiendra-t-il son rôle de refuge ?

Une tribune écrite par Anne-Laure Frischlander-Jacobson, Fondatrice Evvest – Enseignante à l’Université PSL Paris-Dauphine

 

Une corrélation rare, mais pas inédite

L’or et les actions évoluent rarement en harmonie : le premier brille dans le stress, les secondes dans l’euphorie. Pourtant, l’histoire montre quelques périodes d’alignement.

De 1976 à 1980, les chocs pétroliers propulsent l’inflation américaine à 13 %. L’or double, tandis que le S&P 500 gagne 30 %. Entre 2003 et 2005, l’essor des émergents et la liquidité mondiale font grimper le métal jaune de 30 %, parallèlement à une hausse de 25 % des actions américaines. Enfin, entre 2009 et 2011, après la crise financière, l’or s’envole de 900 à 1 900 dollars (+70 %) et le S&P rebondit de 50 %, tous deux portés par les politiques monétaires ultra-accommodantes.


Ces phases partagent trois ingrédients : inflation soutenue, liquidité abondante et taux réels faibles. En 2025, la configuration se répète : inflation autour de 3 %, taux de la Fed ramenés à 4,25–4,50 %, afflux massif de capitaux vers les fonds IA et les ETF or. Selon Bloomberg, la corrélation entre l’or et le S&P atteint +6,4 %, un niveau record.

 

Une double ascension alimentée par la liquidité

L’inflation persistante incite les investisseurs à se protéger du risque monétaire. La baisse des taux d’intérêt accroît l’attrait des actifs de long terme : le métal jaune profite du recul des taux réels, tandis que les géants de l’IA voient leurs valorisations dopées par le coût du capital plus faible.

À cela s’ajoute une demande structurelle des banques centrales, qui achètent plus de 1 000 tonnes d’or par an, un record, dans une dynamique de dédollarisation amorcée depuis 2022.

Le dollar, affaibli par une dette publique dépassant 35 000 milliards de dollars et des tensions politiques autour de la Fed, perd peu à peu de son éclat. Dans ce climat, l’or apparaît comme une monnaie parallèle, tandis que la technologie incarne le récit de croissance.

 

Une euphorie sous tension

Cette convergence repose néanmoins sur des bases fragiles. Les valorisations technologiques atteignent 30 fois les bénéfices, deux fois la moyenne historique. L’euphorie autour de l’IA rappelle les excès de la bulle Internet. Si les résultats déçoivent ou si la Fed retarde sa détente, une correction de 20 %, comme en 2022, est plausible.

L’or pourrait lui aussi fléchir : sa flambée repose sur les mêmes moteurs de liquidité et d’appétit pour le risque. Ce n’est plus uniquement un actif de protection, mais un instrument participant à la même euphorie monétaire.

 

L’or, refuge relatif d’un monde incertain

Le métal jaune demeure un rempart contre la dépréciation monétaire et les tensions géopolitiques. Il reste universellement négociable et protégé des sanctions, mais ne remplacera pas le dollar, toujours pivot de 60 % des échanges mondiaux.

Un retour à l’étalon-or est illusoire : le métal ne croît pas avec l’économie et limiterait toute flexibilité monétaire.

En cas de choc, d’autres refuges pourraient regagner en force : les bons du Trésor américains à court terme, à la fois liquides et sûrs, le dollar, le franc suisse, le yen, voire Bitcoin, à condition d’une régulation crédible.

 

Diversifier plutôt que surpondérer

Dans cet environnement où les repères traditionnels s’effacent, la prudence impose la diversification. Conserver une exposition à l’or reste pertinent, mais sans l’amplifier à ces niveaux de valorisation.

La sécurité repose désormais sur un portefeuille équilibré : combiner actifs tangibles, emprunts d’État liquides et stratégies neutres en marché, capables d’amortir les chocs.

L’or n’a pas perdu son éclat, mais il partage désormais son rôle de stabilisateur avec d’autres piliers défensifs. Dans un monde où l’intelligence artificielle façonne les bulles et où la liquidité guide les marchés, la discipline et la diversification demeurent les seuls véritables refuges.

 


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