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Investissement Des Entreprises : Changer De Braquet Pour Mieux Préparer L’Avenir

L’annonce d’une progression du PIB de +0,4% au premier trimestre amène certains commentateurs, dopés par l’effet euphorisant d’une telle nouvelle et un climat des affaires au plus haut, à prédire une reprise vigoureuse de l’investissement des entreprises françaises. Le redressement de la profitabilité et les perspectives plus prometteuses de demande rendent crédible cette prévision. L’économie française souffre pourtant d’un sous-investissement productif chronique devant d’autant plus nous préoccuper qu’il traduit un retard de notre appareil productif dans l’appropriation des nouvelles technologies, illustré par notre déficit de productivité et d’innovation.

 

La formule de l’ancien Chancelier allemand, Helmut Schmidt, est restée dans les mémoires : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et l’emploi d’après-demain »[1].

Quarante ans plus tard, l’axiome reste pour l’essentiel vrai. Mais on est tenté d’y apporter un léger aménagement.

D’abord, parce qu’il y a souvent un effet retard entre la remontée des profits et le passage à l’acte d’investir. Ensuite, car l’investissement des entreprises doit être non seulement suffisant en volume pour créer de la croissance et de l’emploi, mais aussi bien orienté pour faire émerger l’innovation.

A l’heure de la mondialisation et de la révolution numérique, il n’est point de croissance sans innovation. De la même manière, pour créer la rupture technologique, le dirigeant doit être en mesure de saisir les meilleures opportunités en investissant massivement dans l’avenir.

Les entreprises françaises le savent bien, elles qui réclamaient il n’y a pas si longtemps encore un appui des pouvoirs publics pour faire repartir ce moteur de la croissance, désespérément en panne sèche depuis la crise.

Depuis avril 2015, elles avaient obtenu la possibilité de déduire 40% de la valeur des biens d’équipements industriels, incitation très stimulante à développer leur investissement productif.

Un dispositif qui, cumulé à l’embellie conjoncturelle, aura permis un net rebond de l’investissement à partir de 2016 (+4%), qui ne s’est pas démenti par la suite.

Une fois n’est pas coutume, le regain d’investissement des entreprises au premier trimestre (+1,9%) tire la croissance, qui s’annonce elle-même plus solide cette année, au point que beaucoup commencent à espérer que la prévision de +1,5% pour 2017 pourrait être atteinte.

Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, règne un vent d’optimisme certain sur les affaires, que l’annonce de la première réforme structurelle d’envergure par le gouvernement (les futures Ordonnances Travail à paraître en septembre prochain) tend encore à renforcer.

Et l’investissement n’échappe évidemment pas à ce souffle d’euphorie qui gagne les chefs d’entreprises.

Selon le dernier baromètre Euler Hermès, paru en avril dernier, l’investissement des sociétés est attendu en hausse de +2,9% en 2017 et même de + 3% en 2018.

Est-ce le seul résultat de « l’effet Macron » ? Notre nouveau Président aurait-il le don de « guérir » les maux de l’entrepreneur uniquement en apposant sa main sur la leur, comme jadis ces Rois de France (depuis Robert le Pieux) et d’Angleterre (depuis Henri Ier) auraient eu le pouvoir miraculeux de soigner les malades scrofuleux par le seul toucher des écrouelles ?[2]

Personne ne saurait nier à l’heure qu’il est l’impact du chef de l’Etat français sur le climat des affaires en France ni les attentes que son arrivée a fait naître un peu partout en Europe, de Berlin à Bruxelles.

Le dynamisme de l’investissement tient pourtant à des éléments qui ne relèvent pas de la seule aura de l’ancien ministre de l’Economie.

La politique de baisse de charges (Pacte de responsabilité, Crédit d’impôt compétitivité emploi) a permis un redressement des marges des entreprises, favorisant ainsi le redressement de l’investissement, lui-même soutenu par le dispositif de « suramortissement » évoqué plus haut, ayant sans doute contribué pour moitié à cette performance.

Reste que la dépense d’investissement des entreprises n’augmente significativement que lorsque leurs perspectives de débouchés commerciaux apparaissent prometteuses. Or, l’économie mondiale et européenne s’oriente aujourd’hui vers cet horizon plus dégagé.

Tout en relevant les incertitudes qui pèsent encore sur la solidité de la reprise, l’OCDE, dans ses dernières prévisions publiées début juin[3], parie sur une croissance du PIB mondial de +3,5%, soit sa meilleure performance depuis 2011.

Et si la zone euro est créditée pour l’année en cours et l’an prochain d’une croissance (+1,8%) un peu moins fameuse que la zone américaine (+2,1%), les entreprises françaises pourraient bénéficier de cet environnement favorable et continuer d’élever leurs investissements.

Comme, par ailleurs, les conditions de financement des PME restent favorables dans notre pays et que leur trésorerie s’est plutôt consolidée au cours des derniers mois, on peut croire à la nouvelle trajectoire haussière qui semble se dessiner pour l’investissement.

S’arrêter à ce satisfecit pourrait cependant nous exposer à des réveils douloureux dans les prochains mois.

Il y a, à vrai dire, beaucoup de raisons objectives de regarder le redressement apparent de la courbe d’investissement comme un leurre. Ce qui doit nous amener à réfléchir mais surtout à agir.

Première inquiétude à ne pas négliger : le regain d’investissement constaté depuis l’année dernière pourrait n’être que ponctuel. L’annonce de la fin du suramortissement a pu amener des patrons de TPE/PME à vouloir profiter au premier trimestre de l’aubaine, avant extinction définitive au 15 avril dernier de la mesure.

Il faudra donc attendre les prochains résultats trimestriels pour quantifier l’effectivité de ce risque.

Seconde inquiétude plus profonde et structurelle celle-ci : quand bien même, la prévision d’investissement que les économistes sont capables de faire aujourd’hui s’avérait fiable pour les dix-huit prochains mois, elle ne comblerait pas notre déficit d’investissement productif devenu abyssal !

Patrick Artus avait calculé l’année dernière que le sous-investissement des entreprises françaises représentait presque l’équivalent (95%) d’un an de formation brute de capital fixe (FBCF). Euler Hermes estime désormais le gap d’investissement à quelque 38 milliards d’euros actuellement. C’est-à-dire quasiment le même que celui qu’on enregistrait il y a deux ans (40 milliards en 2015)[4].

L’enjeu ne se limite donc pas à une simple reprise de l’investissement, mais à son rebond conséquent et durable, à l’instar de celui que connaissent par exemple les entreprises américaines, qui ont accru leurs dépenses d’investissement de +11,4% sur un an.

Or, si aujourd’hui l’économie française peine à rattraper son retard, c’est tout simplement parce que son effort d’investissement n’est pas bien réparti entre les sociétés. Comme l’a encore récemment rappelé La Fabrique de l’Industrie sous l’animation de Louis Gallois, plus l’entreprise est petite et moins elle investit[5]

Cette concentration de la dynamique d’investissement est même très marquée dans notre pays, puisque plus de deux tiers (70% précisément) des dépenses sont réalisées par seulement 3 000 entreprises, dont « la moitié de grands groupes, un tiers d’ETI et seulement 15% de PME »[6].

Les PME françaises, et a fortiori les micro-entreprises, restent fragiles financièrement. Et leurs marges, qui se sont indéniablement redressées, ont toutefois tendance à stagner à 31,4% depuis deux trimestres, ce qui ne peut que pénaliser leur intention d’investir.

Il y a plus grave encore : l’effort d’investissement des entreprises françaises est globalement mal orienté.

Le retard cumulé d’investissement de ces dernières années se double ainsi d’une autre faiblesse béante de notre économie : la modernisation très lente de nos entreprises, liée à la fois à une robotisation insuffisante et à un niveau d’investissement en Nouvelles Technologies réduit par rapport aux Etats-Unis et à la moyenne de la zone euro depuis plus de quinze ans.

Les résultats du dernier indice Desi (Digital Economy & Society index) de la Commission européenne[7] confirment le décrochage digital national en plaçant, par exemple, la France au 16ème rang de l’Union pour l’utilisation des technologies numériques, tout particulièrement s’agissant des entreprises de petite taille, en 2016.

Il devient donc particulièrement urgent d’accélérer la modernisation de nos usines, mais aussi celle des sociétés de services.

Pour sauver l’industrie française, et ses 7,6 millions d’emplois directs et indirects, la relance de l’investissement ne passera pas seulement par la poursuite de la restauration des marges (même si la politique de baisse de charges prévue par Emmanuel Macron et Edouard Philippe sera la bienvenue). Elle appelle surtout un formidable effort de formation des patrons, futurs patrons et salariés aux technologies du futur. Donc une réforme profonde de la formation initiale et continue française, incapable jusqu’à présent de venir en appui au développement de notre appareil productif.

On ne devra pas oublier non plus les services dans les mutations à venir. Le repli de l’excédent commercial du secteur tertiaire (passé de +24 milliards en 2012 à seulement + 29 millions l’an dernier) doit nous ouvrir les yeux sur la compétitivité dégradée de ce secteur, qui doit aussi accélérer sa dynamique d’équipement en plates-formes numériques et dépenser plus en formation, pour rivaliser à armes égales avec ses concurrents mondiaux.

Si nous venions à ne pas gagner la bataille des compétences, nous ne pourrions prétendre remporter celle de l’investissement, ni nous imposer en matière de productivité et d’innovation.

A titre d’exemple, le différentiel de gains de productivité entre les Etats-Unis et la France s’explique principalement depuis les années 2000 par une intégration moindre des nouvelles technologies par les entreprises de l’hexagone[8].

Or, de nombreuses solutions existent pour réduire l’écart avec les pays qui nous devancent en la matière.

Sur le plan fiscal, plusieurs pistes ont été avancées au cours des derniers mois, dont celle d’un « crédit d’impôt numérique », qui permettrait – par fusion ou non avec l’actuel « crédit d’impôt innovation » – d’octroyer un incitatif sérieux à l’engagement rapide des TPE/PME dans la transition digitale.

Le financement de celle-ci à grande échelle par le système bancaire -en l’absence de garanties comme les banquiers peuvent en obtenir pour le financement des équipements- s’annonce difficile pour les prochaines années.

Il est temps de nous mettre autour de la table avec les acteurs économiques et financiers concernés pour proposer de nouvelles solutions de « prêt digital » et de garanties.

Mais celles-ci ne remplaceront de toute façon jamais les réponses flexibles et facilement industrialisables, destinées à faciliter l’accélération de l’appropriation des stratégies et technologies numériques par les dirigeants d’entreprises de moins de 250 salariés.

On peut en effet imaginer et concevoir des réponses offrant à ces derniers la possibilité de se faire aider (à très bas coûts) par des sociétés de petite ou grande taille, en capacité de leur transmettre leur expertise pour procéder aux différentes étapes devant déboucher sur l’adaptation de leur business model à la transformation numérique.

C’est tout l’enjeu de la « solidarité » inter-entreprises à l’ère de l’économie de la connaissance.

 

Le redressement de l’investissement des entreprises françaises doit être très ambitieux en 2017-2018, non seulement en quantité mais aussi en qualité. Car il conditionne le rebond de la productivité et de l’innovation et, in fine, de la compétitivité de notre économie. Les premiers signaux de reprise sont encourageants et le redressement des marges, au plus haut depuis le début des années 2000, laisse augurer l’entrée dans une nouvelle « séquence, qui passe par une hausse des investissements »[9]. Pour autant, ce mouvement de « ré-investissement » productif national ne sera pas mécanique. Il doit être stimulé, non seulement par des décisions de politique économique qui y concourent, mais aussi par la recherche de solutions agiles, de nature à aider les PME à accélérer leur développement numérique dans les services comme dans l’industrie.

 

[1] Helmut Schmidt, 3 novembre 1974.

[2] Marc Bloch, Les rois thaumaturges, 1924.

[3] OCDE, Perspectives économiques globales, juin 2017.

[4] Baromètre Euler Hermes, Investissement et trésorerie des entreprises, avril 2017.

[5] La Fabrique de l’Industrie, L’énigme de l’investissement, www.la-fabrique.fr, juin 2017.

[6] Ibidem.

[7] Commission Européenne, Digital Economy&Society Index, mars 2017.

[8] France Stratégie, Comprendre le ralentissement de la productivité française, La note d’analyse, janvier 2016.

[9] Interview d’Eric Heyer (OFCE), Un cercle vertueux se met en place, in Les Echos, 31 mai 2017.

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