logo_blanc
Rechercher

Europe : Les scandales bancaires sapent la confiance transatlantique

confiance transatlantiqueDans un récent rapport, Martin Kreutner, expert en matière de lutte contre la corruption, a comparé l’intégration plus poussée de l’Andorre au sein de l’UE à l’entrée d’un « cheval de Troie » dans le système financier européen, mettant ainsi un peu plus à mal la confiance transatlantique. | Source : Pixabay

Avec la multiplication des scandales bancaires en Europe, la confiance transatlantique est mise à mal.

 

La guerre en Ukraine a mis en évidence les multiples fissures et faiblesses de l’alliance occidentale. Face aux pression extérieures, l’Occident ne peut pas se permettre de négliger ses vulnérabilités comme elle l’a fait dans les années de l’après-guerre froide. Le secteur bancaire et financier compte parmi ces vulnérabilités (par exemple, la menace qui pèse sur le dollar en tant que monnaie de réserve). L’argent obscur (« dark money »), associé à une mauvaise surveillance et à ses épiphénomènes, constitue une réelle menace qui peut faire vaciller le système à tout moment, car celui-ci a besoin de transparence pour conserver la confiance transatlantique et la stabilité.

Les banques ont montré une faiblesse particulière ces derniers temps. En voici le dernier exemple : des investisseurs américains s’apprêtent à poursuivre le gouvernement suisse pour la manière dont il a organisé un « mariage forcé » entre les deux plus grandes banques du pays. L’action des autorités suisses a anéanti l’investissement de 17 milliards de dollars des détenteurs de fonds propres additionnels de catégories 1 de la banque, portant atteinte à la confiance transatlantique à la fois dans les banques européennes et dans la compétence de leur supervision par les gouvernements européens. Les élections générales du mois prochain en Andorre pourraient contribuer à éroder davantage cette relation.

À l’instar de la Suisse, la minuscule principauté pyrénéenne d’Andorre possède un secteur bancaire surdimensionné qui représente plus de 20 % de son PIB. Elle a attiré d’importants dépôts de riches investisseurs du monde entier, motivés par le secret, la légèreté de la réglementation et la générosité des dispositions fiscales. Il s’agit d’un pays souverain et enclavé de quelque 80 000 habitants, doté de ses propres lois et institutions politiques, mais fortement associé à la France et à l’Espagne. Par rapport à d’autres pays en Europe, le statut de la Principauté d’Andorre a permis toutes sortes d’agissements troubles dans le secteur bancaire du pays, qui ont déclenché d’énormes scandales dans les médias ces derniers mois. Il est certain que ces scandales auront une incidence sur les prochaines élections ainsi que sur la confiance transatlantique.

Les élections en Andorre passeraient généralement inaperçues si ce n’était que le pays (ainsi que d’autres paradis fiscaux comme Saint-Marin et Monaco) se trouve actuellement à un stade avancé des négociations avec l’Union européenne (UE) en vue d’une intégration plus poussée par le biais d’un accord d’association. Dans un récent rapport, Martin Kreutner, expert en matière de lutte contre la corruption, a comparé cette situation à l’entrée d’un « cheval de Troie » dans le système financier européen. Le point de vue de Martin Kreutner fait autorité puisqu’il est le doyen émérite de l’IACA, l’Académie internationale de lutte contre la corruption, une agence intergouvernementale basée en Autriche qui forme les fonctionnaires, en particulier ceux de l’UE, et les professionnels aux mesures de lutte contre la corruption.

La façon dont l’Andorre gère son secteur bancaire hors norme sera au cœur des élections et des négociations avec l’UE. Le Premier ministre Xavier Espot, qui est candidat à sa réélection, est accusé par les investisseurs de subvertir l’État de droit dans le cadre d’un abus de pouvoir visant à protéger les anciennes familles de banquiers de l’Andorre de l’attention des autorités américaines. Ce scandale, connu dans les médias sous le nom d’« Andorragate », devrait servir d’avertissement pour les investisseurs et les décideurs politiques.

En 2015, l’une des plus grandes banques de l’Andorre, la Banca Privada d’Andorra (BPA), a été nationalisée de force par les autorités andorranes à la suite de l’émission d’un avis par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) du département du Trésor américain, qui désignait la BPA comme une institution financière étrangère suscitant des préoccupations majeures en matière de blanchiment d’argent. Ces accusations ont été présentées sans preuve et n’ont jamais fait l’objet d’une enquête de la part des autorités andorranes. Le PDG de la BPA, Joan Pau Miquel, a passé deux ans en prison en Andorre sans avoir été inculpé. Les actionnaires de la BPA réclament aujourd’hui 500 millions d’euros au gouvernement de l’Andorre pour la prise de contrôle injuste et imprudente de la banque.

De nombreux éléments de l’affaire ont depuis été révélés et laissent penser que le gouvernement de l’époque a été incité par les États-Unis à prendre des mesures contre le blanchiment d’argent et qu’il a utilisé la BPA comme bouc émissaire pour protéger d’autres banques de la surveillance. L’ancien ministre espagnol de l’Intérieur, Francisco Martinez, a récemment affirmé dans une lettre adressée au Premier ministre andorran que l’Unité d’intelligence financière de l’Andorre (UIFAND) pourrait même avoir fourni à la FinCEN des informations incorrectes et trompeuses qui ont conduit l’agence américaine à émettre l’avis. Selon les accusations explosives formulées ce mois-ci par l’enquêteur privé Paco Marco dans un documentaire diffusé à la télévision espagnole, à l’époque, les autorités policières américaines s’étaient intéressées à une opération présumée de blanchiment d’argent menée par un réseau néerlandais de trafiquants de drogue par l’intermédiaire du Crédit Andorrá, une autre banque andorrane entretenant des liens étroits avec le gouvernement. Ces accusations ont fait la une des journaux en Espagne et en Andorre.

Les anciens actionnaires de la BPA, Higini et Ramon Cierco, ont affirmé que « la BPA était la seule banque détenue par des personnes étrangères à l’establishment andorran ». C’est la raison pour laquelle la banque a été ciblée par l’élite andorrane comme le bouc émissaire à présenter aux autorités américaines. Ce scénario présumé a conduit les actionnaires en colère de la BPA à déposer une plainte contre le Premier ministre andorran pour « fraude, trafic d’influence et gaspillage de fonds publics » dans le cadre de la gestion de l’affaire.

Dans son rapport sur l’Andorre, l’expert en matière de lutte contre la corruption Martin Kreutner a relevé « d’importantes faiblesses juridiques et réglementaires » dans le pays, auxquelles il faut manifestement remédier. Sa principale préoccupation concerne le secteur bancaire et les risques qu’il court en raison de l’absence d’une banque centrale et d’un contrôle adéquat. Martin Kreutner a déclaré que « la capacité de l’Andorre à réglementer son secteur bancaire et à enquêter sur les scandales bancaires de manière transparente et équitable est essentielle si le pays venait à être autorisé à poursuivre son intégration au sein de l’UE ». Il conclut que « l’amélioration de la réglementation en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent devrait être au centre de l’agenda de l’Andorre, en particulier lors des prochaines élections ».

Gérard Vespierre, analyste en géopolitique et rédacteur en chef de la revue française Le Monde Décrypte, se fait l’écho de cette préoccupation. Dans une récente étude sur les micro-États européens, il a estimé que l’Andorre constituait « une menace pour l’État de droit en Europe ». Pour Gérard Vespierre, l’affaire BPA illustre « comment le non-respect de l’État de droit et l’absence de procédure régulière dans la réglementation bancaire peuvent mettre en danger les entreprises privées et les particuliers ». Et surtout, mettre en danger le système bancaire européen, voire occidental, pourrait-on ajouter. Dans le climat actuel de tension mondiale et de division entre l’Occident et les autres pays, ce genre de faiblesse pourrait s’avérer désastreux, notamment pour la confiance transatlantique. Surtout si l’on considère la récente vacillation des grandes banques aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans l’UE.

David Tepper, le fondateur milliardaire d’Appaloosa Management, a déclaré au Financial Times dans le sillage de l’affaire de Credit Suisse : « Si on laisse faire, comment peut-on faire confiance à un titre de créance émis en Suisse, ou même dans toute l’Europe, si les gouvernements peuvent simplement changer les lois après coup. » Un autre investisseur a qualifié la Suisse de « république bananière ». Seul l’avenir dira si la défense de la Suisse est solide. Une chose est cependant certaine : dans des pays comme la Suisse et l’Andorre, les banques sont une question de fierté nationale, et leur gestion est inséparable de la politique et des affaires du gouvernement.

Bien qu’ils soient ancrés dans de petits pays, les services bancaires andorrans et suisses sont utilisés dans le monde entier. Un accord d’association avec l’UE ne ferait qu’accroître l’attrait de l’Andorre pour les investisseurs à la recherche d’un havre de paix à faible taux d’imposition pour leurs économies. Cependant, un nuage sombre plane sur le micro-État. Le scandale de l’Andorragate suggère que la réglementation bancaire, sous le gouvernement actuel, est plus une question de connaissances que de comportement. Même le plus petit soupçon de favoritisme influençant la règle de droit aura un effet dissuasif sur les investisseurs potentiels, en particulier dans le sillage de l’affaire de Credit Suisse. Tant que cette affaire et celle de la BPA ne seront pas résolues, la confiance transatlantique dans les banques européennes continuera d’être menacée.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Melike Kaylan

<<< À lire également : Credit Suisse emprunte 54 milliards de dollars à la banque centrale de la Suisse >>>

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC