Yan Lan, La Banquière Au Cœur De L’Histoire Chinoise

PSA, Saint-Gobain ou encore Areva, autant d’entreprises aiguillées par les précieuses recommandations de la CEO de la Banque Lazard en Chine. Yan Lan, ancienne avocate, conseille les plus grandes entreprises françaises lorsqu’elles souhaitent s’implanter dans son pays d’origine. Pourtant, rien ne laissait présager une telle influence lorsqu’elle raconte le parcours de sa famille dans son livre « Chez les Yan » . Retour pour Forbes sur son destin exceptionnel.

Chez les Yan est un ouvrage qui incarne l’Histoire, en donnant des visages et des noms à des évènements traumatisants : la Révolution Culturelle, le Grand Bond en Avant etc. À travers sa biographie, c’est l’ensemble de l’Histoire chinoise du XXème siècle qui se profile. La famille de Yan Lan a elle aussi eu un destin remarquable. En effet, son grand-père, Yan Baohang, informe l’URSS avec 15 jours d’avance que l’Allemagne Nazie prépare l’opération Barbarossa. Ou autrement dit, l’invasion de l’URSS le 22 juin 1941. Autant de récits qui plongent le lecteur dans l’Histoire du XXème siècle.

 

 

Une femme engagée 

Yan Lan est la seule femme de Lazard à diriger un pays au sein d’une des plus prestigieuses banques de conseil au monde. Et elle a fait de sa vie un miroir de son engagement pour les femmes. En effet, 60% des postes de haut niveau de son équipe sont tenus par des femmes.  » Celles-ci sont des modèles pour d’autres en début de carrière  » nous explique-t-elle. Yan Lan a aussi créé Half Sky, un club informel de networking pour les femmes à Hongkong. Elle était enfin présente en septembre dernier au Women’s Forum à Paris avec Chiara Corraza où elle s’exprimait avec un français impeccable. Selon elle,  » il y a peu de femmes en politique en Chine, mais il y en a beaucoup dans le secteur économique. »

 

Si Yan Lan se bat encore pour promouvoir la parité, la Chine communiste avait déjà amorcé le processus. Aussi, dans les années 1950 et 1960 en Chine, l’idée que les femmes étaient aptes au même titre que les hommes s’étale sur des affiches. Avec le communisme chinois, plus rien ne semblait distinguer une femme d’un homme. En effet, il s’agissait de former la jeune génération à l’image d’une humanité unisexe. Paradoxalement, cette lutte ne s’inscrivait pas dans une volonté d’égalité mais luttait plutôt pour ne pas révéler une mentalité bourgeoise.

Son livre, étudier l’histoire de la Chine

Ce livre permet notamment de mieux appréhender la complexité des relations entre les 2 géants communistes : l’URSS et la Chine. Si ces relations étaient d’abord constructives – le géant soviétique apporte son aide pour moderniser la prison spéciale et politique de Qincheng à Pékin … Rapidement, celles-ci se détériorent à cause d’un désaccord sur la coopération militaire, notamment sur la création d’une base navale conjointe. La question des « mers chaudes » pour la Russie a toujours été importante depuis le XIXème siècle. Fait surprenant et souvent oublié : l’URSS avait signé un traité d’alliance et d’amitié avec Tsang Kai-Chek, parti nationaliste opposé à la Chine de Mao ! D’où provient une certaine rigidité entre les relations entre la Chine et son voisin soviétique.

La révolution culturelle prend place. Il s’agit de combattre « les quatre vieilleries » : les idées anciennes, la culture ancienne, les coutumes anciennes ainsi que les usages anciens. Tout commence avec de la Campagne des cent fleurs, initiée par Mao Zedong en 1957. Tout au long de cette période, l’esprit critique est mis en avant. «C’est l’histoire d’une comédie qui va se muer en tragédie » note le sinologue français Jean-Luc Domenach. Cette campagne qui a pour slogan « que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » mènera à la mort entre 40 à 55 millions de personnes et donnera naissance au «Grand Bond en avant », une politique économique catastrophique. Avec cette révolution, la Chine perd 20 ans.

La famille de Yan est alors considérée comme antirévolutionnaire. C’est alors le temps où « si tu veux condamner quelqu’un, tu lui trouveras toujours un crime ». Ses parents sont enfermés, son grand-père est emmené sous ses yeux et sa mère assignée à résidence. Elle n’a qu’à peine dix ans. Illustration de cette « Révolution qui n’est pas un dîner de gala », euphémisme tiré du Petit Livre Rouge de Mao Zedong.

Pour en comprendre sa force actuelle

 

C’est en appréhendant l’histoire récente de la Chine que l’on comprend enfin d’où provient cette force actuelle. En vérité, le rationnement mis en place durant la Révolution Culturelle ne se terminera que très progressivement dans les années 1990 !  » Peu importe le mode de production soit individuel ou collectif, l’essentiel est qu’il contribue à augmenter la production alimentaire. Peu importe la couleur du chat. Noir ou blanc, l’essentiel est qu’il attrape la souris.  » Cette citation de Deng Xiaoping, l’artisan du miracle économique chinois, illustre le pragmatisme qui fait désormais foi en Chine. L’ancien secrétaire général du PCC a étudié en France et a travaillé en tant qu’ouvrier à l’usine Renault à Billancourt. C’est à Paris, dans le XIIIème arrondissement parisien, rue Godefroy, qu’il rencontre Zhou Enlai qui deviendra, plus tard, Premier Ministre en Chine. Une révolution qui s’était en partie préparée en France.

Aujourd’hui, la Chine avance promptement, avec un mélange complexe de tradition et modernité, de liberté et de censure, d’ambition et d’humilité. Une terre de contradictions qui s’apprécient difficilement. Si Yan Lan raconte avec virtuosité l’histoire de sa famille, c’est toute l’histoire de son pays qui s’écrit en filigrane. Un ouvrage clef pour mieux cerner le géant économique que représente la Chine.