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Pollution Environnementale Des Mégots De Cigarettes, Premier Délit D’Écocide ?

mégotsSource : Getty

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique et Eric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, ont annoncé dans une interview conjointe au JDD publiée le 22 novembre 2020 leur décision de créer un délit d’écocide, visant à sanctionner les atteintes graves à l’environnement. Il s’agit de la traduction d’une des 150 demandes de la Convention citoyenne pour le climat voulue par le Président de la République Emmanuel Macron. Par Pauline Delpech, présidente de l’association Pour Une Nouvelle Politique Anti-Tabac (PUNPAT).

Il faut se rappeler que les membres de cette dernière demandaient la création d’un « crime d’écocide » et le débat naturel et sain dans une démocratie entre ce qui est « souhaitable » et «possible ou acceptable » trouvera sa place au Parlement, notamment.

Reconnaissons déjà que l’intention « de créer un délit général de pollution », pour reprendre les termes d’Eric Dupond-Moretti, est à la fois louable et indispensable. Face aux dommages quotidiens, face aux atteintes destructrices et répétées que subit notre planète, face aux dégâts parfois irréversibles dont souffre notre environnement immédiat et celui de nos enfants, il faut agir. La thèse de ceux qui critiquent la décision isolée d’un pays, goutte d’eau qui serait inutile, n’est pas plus acceptable. Il faut que l’exemple soit donné pour être suivi.

L’enfer étant pavé de bonnes intentions, il faudra du concret, et des résultats tangibles. Pour cela, il ne faudra pas craindre de s’attaquer aux lobbies de toutes sortes, locaux ou internationaux. Je veux croire que la rétrogradation pénale de l’écocide d’un « crime » en un « délit » a pour objectif de s’assurer que la règle sera appliquée, que les juges la mettront en œuvre, et que cet article ne restera pas une autre lettre morte. Que l’article du code pénal ou du code de l’environnement ne sera pas seulement un autre ajout anecdotique dans les livres de droit.

Une importante bataille sur la pollution des mégots a récemment été perdue. Cette lutte est l’un des sept piliers fondateurs de mon association PUNPAT. Le mégot est la première source de pollution des courts d’eau et des océans et met 12 longues années à disparaitre. Entre temps, les 4 000 à 6 000 substances chimiques qu’il contient auront pollué 500 litres d’eau ou 1m3 de neige. Et 90% des 6 000 milliards (oui, six mille milliards) de cigarettes fumées chaque année sont dotées d’un filtre, ce qui fait prendre conscience de l’ampleur du désastre, réel et potentiel.

J’ai commencé ce combat en 2013 et j’ai donc été ravie quelques années plus tard d’entendre Edouard Philippe, Premier ministre, exiger qu’on traite ce problème environnemental majeur. Et puis… et puis pas grand-chose, en dépit de l’Article 5.3 de la Convention-Cadre de Lutte Anti-Tabac de l’OMS sur les liens pouvoirs publics/lobby du tabac, ratifiée par la France en 2005.

De guerre lasse sans doute, le gouvernement d’alors a pris deux décisions : raviver l’article R.633-6 du code pénal pour sanctionner d’une amende de 68 euros le jet de mégot sur la voie publique, et créer une filière REP (Responsabilité élargie du Producteur) et un éco-organisme chargé d’en coordonner le déploiement, la Mission Mégots, dont la responsabilité a été confiée… aux cigarettiers. Le site qu’ils viennent de créer est d’ailleurs un simple outil de communication : missionmegots.fr, mais en même temps pourquoi se gêneraient-ils puisqu’on leur a confié les clés de la maison ?

Mégot et filtre

Alors que le débat parlementaire et citoyen va s’ouvrir sur l’écocide, sur les contours à donner au «délit général de pollution» ainsi qu’au « délit de mise en danger de l’environnement », ce débat sur la pollution des mégots peut devenir un révélateur.

Comme pour l’histoire de l’œuf et de la poule, nous devons constater que si nous sommes victimes de la pollution des mégots, c’est que les cigarettes sont dotées d’un filtre. Et d’où vient ce filtre ? Quelle est son utilité, sa justification alors que les Gauloises et Gitanes de nos grands-pères en étaient dépourvues ? Si nos grands-pères n’avaient pas de soucis à avoir des résidus de tabac dans la bouche, tel n’était pas le cas des femmes et des ados. Les fabricants de tabac ont trouvé la parade dans les années 1950 pour faire entrer ces derniers à leur tour dans le tabagisme : doter les cigarettes d’un filtre.

Les filtres sont pour l’essentiel fabriqués en acétate de cellulose. Les cigarettiers les ont évidemment présentés comme un outil censé « retenir » les substances nocives contenues dans la fumée de cigarette. En réalité, les filtres relèvent d’une démarche marketing pour trouver de nouveaux consommateurs.

En outre, le filtre de cigarette n’atteint pas son objectif. Le développement des filtres se traduit aujourd’hui, selon Santé Publique France, par une augmentation très préoccupante des cas de maladies dues à la cigarette : le nombre de maladies et de décès provoquées par le tabac a explosé d’une manière particulièrement préoccupante chez les femmes depuis le début des années 2000. Ainsi entre 2002 et 2015, le nombre de nouveaux cas annuels de cancer du poumon a augmenté de 72% chez les femmes, le nombre de femmes hospitalisées pour une exacerbation de Broncho Pneumopathie Chornique Obstructive a doublé, et il a augmenté de 50% pour l’infarctus du myocarde.

Au regard de ces chiffres préoccupants et de leur évolution, il apparait que le filtre ne semble pas avoir d’utilité autre qu’esthétique. Il s’agit d’un outil marketing, qui sert à éviter le contact direct avec le tabac, en adoucissant une fumée toujours aussi toxique. Il permet aux gorges sensibles de commencer à fumer et aux autres de fumer davantage pour maximiser le potentiel addictif de la nicotine.

« Banditisme environnemental » et exemplarité

Ainsi, le filtre trompe délibérément les fumeuses et les fumeurs sur la dangerosité du tabac, et le mégot devient la première source de pollution des rivières et mers. En outre, la cigarette est déjà un produit polluant, tant par la fumée qu’il rejette dans l’atmosphère, que par sa culture – la pousse de tabac nécessite des produits chimiques tellement dévastateurs qu’il cause de terribles affections aux enfants qui le cultivent (au Zimbabwe et au Malawi…).

En commercialisant chaque année 5400 milliards de cigarettes avec des filtres produisant 5400 milliards de mégots pouvant mettre jusqu’à 12 ans à se décomposer en polluant chacun jusqu’à 500 litres d’eau, l’industrie du tabac ne devient-elle pas l’un des meilleurs exemples du « banditisme environnemental » que dénoncent de concert Barbara Pompili et Eric Dupond-Moretti ?

Ne serait-il pas exemplaire que la première expression du délit d’écocide soit appliquée en l’espèce au lobby du tabac qui est certainement aujourd’hui, comme on l’a vu, l’une des industries les plus cyniques qui soient ?

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