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Long-format | L’IA de la start-up Protein Evolution conçoit des enzymes mangeuses de déchets plastiques

Protein EvolutionConnor Lynn, cofondateur de Protein Evolution. | Source : Capture d’écran vidéo

Les décharges débordent de déchets plastiques. La start-up Protein Evolution de l’inventeur en série Jonathan Rothberg a trouvé une solution : utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour créer des enzymes capables de recycler les vieux textiles en polyester en un matériau qui agit comme s’il était neuf. La start-up, créée il y a trois ans, doit maintenant prouver qu’elle peut passer à l’échelle supérieure.

Article d’Amy Feldman pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

Dans un laboratoire niché dans une ancienne usine de fabrication d’armes à New Haven, dans le Connecticut, une machine chauffe des déchets plastiques à 280 °C et recrache des chaînes de matériaux gluants qui commencent à durcir au contact de l’air. Cette substance, composée de textiles et de déchets post-industriels destinés à la décharge, sera broyée pour créer un nouveau matériau, qui va devenir la nourriture d’une enzyme conçue à l’aide de l’IA par la start-up Protein Evolution. L’ambition de la start-up est d’utiliser l’IA pour créer de nouvelles enzymes capables de décomposer les plastiques et les textiles à base de plastique.

« Ensuite, nous le donnons à manger aux requins », a plaisanté Jay Konieczka, directeur de la technologie, qui se tenait en blouse blanche à côté d’un réacteur rempli d’enzymes et d’eau, qui décomposera les matières plastiques en leurs principaux composants. Le matériau résultant du processus que la société appelle Biopure est censé être impossible à distinguer du polyester fabriqué à partir du pétrole et peut être utilisé de la même manière dans les tissus. Protein Evolution espère que son procédé enzymatique permettra aux vieux vêtements, draps et autres textiles de devenir entièrement recyclables.

 

Une solution pour répondre à un problème majeur

Le monde est confronté à un grave problème de plastique. Environ 460 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année, un chiffre qui ne fera qu’augmenter à mesure la société de consommation continuera de prospérer. Selon l’OCDE, seuls 9 % des plastiques sont effectivement recyclés. Le reste finit dans les décharges ou incinéré, et c’est ce que Jonathan Rothberg, cofondateur de Protein Evolution, a déclaré vouloir cibler. « Il faut recycler les 91 % que les gens ne recyclent pas : toutes ces saletés, tous ces produits mélangés, pas les bouteilles d’eau parfaitement propres qui ont été rincées », a déclaré Jonathan Rothberg, un inventeur et entrepreneur en série qui est surtout connu pour avoir inventé et commercialisé le séquençage de l’ADN à grande vitesse.

C’est dans ces 91 % que les scientifiques voient un potentiel pour ce que l’on appelle le recyclage biologique : l’utilisation d’enzymes qui décomposent rapidement le plastique sans créer de microplastiques ni dégrader le matériau au cours du processus. Cependant, le nombre d’enzymes mangeuses de plastique potentielles est supérieur au nombre d’atomes dans l’univers connu, ce qui a empêché les chercheurs de faire de grands progrès.

C’est là qu’intervient l’IA. « Au cours des cinq dernières années, le monde de l’ingénierie enzymatique s’est ouvert grâce à l’IA », a déclaré Jonathan Konieczka. Le modèle d’IA développé par Protein Evolution intègre des données publiques sur des dizaines de milliers de protéines qui l’aident à produire des milliers de séquences d’acides aminés représentant de nouvelles enzymes. Protein Evolution utilise ensuite des algorithmes, notamment le système d’IA AlphaFold développé par Google DeepMind, qui prédit la structure d’une protéine à partir de sa séquence d’acides aminés, et teste celles qui semblent les plus prometteuses dans les réacteurs du laboratoire.

Au début de Protein Evolution, la plupart des nouvelles enzymes suggérées par le modèle d’IA étaient des « déchets », a déclaré Jonathan Konieczka, mais au fur et à mesure que l’équipe intégrait de nouvelles informations sur ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas, le modèle d’IA a appris à concevoir de meilleures enzymes mangeuses de plastique.

Jonathan Konieczka estime qu’il peut continuer à améliorer la conception des enzymes pour qu’elles fonctionnent plus rapidement ou à des températures légèrement inférieures, ce qui rendra l’ensemble du processus plus efficace et moins coûteux. « Nous nous sommes concentrés sur les coûts dès le premier jour », a déclaré Connor Lynn, cofondateur de Protein Evolution, qui dirige l’entreprise.

 

Plusieurs start-up se sont engouffrées dans la brèche

Forte d’un capital-risque de 25 millions de dollars et de l’envie de lever au moins autant de fonds cette année, cette start-up se prépare à construire une usine pilote qui pourrait produire 300 tonnes de plastique recyclé par an en 2025. Elle espère ensuite construire une usine commerciale d’une capacité de 50 000 tonnes par an en 2028.

 


« Il faut recycler les 91 % que les gens ne recyclent pas : toutes ces saletés, tous ces produits mélangés, pas les bouteilles d’eau parfaitement propres qui ont été rincées »

Jonathan Rothberg, cofondateur de Protein Evolution


 

Protein Evolution n’est pas la seule start-up à tenter de faire du recyclage biologique une réalité. La société française Carbios, cotée en bourse et dont la capitalisation boursière avoisine les 400 millions de dollars, a inauguré la semaine dernière une usine de biorecyclage du poly(téréphtalate) (ou PET) près de la frontière belge, d’une capacité de 50 000 tonnes. Par ailleurs, la société Breaking, qui s’appuie sur un microbe connu sous le nom de X-32 qui mâche et mange le plastique, s’est récemment détachée de Colossal Biosciences, la start-up cofondée par le généticien de Harvard George Church et l’entrepreneur Ben Lamm, et connue pour avoir tenté de ressusciter le mammouth laineux. « Nous pensons qu’il s’agit d’un problème existentiel sur lequel un millier d’entreprises devraient travailler », a déclaré Ben Lamm.

Pour toutes ces entreprises, il s’agit encore d’un stade précoce, et la montée en puissance comporte des risques. Aujourd’hui, Protein Evolution ne tire qu’une petite partie de ses revenus d’accords de développement conclus avec une poignée de marques grand public, dont la créatrice britannique Stella McCartney. Pour passer à l’échelle commerciale, Protein Evolution devra construire son usine commerciale d’une capacité de 50 000 tonnes par an, s’insérer dans la chaîne d’approvisionnement de l’élimination des déchets plastiques pour obtenir ou acheter suffisamment de matériaux à recycler, et maintenir ses coûts à un niveau suffisamment bas pour que les marques soient disposées à acheter son polyester.

« Il n’y a aucune raison pour que la technologie ne fonctionne pas et ne soit pas mise à l’échelle. Nous utilisons la technologie enzymatique dans toutes sortes d’autres processus industriels », a déclaré Richard Wielechowski, analyste principal des investissements dans les textiles chez Planet Tracker. Les enzymes sont utilisées dans le traitement des eaux usées et la fabrication de médicaments, par exemple. « Pour moi, la véritable mise en garde est toujours le coût. »

Connor Lynn s’attend à ce que le chiffre d’affaires annuel de l’usine pilote atteigne plusieurs millions de dollars l’année prochaine, et à ce que le chiffre d’affaires de la première installation commerciale atteigne 100 millions de dollars peu de temps après son ouverture. « On ne peut pas résoudre le problème du climat sans résoudre le problème des plastiques », a-t-il déclaré.

 

Le parcours de Jonathan Rothberg

Jonathan Rothberg, 61 ans, passe ses journées sur un yacht ancré au large de Miami, équipé comme un laboratoire complet avec des machines PCR, des imprimantes 3D et d’autres équipements. Jonathan Rothberg, qui a reçu la médaille américaine de la technologie et de l’innovation pour ses travaux sur le séquençage de l’ADN, a fondé une douzaine d’entreprises, dont une qui a conçu des tests PCR à domicile pour le covid-19 pendant les premiers jours de la pandémie (Detect) et une autre qui a réduit la taille des échographes pour les rendre maniables (Butterfly Network).

Après avoir vendu une précédente entreprise spécialisée dans les enzymes, RainDance Technologies, à la société de diagnostic médical Bio-Rad Laboratories pour 73 millions de dollars, lui et Coonor Lynn (25 ans), qui avait travaillé avec lui sur la stratégie et les finances dans ses autres start-up, ont commencé à chercher ce qu’ils pourraient faire d’autre avec les enzymes. « Nous avions incubé les enzymes, mais nous n’avions pas l’application miracle », explique Connor Lynn.

Cela fait maintenant plusieurs dizaines d’années que l’action des enzymes dans la dégradation des plastiques a été prouvée. En 2016, une équipe de chercheurs japonais a publié un article montrant qu’une enzyme appelée « PETase » pouvait ronger des bouteilles en PET. Cependant, la nature n’a pas conçu l’enzyme pour qu’elle agisse sur le plastique : il faudrait qu’elle dévore le plastique beaucoup plus rapidement pour faire une brèche dans le problème des déchets plastiques. Pour autant, si la bonne enzyme pouvait être développée, elle serait idéale pour traiter les plastiques, qui peuvent mettre des centaines d’années à se décomposer dans une décharge et qui, même dans ce cas, se transforment en microplastiques de plus en plus petits.

Jonathan Rothberg a réalisé que les plastiques pouvaient constituer un domaine d’application idéal pour le développement de nouvelles enzymes avec l’IA après avoir été présenté à Ludwik Leibler, un physicien de l’ESPCI ParisTech qui étudiait les performances des plastiques depuis des décennies. L’équipe de l’ESPCI travaillait sur l’ingénierie d’enzymes capables de décomposer les polymères en leurs éléments constitutifs, les monomères, afin de permettre leur recyclage.

« Ludwik Leibler a déclaré : “Écoutez, il ne s’agit pas seulement de dévorer les plastiques” », explique Jonathan Rothberg. « Les plastiques ne sont même pas prêts à être mangés, ils ne sont pas dans une configuration qui permette aux enzymes de s’en approcher suffisamment, de sorte que, quelle que soit la manière dont les enzymes ont été conçues, on n’obtiendrait jamais la première bouchée de Pacman. Il faut d’abord ouvrir les plastiques, puis appliquer la technologie enzymatique. »

En octobre 2021, Jonathan Rothberg et Connor Lynn ont lancé Protein Evolution pour se concentrer sur le recyclage des plastiques. L’entreprise, comme les autres start-up en phase de démarrage de Jonathan Rothberg, n’a pas encore de PDG. Les chercheurs du groupe ont ensuite commencé à concevoir des enzymes en utilisant l’IA pour trier rapidement le nombre inimaginable d’enzymes potentielles.

« La combinaison de l’IA et de l’ingénierie biologique leur a permis d’avancer très rapidement », a déclaré Sophie Bakalar, une investisseuse du Collaborative Fund, qui a étudié de nombreuses entreprises de recyclage des plastiques avant d’investir dans Protein Evolution. « L’IA est un sujet brûlant en ce moment, mais l’entreprise travaille vraiment à son utilisation depuis le début. Il ne s’agit pas d’une entreprise qui prend le train en marche. »

 

Un processus avec une application concrète

Pour mettre en scène son processus de recyclage biologique, Protein Evolution a fait équipe avec la créatrice de mode Stella McCartney, lui envoyant des matériaux recyclés fabriqués à partir de certains des déchets plastiques les plus étranges qu’ils aient pu trouver : les sangles industrielles lourdes utilisées pour sécuriser les conteneurs de fret. Lors de la COP28, la conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s’est tenue à Dubaï en décembre dernier, Stella McCartney a présenté une veste ample de couleur avoine qu’elle avait fabriquée avec ces matériaux, le premier vêtement jamais confectionné à l’aide du recyclage biologique.

Même si la veste n’était qu’une démonstration, Stella McCartney, qui défend depuis longtemps la mode durable, a déclaré à Forbes qu’elle espérait utiliser les matériaux de l’entreprise dans ses vêtements de prêt-à-porter et ses accessoires végétaliens. « Des solutions comme Protein Evolution sont l’avenir de la mode, un avenir où nous pouvons transformer les déchets grâce à la circularité et au recyclage, en créant des produits de luxe attrayants sans utiliser de nouveaux matériaux », a déclaré Stella McCartney par courrier électronique.

En tant que conseillère spéciale en matière de développement durable auprès du géant de la mode LVMH, Stella McCartney a également déclaré qu’elle faisait la promotion de ces matériaux auprès de LVMH et de son PDG milliardaire, Bernard Aurnault. « J’espère qu’ils continueront à suivre notre exemple en matière de développement durable », a-t-elle écrit.

Outre Stella McCartney, Protein Evolution a déjà signé des accords de développement avec cinq marques de mode, a indiqué Connor Lynn, qui a toutefois refusé de les nommer, invoquant des accords de non-divulgation. L’entreprise dispose désormais d’un calendrier ambitieux pour la commercialisation. Connor Lynn espère obtenir des incitations gouvernementales pour construire la nouvelle installation et pense également que les réglementations des États américains, telles que l’interdiction d’envoyer les textiles dans les décharges dans le Massachusetts, donneront un coup de pouce en augmentant la demande de plastiques recyclés. Il a également déclaré que la start-up devrait être en mesure de produire son polyester recyclé à un prix à peu près équivalent à celui des nouveaux matériaux à base de pétrole.

« Rien ne décolle tant que le prix n’est pas le même que celui du produit à remplacer », a déclaré Jonathan Rothberg. « Les processus qu’ils développent actuellement sont compétitifs par rapport aux plastiques vierges, et ils le deviennent encore plus si nous avons des guerres partout et que le prix du pétrole augmente. Je pense que lorsque le baril de pétrole dépasse les 80 dollars [comme c’est le cas aujourd’hui], nous ne sommes pas seulement égaux, nous sommes meilleurs. »

Tiffany Hua, analyste chez Lux Research qui suit les textiles et leur recyclage, estime que le recyclage enzymatique est très prometteur, mais qu’il s’agit encore d’une innovation à un stade précoce et que les grandes questions pour Protein Evolution se poseront au fur et à mesure que l’entreprise construira ses usines. « Je considère qu’il s’agit d’une innovation révolutionnaire », a-t-elle déclaré. « Les processus industriels nécessitent de nombreuses modifications et les processus de recyclage biologique sont encore plus complexes. »

À plus long terme, Connor Lynn espère dépasser le cadre de la mode et travailler sur le recyclage de matériaux synthétiques autres que le polyester, tels que le nylon ou peut-être même les tissus qui ont été enduits de « produits chimiques à vie », ou PFAS. « Le polyester est partout », a-t-il déclaré. « Nous nous intéressons aux vêtements bon marché et aux utilisations alternatives du polyester et des tapis, ainsi qu’à l’emballage. »

Protein Evolution envisage un objectif potentiellement plus important : utiliser des enzymes pour développer un nouveau type de plastique qui se biodégraderait de lui-même. Il s’agit là d’un objectif sacré pour ceux qui se soucient de l’environnement.

« Une fois que l’on a décomposé le PET en ses éléments fondamentaux, peut-on le recomposer en PET ? Oui, absolument. Peut-on l’assembler dans des éléments différents avec de nouvelles propriétés et applications ? Oui, bien sûr », a déclaré Paul Anastas, professeur de chimie de l’environnement à Yale et ancien haut fonctionnaire de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, qui joue le rôle de conseiller scientifique auprès de l’entreprise. « Il ne s’agit pas seulement de démonter les pièces et de les remonter à l’identique. Il s’agit de transformer de mauvais plastiques en bons plastiques. »

 


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