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« Vous pouvez analyser toutes les situations de votre vie à travers le triptyque : moi, l’autre, la situation »

Interview | Elle est une ancienne thérapeute, lui un ancien du GIGN. Anne-Gervaise Vendange et David Corona ont décidé d’abandonner – en partie -, leur vie d’avant pour lancer leur entreprise de formation de gestion auprès des managers en mars 2020. Ils multiplient depuis, les apparitions médiatiques. Pour Forbes France, ils reviennent sur les raisons de ce choix et leur expérience entrepreneuriale. 

Dans une autre vie, elle était thérapeute, lui négociateur pour le GIGN. Il a notamment géré les négociations lors de l’attaque de Charlie Hebdo et celle de Trèbes, quand elle s’attelait à combattre la résistance aux changements grâce aux thérapies brèves ou à l’hypnose. Mais depuis mars 2020, Anne-Gervaise Vendange et son époux David Corona sont à la tête d’In-Cognita. Une structure hybride qui forme des managers à la gestion du stress et à la négociation et accompagne aussi des patrons victimes de « ransomware ». 

 

Comment passe-t-on d’une activité de gendarme et de thérapeute à l’entrepreneuriat marital ? 

Anne-Gervaise Vendange : Pendant des années, nous nous sommes formés ensemble, on s’est beaucoup supervisés dans nos pratiques. La négociation s’appuie énormément sur la recherche et le développement dans le cadre de la thérapie. 

Lorsque je rentrais du cabinet, il me disait : « Est-ce que t’as essayé ça ou ça avec telle personne ? », et inversement.  Nous nous sommes rendu compte que nous faisions le même job. Pas dans le même cadre mais en utilisant les mêmes leviers. Nous avons établi alors le constat suivant : la négociation et la systémie relationnelle, un mouvement qui se concentre sur la communication dans les organisations (familles, entreprises) sont complémentaires. Et puis, chacun de son côté, nous avons commencé une activité d’accompagnement, un peu sous le manteau, en parallèle de nos jobs respectifs.

David Corona : Pour moi, cela a débuté par l’accompagnement de sportifs de haut niveau. J’ai eu une « succès story » dans l’équitation avec un cavalier français aux Jeux olympiques 2016 à Rio où il remporte la médaille d’or de saut d’obstacles. 

A-G.V : Quand je le vois passer sur Equidia avec son nom qui s’affiche, je me dis “La ca va poser problème, on va devoir faire nos valises, quitter notre logement de fonction”, car à ce moment là il travaille encore pour le GIGN !

D.C : C’était risqué mais cela m’a ouvert des portes car beaucoup de dirigeants de très grandes entreprises pratiquent l’équitation. C’est comme cela que j’ai commencé à avoir des propositions d’accompagnement en société. 

A-G.V : Au bout de plusieurs années, on n’a plus eu assez de jours de repos pour pouvoir délivrer ce qu’on délivrait à côté. Nous avons arrêté nos deux métiers respectifs pour monter notre entreprise. Ça a été un grand saut dans le vide. On a lancé cette boîte une semaine avant le premier confinement de 2020. Nous nous sommes retrouvés avec une maison, six gosses et une entreprise en libéral sans revenus à une semaine de la fermeture du pays. 

 

Votre entreprise voit le jour dans un contexte de pandémie, cela a-t-il été compliqué ? 

A-G.V : Etonnamment, cela a marché rapidement. Nous avons été appelés tout de suite par nos anciens clients, et puis grâce au bouche-à-oreille notre activité a explosé.

La pandémie s’est finalement avérée être une opportunité car nous sommes arrivés dans un monde en crise alors que nous proposions un service d’accompagnement dans la gestion de crise. Qui plus est avec une approche différente et novatrice.

 

Qu’est-ce qui vous a permis de vous différencier ? 

D.C : Le marché de la négociation est très technico-technique. Les boîtes de négociations essayent de singer ce que font les négociateurs de crise, ou font des types de négociations assez peu sensibles à la profondeur des dynamiques humaines. 

Elles possèdent une espèce de trousse à outils et des formules magiques censées marcher avec tout le monde, sans forcément l’adapter de manière très ad hoc à chaque personne, à chaque individualité, à chaque fonctionnement. 

Quand nous arrivons sur le marché, nous sommes dans l’optique suivante : nous allons déconstruire nos savoirs pour mieux les reconstruire afin d’apporter une expertise particulière qui est au croisement de nos deux spectres d’expertise.

 

Concrètement, comment cela se manifeste-t-il ? 

A-G.V : Cela dépend du profil et de la personnalité de nos clients. Nous faisons un travail systématique de documentation sur ceux-ci afin de trouver les bons leviers d’influence pour arriver à dénouer des situations complexes. On accompagne les directions et les dirigeants en tout premier lieu. On intervient dans tout ce qui va être autour des problématiques de management complexe, c’est-à-dire quand les compétences apprises par les managers durant leurs formations ne fonctionnent plus. 

D.C : Il y a deux manières de regarder ces situations compliquées. On peut regarder ça sous l’angle de l’expertise d’une personne, de la technique, des mécanismes et des leviers à mettre en œuvre. Ou on peut changer complètement de point de vue, en mode “Black Mirror”. C’est-à-dire passer de l’autre côté, aller dans la tête de l’autre, comprendre comment la personne fonctionne. Nous avons décidé d’apprendre à nos clients comment maîtriser la relation, comprendre comment l’être humain fonctionne. Ensuite nous allons plaquer un vernis technique. 

A contrario de certains courants managériaux, où il y a une unique solution, nous allons adapter notre façon de faire en fonction de la relation avec nos clients. Le management, la négociation, ce sont les mêmes choses. C’est de la pédagogie, de l’humain.  Quand on arrive à comprendre comment fonctionne l’autre, on va savoir quel chemin employer pour arriver à lui faire atteindre l’objectif qu’on a envie de lui faire atteindre.

A-G.V : J’ai même envie de vous poser la question inverse : comment font les autres pour ne pas avoir toute la dimension psychologique et profilage pour agir sur ces situations-là ? Le fait d’amalgamer nos expertises, ça permet de monter immensément en compréhension de ce qui se joue réellement pour l’autre, pour soi et dans la relation. Cela nous permet d’agir beaucoup plus stratégiquement et tactiquement dessus. Toutes les situations compliquées humainement, elles tiennent dans trois choses : moi, l’autre, la situation.

D.C : Vous pouvez regarder toutes les situations problématiques de votre vie à partir de ce triptyque. Quelle cela soit un conflit avec son enfant – car il ne veut pas aller se coucher -, à une difficulté à obtenir une augmentation jusqu’au conflit israélo-palestinien. Il y a forcément un, deux ou trois de ces leviers qui ont besoin d’être bougés pour débloquer n’importe quelle situation sur cette planète. Il y en a certains qui sont plus simples à agiter que d’autres. C’est simple de calquer des techniques, c’est moins simple de se mettre à la portée de l’autre. C’est pour cela que nous venons poser cette expertise-là. 

Quand on se retrouve face à un preneur d’otages, par exemple, il est impossible d’agir par la force, de le neutraliser de quelque manière que ce soit. Il n’y a plus qu’un seul chemin qui permet peut-être de décoincer la situation, c’est la compréhension psychologique. Parfois c’est le silence qui fait débloquer une situation, ou ce qu’on appelle un aveu d’impuissance. Je suis obligé de t’avouer que je ne vais pas réussir à faire ce que toi, tu me demandes de faire. 

A-G.V : Dans les négociations, ce qui peut bloquer régulièrement, c’est la peur du risque, qui est en réalité le levier que détient l’autre. Imaginons par exemple que je ne puisse pas prendre le risque de ne pas signer ce contrat. Cela veut dire que c’est le levier de l’autre pour ne pas me mettre en mouvement. Si moi, je ne suis pas conscient de ce risque, et si je ne décide pas d’affronter ce risque,  je peux dire tout ce que je veux, je peux faire tout ce que je veux, je n’arriverai jamais à faire bouger cette situation. On vient justement travailler sur ce point-là.



Donc, selon vos principes on peut trouver une solutions à tous les problèmes rencontrés en entreprise ? 

A-G.V : Cela marche avec tout le monde car toute personne est un minimum influençable. Il y a des gens qui vont avoir plein de portes d’influence. C’est comme une maison avec plein de portes. Avec eux, c’est assez simple. Et puis, il y a des gens, c’est un château-fort, ils ont une petite meurtrière derrière. Il va falloir être plus technique. Il va falloir chercher cette entrée. Mais évidemment, tout le monde a une entrée.

D-C : Je dis qu’on peut négocier avec tout le monde, même avec des terroristes. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore réussi à le faire que ça n’est pas possible. Que cela soit en thérapie, que cela soit en management, ou que cela soit en négociation de crise, il y a toujours un chemin. Il n’y a pas de négociation ou de situation de management plus complexe que d’autres. Il y a juste un manque d’expertise ou un manque de grille de lecture qui ne permettent pas de voir ces différents chemins. 

Parfois, dans une entreprise, arriver à dénouer la situation, ça n’est pas forcément arriver à faire rentrer quelqu’un dans le rang. C’est peut être aussi arriver à ce que cette personne quitte son poste. Dans le cas de « ransomware », la négociation peut permettre de gagner du temps afin de coopérer avec la gendarmerie. Mais aussi éviter que l’entreprise chiffre ses pertes en centaines de milliers voire plusieurs millions d’euros par désorganisation. 

 


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