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Marine Le Pen, candidate RN : « Lorsque je serai élue Présidente de la République, j’oserai dire non, et je mettrai en place une véritable politique basée sur l’intérêt supérieur de la France et des Français. »

Le Pen

GRAND ENTRETIEN // Forbes France lance une nouvelle série à l’aube des présidentielles 2022… Au programme, chaque semaine, un entretien exclusif par candidat pour mieux comprendre la place laissée à l’innovation dans leurs programmes respectifs. Que va devenir la French Tech ? Quelle stratégie pour l’entrepreneuriat ? Quelle vision pour la souveraineté économique et technologique de la France ?  Pour ce second épisode, Marine Le Pen a accepté de jouer le jeu.

 

Emmanuel Macron avait promis d’ériger 25 licornes françaises d’ici 2025 et l’objectif vient d’être atteint grâce à la start-up Exotec et son tour de table de 355 millions de dollars… Qu’en pensez-vous ?

Marine Le Pen : Ce succès ne vient pas d’Emmanuel Macron, mais avant tout de la force de nos écoles et de nos formations. Nos ingénieurs, chercheurs, data scientists et entrepreneurs font la renommée de la France, y compris dans la Silicon Valley où l’on ne compte plus le nombre de CTO français (chief technical officer).  A ce titre et avant qu’il ne se jette des fleurs, Emmanuel Macron devrait se souvenir qu’il n’est ni le démiurge du savoir-faire technologique tricolore, ni le président de la prospérité. Notre dette est abyssale, nous avons près de 6 millions de chômeurs, nous ne produisons quasiment plus en France et notre balance commerciale atteint des records de déficit. Il ne faut pas que les licornes soient l’arbre qui cache la forêt. Rappelons-nous également que la prospérité d’une nation est principalement basée sur son tissu de TPE-PME-ETI, et non sur la financiarisation de l’économie.

J’ajoute que nous protégeons à peine les pépites technologiques françaises, licorne ou non. Créer est essentiel, et je m’en félicite, mais si des entreprises étrangères rachètent systématiquement le fruit de nos efforts dans le numérique, je n’en vois pas bien l’intérêt. Le propre du politique est de fixer dans le temps long, de créer mais surtout de conserver ce qui a été fait. Pour y arriver, toute une batterie de mesures de protections doivent être adoptées. Je pense à la limitation des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques comme vient de le faire le Royaume-Uni. Je pense à de véritables Voting Trust Agreements à la française dans les conseils d’administrations. Je pense au renforcement de nos services de renseignement économique.

 

Si vous êtes élue en avril prochain, est-ce que l’entrepreneuriat fera partie de vos priorités ? Quelles mesures allez-vous prendre en la matière ?

Bien évidemment ! Un pays qui entreprend, c’est un pays qui s’assure un avenir. Nous avons des atouts formidables, des savoir-faire uniques et une position enviable de par le monde. Il faut donc faire de l’entreprenariat une priorité. Les évènements récents nous ont démontrés que certaines étapes cruciales avaient malheureusement été ratées, ce qui a laissé le champ libre aux GAFAM par exemple. En revanche, rien ne nous empêche de nous attaquer avec force et volonté aux technologies d’avenir, à la réindustrialisation de notre pays, au spatial, à l’économie bleue et bien d’autres domaines.

En termes de mesures, je souhaite notamment encourager l’esprit d’entreprise des jeunes en supprimant l’impôt sur les sociétés pour toute entreprise créée par un jeune de moins de 30 ans, et ce pour 5 ans. Bien évidemment, chaque jeune n’aura le droit de recours qu’une seule fois à ce dispositif, et des garde-fous seront mis en place pour éviter d’éventuels abus. En parallèle, je mettrai en œuvre une baisse des impôts de production – véritable boulet qui empêche notre pays de produire et de rester compétitif – et je favoriserai une hausse des salaires de 10% qui ne pénalisera pas nos entrepreneurs car cette hausse sera exonérée de charges patronales. D’autres mesures bénéfiques à l’entreprenariat seraient par exemple la relance de notre industrie nucléaire, permettant une énergie à bas prix et par conséquent un allègement des coûts pour nos entreprises. Finalement, je lutterai contre l’hyperréglementation qui reste un obstacle insupportable pour nombre de nos TPE-PME-ETI.

Enfin, je présenterai dans les prochaines semaines mes mesures pour alléger la fiscalité sur les transmissions d’entreprises.

 

Pensez-vous que la technologie et l’innovation sont à même de trouver une solution à l’équation climatique ?

Le développement humain est par essence extrêmement énergivore, et il semble physiquement impossible de concevoir une croissance infinie sur une planète aux ressources limitées. De manière pragmatique, il est évident que le modèle économique actuel est intenable et que la mondialisation libérale est l’une des causes fondamentales du changement climatique. Je rappelle que 54% des émissions de CO2 françaises sont associées à nos importations. A ce titre, le localisme aura un rôle essentiel à jouer dans l’équilibre entre échanges mondiaux et la pression sur la planète. Il faudra produire et consommer local au maximum, favoriser les innovations bienvenues et s’interroger sur certains projets inquiétants comme l’univers parallèle Metaverse de Facebook par exemple.

Si nous avons affecté la planète au point d’influencer sur le climat lui-même, il est donc dans notre capacité de faire le chemin inverse. Ce sera une transition difficile et exigeante, mais elle n’est pas impossible. La France devra jouer un rôle essentiel dans cette croissance verte et saisir ses chances pour devenir le fer de lance de ces filières de demain, des réseaux électriques intelligents à l’hydrogène en passant par les biotechnologies ou le stockage. Dans ce combat, je reste également convaincue de l’importance capitale de l’énergie nucléaire. Seulement 16% de la consommation énergétique mondiale provient de sources à faible émissions, et le nucléaire est de loin la plus efficace, productive et rentable de celles-ci. Nous priver de cette énergie, française de surcroit, serait nous tirer une balle dans le pied d’un point de vue économique et écologique. Il faudra donc réinvestir dans cette filière, réactualiser la technologie et continuer l’innovation dans ce domaine. Nous avons perdu un temps fou entre les retards pris sous Nicolas Sarkozy et l’arrêt d’ASTRID par Emmanuel Macron. Si l’on m’avait écoutée depuis toutes ces années, nous aurions déjà une grande longueur d’avance.

 

Comment s’assurer que nos entreprises fassent le poids sur la scène économique mondiale ?

Pour l’instant, elles font encore le poids. Nous avons d’immenses groupes, des talents reconnus, et nous sommes dans la course pour de nombreux secteurs d’avenir. Le problème ne vient pas de notre position dans le monde, mais de la conjoncture dans laquelle nous sommes. Faute de volonté politique, nous reculons, nous perdons du terrain. Le monde d’aujourd’hui est celui de l’hypercompétition économique, exacerbée par les traités de libre-échange. Le doux commerce gagnant-gagnant des théories libérales classiques n’existe plus. C’est une véritable guerre qui ne dit pas son nom, et nos adversaires sont féroces.

Ainsi, la France est passée de 5,1% de parts de marché dans les exportations de marchandises en 2000, à seulement 2,8% aujourd’hui. L’Allemagne quant à elle stagne à plus de 8% pendant que nous passons derrière l’Italie. L’espionnage industriel, les OPA hostiles ou les amendes records infligées par le Département de Justice américain sont aussi de vrais problèmes. Rien que dans cette lamentable affaire de sous-marins, nous avons perdu 56 milliards d’euros de contrats. Il faut donc renforcer considérablement notre intelligence économique, et combattre avec poigne l’extraterritorialité du droit américain.

En parallèle, il faudra bien évidemment renforcer notre compétitivité et notre Etat stratège, permettant ainsi protection, soutien et projection économique de la France. C’est pour cela que je créerai le Fonds Souverain Français (FSF), qui aura pour mission de participer au rayonnement des entreprises tricolores, à l’emploi de l’épargne des français et à la réindustrialisation de notre pays.

 

Marine Le Pen : Il faut tout d’abord retenir nos talents et nous protéger, car David ne pourra venir à bout de Goliath que s’il use d’un minimum de manœuvre. Je rappelle que 7 jeunes français sur 10 envisagent d’aller vivre à l’étranger, il faut donc inverser cette tendance

 

Est-ce possible de concilier patriotisme économique et mondialisation ?

La mondialisation est un fait historique, la politique économique est une volonté. Nos dirigeants ont, hier, fait le choix du mondialisme pour accentuer la mondialisation, je défends au contraire le choix du localisme pour la réguler.

A bien des égards, la Chine ou les Etats-Unis sont des puissances protectionnistes. Je pense particulièrement au Buy American Act, qui vient d’être renforcé par Joe Biden en juillet dernier. Cette loi fédérale impose au gouvernement de se fournir auprès de producteurs américains pour les achats publics. Ils veulent également établir des prix préférentiels pour des produits stratégiques fabriqués dans leur pays, comme les semi-conducteurs, le matériel médical, les minerais ou les technologies énergétiques. A l’heure actuelle, cette loi serait parfaitement illégale chez nous, Français et Européens. J’ajoute également que la complexité des normes européennes conduit de facto à exclure nos PME et ETI des politiques d’achat des grands groupes. Je mettrai fin à cette politique néfaste et discriminante à travers la mise en œuvre de la priorité nationale.

Nous sommes les seuls à suivre aveuglément un dogme libéral obsolète, basé sur l’ouverture complète des frontières, le libre-échange intégral et donc le dépeçage absolu depuis 30 ans. Il est aujourd’hui temps de nous réveiller car les autres puissances l’ont déjà compris. Pour notre autonomie stratégique, pour la prospérité de nos concitoyens, pour notre indépendance énergétique, technologique et agricole. Sans oublier la lutte contre le changement climatique. Tout cela est parfaitement faisable en réalité, il s’agit simplement de rééquilibrer notre politique économique et s’attaquer à une idéologie bruxelloise parfaitement déconnectée de l’évolution de notre monde.

 

Comment assurer notre souveraineté économique et technologique face à la Chine, aux Etats-Unis et aux Gafam ?

Il faut tout d’abord retenir nos talents et nous protéger, car David ne pourra venir à bout de Goliath que s’il use d’un minimum de manœuvre. Je rappelle que 7 jeunes français sur 10 envisagent d’aller vivre à l’étranger, il faut donc inverser cette tendance. La France peut aisément atteindre une masse critique à même de concurrencer les plus grandes entreprises étrangères, particulièrement si nous nous allions à d’autres nations européennes intéressées par nos projets.

Tout ce qu’il manque est donc de la volonté politique et de réelles mesures de protection pour nos entreprises, le temps qu’elles innovent, se consolident et se lancent à l’assaut de nouveaux marchés. Aujourd’hui, cette volonté n’est présente que dans les mots. Il n’y a qu’à regarder le sempiternel feuilleton du cloud souverain européen. Gaia-X, grand fer de lance numérique de l’Europe, est aujourd’hui complètement paralysé par l’arrivée opportuniste d’acteurs américains et chinois dans ce projet. Les mêmes acteurs que nous sommes censés concurrencer. Selon la presse, des entreprises françaises du secteur comme Scaleway sont d’ailleurs très remontées contre le gouvernement d’Emmanuel Macron, accusé de laisser-faire. Le contraire total de leurs grandes déclarations pleines de bonne volonté et de fausse détermination. Je suis persuadée que le sujet du numérique se prête parfaitement à une grande coopération continentale dans le cadre d’une Europe des nations sur le modèle du spatial.

Lorsque je serai élue Présidente de la République, j’oserai dire non, et je mettrais en place une véritable politique basée sur l’intérêt supérieur de la France et des Français.

 

Marine Le Pen : La théorie du ruissellement n’est pas une véritable théorie économique, mais plutôt un concept politique. Concept importé des Etats-Unis de surcroit. La conséquence de cette théorie est d’accroitre massivement les disparités existantes entre les différentes strates économiques de la société

 

Face à notre dépendance aux matières premières et la chaîne d’approvisionnement mondiale qui nous les acheminent, une relocalisation est-elle possible ? Comment y parvenir ?

 Il est évident que nous ne pourrons pas nous passer de toutes les matières premières et que nous continuerons de commercer normalement. Pour éviter une trop grande dépendance, nous devrons constituer des stocks susceptibles de résister aux crises, signer des partenariats bilatéraux garantissant la sécurité de nos approvisionnements et en parallèle, protéger nos propres matières premières stratégiques comme le nickel de Nouvelle-Calédonie.

En revanche cela ne résout toujours pas nos deux problèmes majeurs. Le premier étant la désindustrialisation de notre pays, et le deuxième, notre déficit commercial. Ces défis sont tous deux résolus par une véritable politique de réindustrialisation et de localisme. Il n’y a ni fatalité, ni prédestination. Cela prendra du temps, mais je mettrai en place les conditions pour revitaliser notre tissu industriel en baissant les impôts de production, en favorisant l’investissement de notre épargne dans le Fonds Souverain Français et en favorisant les acteurs nationaux à travers le localisme. Cela permettra de ramener des entreprises ainsi que d’accélérer l’entrepreneuriat et la création de nouvelles richesses. Finalement, Il faudra contrôler plus de pans de la chaîne de valeur. Les exemples donnés par le Haut-Commissariat au Plan sont criants. Nous sommes le premier exportateur mondial de pomme de terre, et nous importons des chips ! Nous disposons de grandes forêts et d’un excédent commercial en bois de 200 millions d’euros, annulé par 220 millions d’euros d’importation de meubles… La liste est très longue. En produisant en France, nous ferons baisser le déficit, nous créerons de l’emploi et nous gagnerons en indépendance et en sécurité logistique.

 

Quelle règle devrait-on impérativement instaurer pour réguler les marchés publics ?

Il me parait impératif et logique de privilégier les entreprises françaises, en particulier les PME-ETI, dans l’accès aux marchés publics. Ce d’autant plus que ces marchés relèvent souvent de notre autonomie. Comme nous l’avons vu, même les Américains disposent de leur propre base juridique pour le faire avec le Buy America Act. En Europe, nos propres règles communautaires liées au marché unique sont désormais obsolètes et contre-productives, comme d’autres rigidités liées à la concurrence par exemple.

La commande publique française s’élève aujourd’hui à 390 milliards d’euros par an, mais cette manne reste en grande partie réservée aux grands groupes. Pourquoi ? Le Sénat évoque des facteurs de confort, de mitigation des risques juridiques, de prix. Les règles d’accès devront donc être simplifiées, des conditions et des incitations créées. En parallèle, j’établirai un facteur localiste à l’accès au marché public en favorisant les critères de choix liés au lieu de production.

 

La théorie du ruissellement permettrait-elle plus de croissance et d’innovation ?

La théorie du ruissellement n’est pas une véritable théorie économique, mais plutôt un concept politique. Concept importé des Etats-Unis de surcroit. La conséquence de cette théorie est d’accroitre massivement les disparités existantes entre les différentes strates économiques de la société. Cela a été vérifié maintes fois dans plusieurs pays. France Stratégie, organe public, a d’ailleurs publié un rapport en octobre sur les réformes fiscales d’Emmanuel Macron en 2018. De fait, ces mesures ont été parfaitement contre-productives. Peu d’influence sur la croissance, peu de conséquences sur l’investissement, mais une hausse substantielle des dividendes versés par les entreprises. Est-ce que ces dividendes ont été réinvestis en France ? Est-ce qu’ils ont eu de l’impact sur l’économie du pays ? Rien ne le garantit et le rapport le confirme.

Je crois davantage dans l’allègement de la fiscalité sur nos classes moyennes – y compris supérieures – ceux qui ont une forte propension à investir dans l’économie réelle et à consommer. Mon objectif reste la remise en marche de l’ascenseur social et la création de richesses pour assurer la prospérité des Français.

 

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