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Kamel Mennour, un galeriste en mission

© Kamel Mennour

PORTRAIT | Il est l’une des personnalités les plus influentes de l’art français. Rien ne le prédestinait pourtant à occuper une telle position, Kamel Mennour est arrivé sans prévenir à devenir une institution grâce à ses galeries éponymes. Portrait d’un homme bien inspiré.

 

Avec son entregent, il aurait pu être à la tête d’une agence de communication de premier plan à qui l’on confie les plus beaux budgets ou directeur de campagne d’un candidat en vue. Kamel Mennour est dans son élément quelles que soient les circonstances et les personnes qu’il côtoie. Le célèbre galeriste parisien murmure aussi bien à l’oreille des édiles qu’à celles d’éminents bienfaiteurs et collectionneurs, à l’instar de François Pinault. Dans la capitale, le Tout-Paris lui exprime depuis vingt-cinq ans sa « fidélité » en fréquentant assidûment ses galeries à chaque nouvelle exposition ou à l’occasion d’une vente caritative. La galaxie Mennour, c’est quatre espaces stratégiquement implantés entre le 6ème et le 8ème arrondissements, avenue Matignon, où est née une génération d’artistes devenus bankable comme Petrit Halilaj ou Mohamed Bourouissa.

Son coup de maître est surtout d’avoir su rassembler sous son ombrelle des noms faisant autorité (Daniel Burren, Philippe Parreno ou Anish Kapoor) aux côtés d’étoiles montantes, évitant l’écueil du snobisme, de la faute de goût ou du choc culturel…Quand on l’interroge sur cette facilité à jeter des passerelles, à sentir les pépites de demain, à faire preuve de fluidité, il vous répond qu’il faut « être joueur », et de poursuivre : « Dans mon métier, comme dans les autres entreprises, il y a une part de risque importante, avec laquelle il est souvent galvanisant de travailler. Je ne connais d’ailleurs pas d’entrepreneur qui ait une aversion au risque ! Pour autant, je ne parlerais pas de chance car la prise de risques engage plutôt l’intuition. ».

© Kamel Mennour

 

Joueur donc. Kamel Mennour qui voue au passage une passion pour le ballon rond, a gagné sa place dans ce milieu élitiste en jouant le match de celui qui n’avait rien à perdre. Le fils d’une femme de ménage et d’un peintre en bâtiment issu de l’immigration algérienne a découvert l’art sur le tard lors d’un voyage à Amsterdam. La passion qui l’anime depuis plus de trente-cinq ans est née d’un « instant décisif » en 1988, lors d’une visite au Rijksmuseum où trône la célèbre œuvre de Rembrandt La Ronde de nuit (1642).

« Je me suis senti comme plongé au cœur de cette scène à la fois très officielle et mystérieuse, ses figures d’un dynamisme impressionnant et l’utilisation de la lumière et des ombres par Rembrandt. J’étais hypnotisé et j’ai su – à cet instant – que je voulais me consacrer à une carrière artistique. C’était une perspective à la fois très excitante et très effrayante, car je ne savais pas encore comment je pourrais mener à bien ce projet. », rembobine le galeriste. Sans se préoccuper des convenances et des codes, il se lance tête baissée à l’assaut d’un monde dont il est aux antipodes. A la poursuite de son rêve, il consacre toute l’énergie et l’enthousiasme de sa jeunesse à rentrer dans le sérail, à en comprendre les rouages.

Il débute par la photographie en écumant les marchés aux puces parisiens. Le vingtenaire écoule ses coups de cœur lors de porte à porte. A bonne école, il se rend compte qu’il a du bagou, le sens du contact. Mais dans l’art contemporain, il faut aussi savoir réseauter et faire bonne impression. Traduisez, s’afficher dans des murs design bien situés afin d’être au plus près de celles et ceux qui font la cote d’un artiste. Les vernissages ne sont pas qu’une histoire de petits fours et d’échanges d’amabilités, c’est un temps crucial où beaucoup de choses se jouent. Cette nuance ne lui a pas échappé. Lentement mais sûrement l’ancien gamin de Ménilmontant ouvre en 1999 sa première galerie rue Mazarine dans le 6e arrondissement.

© Kamel Mennour

 

Le désormais spécialiste de la photographie et de la lithographie se sent prêt à se confronter plus directement au milieu de l’art. Objectif : faire son entrée dans la cour des grands, avec l’ambition de dialoguer avec ses homologues galeristes et collectionneurs. Il faut dire qu’à l’époque le milieu était beaucoup plus exclusif qu’aujourd’hui, et que le marché était davantage limité géographiquement. Survivre ou disparaître dans ce petit monde, le bousculer un petit, aussi, pour y prendre sa part. Voici son nouveau défi.

Déterminé, entier, il ne cherche pas à se calquer sur ses pairs, car pour lui l’essentiel est ailleurs : « Complexe, abstrait, subjectif…l’art n’obéit à aucune règle. Il n’y a donc pas de recette précise. J’ai beaucoup voyagé et je continue de le faire pour aller à la rencontre des artistes, jeunes ou moins jeunes, de toute provenance géographique. Cela a toujours été pour moi une manière de me familiariser avec leur vision artistique et leur production afin de me faire une idée de leurs capacités et leur potentiel. », expose Kamel Mennour. En vrai défricheur, l’homme regarde partout, aiguise son flair et, jamais, ne s’enferme dans une vision étriquée. Cette ouverture d’esprit sera sa force. Il est comme un poisson dans l’eau ou plutôt « un regardeur du monde », se plaît-il à dire à ceux qui l’interrogent.

Il imprime sa marque en s’intéressant à deux grandes familles d’artistes : ceux qui ont des travaux très lisibles mais qui sont très prévisibles ; et ceux qui n’hésitent pas à faire des détours, à aborder le monde sous un nouvel angle et qui proposent de nouvelles écritures. L’esthète se passionne surtout pour cette seconde catégorie. Aussi, quand il ouvre les portes de sa galerie, il s’assure qu’au-delà du talent, le créateur fait autant preuve de sérieux que de détermination. Les saisons passent, le Parisien trace sa route, maîtrise les codes de son nouvel univers et tisse sa toile. Il faut dire qu’il a le nez pour repérer les candidats qui sauront plaire à un Pinault, à un institutionnel ou à un riche Chinois.

© Kamel Mennour

 

Kamel Mennour est avant tout un homme conscient, il sait combien le succès d’aujourd’hui reste fragile. Cette franche acceptation de la réalité imprègne tous les aspects de sa vie et de son travail. Cela le pousse à « garder sa pensée en mouvement, à essayer d’anticiper et de s’entourer des bonnes personnes » pour pouvoir mener à bien le projet qui lui ressemble, éclaire-t-il. Au fil du temps, il ouvre un deuxième espace suffisamment grand pour développer un programme artistique plus ambitieux et commencer à participer aux foires d’art importantes. Son gros coup, c’est bien sûr l’avenue Matignon – où il est le premier à s’implanter – le voici à présent adoubé de tous. On aime son regard pointu comme on apprécie son charisme, sa présence.


Kamel Mennour : « Crise ou pas crise, l’art fera toujours partie de nos vies car il nous élève et permet de voyager dans notre inconscient, de questionner le monde, de voir sa beauté. »


 

S’est-il embourgeoisé pour autant ? Jamais ! L’homme veut rester accessible, transmettre à son tour le virus de l’art au public qui en est éloigné. Le quinquagénaire peut à présent tout se permettre financièrement mais ne sera pas flambeur, question d’éducation. Son temps très précieux, il le met aussi à profit pour ouvrir ses galeries aux amateurs, petits et grands, à l’occasion de visites guidées pédagogiques. Il met également toute sa force de conviction au service d’une cause qui lui est très chère : l’aide aux enfants malades. Le philanthrope soutient la recherche scientifique à travers le projet HEROES for Imagine initié en 2015. En première ligne, il s’engage dans la collecte de fonds pour l’Institut Imagine, rattaché à l’hôpital Necker, un organisme dédié à la recherche, aux soins et à l’enseignement des maladies génétiques.

L’initiative a permis de récolter à ce jour plus de vingt-deux millions d’euros, investis dans le financement de projets stratégiques et de plateformes technologiques, notamment un séquenceur d’ADN. Cette cause, Kamel Mennour, la porte aux tripes en raison de son histoire personnelle marquée par la maladie de son fils alors nourrisson.

En ces temps inflationnistes et de crises multiples, l’art contemporain est-il épargné ? Qu’observe ce grand contemplateur du monde ? Pour l’expert, le temps à vouloir courir derrière l’ouverture de nouveaux espaces a vécu : « A mon sens, cette dynamique est dépassée. Les possibilités numériques ont beaucoup à offrir, et je préfère explorer cette dimension. Nous avons par exemple lancé des ‘Online Viewing Room’ en 2020 qui sont des espaces d’exposition en ligne. C’est un moyen passionnant d’améliorer l’expérience des collectionneurs et de créer de nouvelles manières de montrer et de vendre de l’art en ligne. Je sais que les collectionneurs du millénaire, qui sont nés avec Internet, avec un téléphone à la main, et qui achètent en ligne aussi souvent que je vais chercher mes enfants à l’école, sont les collectionneurs de demain. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 91 % des collectionneurs du millénaire achètent de l’art en ligne. », analyse-t-il.

Crise ou pas crise, l’art fera toujours partie de nos vies car il nous élève et permet de voyager dans notre inconscient, de questionner le monde, de voir sa beauté.

Dans la géopolitique de l’art contemporain, s’inquiète-t-il de la perte de vitesse de la Place de Paris face aux mastodontes américains et asiatiques ? A ses yeux, la capitale française conservera toujours une place exceptionnelle sur le marché international arguant que notre écosystème reste solide. Aussi longtemps que la programmation artistique, les partenariats avec des institutions culturelles étrangères et la participation aux grandes foires d’art internationales se perpétuent, la Ville Lumière gardera son aura.

Toujours en mouvement, Kamel Mennour prépare dans le secret un nouveau projet…Il promet de revenir toujours plus inspiré et utile !

 

Pour aller plus loin : 

www.mennour.com

 

 

 

<<< À lire également : « Un appartement rue de Varenne, ou quand la galerie Etienne Levy crée l’événement » >>> 

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