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Entreprendre En Famille : La Success Story Trigano, Architectes Du Mama Shelter

©Mama Shelter

Paris, Los Angeles, Rio de Janeiro, Belgrade…, partout, dans les plus grandes métropoles du monde, l’enseigne hôtelière Mama Shelter étend sa toile. D’ici 2021, le nombre d’établissements va quasiment tripler, passant de 8 à 22, avec en ligne de mire des villes comme Dubaï, Londres ou Santiago du Chili. Pourtant, il y a dix ans, Serge Trigano jouait son va-tout. L’ancien patron emblématique du Club Med coalisait contre lui une foule de détracteurs qui lui prédisaient « le naufrage ». Son ambition était ni plus, ni moins, celle de « casser les codes de l’hôtellerie » en habillant les murs de graffitis, les chambres de gadgets cartoonesques et, le bar, de bouées géantes, tout en s’associant à des pointures du design, comme Philippe Starck, et à des chefs étoilés à l’instar d’Alain Senderes et Guy Savoy… sans que le prix à la nuitée ne s’emballe. Un pari « fou ». Vent debout, et épaulé par ses fils, Jérémie et Benjamin, Serge Trigano a inventé le premier concept hôtel lifestyle à la française.

« Dans la vie, il faut toujours avoir ¼ d’heure d’avance, mais pas plus. », aime à dire Serge Trigano. Cette maxime, il se l’applique religieusement dans le business. Début 2000, « en pleine traversée du désert », l’ancien homme fort du Club Med pense tenir un concept « révolutionnaire » : celui d’aller à contre-courant des codes de l’hôtellerie qui érigent en modèle la même proposition d’accueil : décors aseptisés, implantations jamais en périphérie, distance cordiale entre employés et guests, le tout allant de pair avec une politique de prix dispendieuse… Serge Trigano entend casser cette standardisation. Pour son nouveau « bébé », le « Mama Shelter », il convoite des endroits « populaires » du côté de l’Est parisien. Une localisation « atypique » suscitant sarcasmes et consternation dans le microcosme hôtelier. En effet, comment trouver du potentiel à ce parking tagué de Bagnolet, pris en étau entre deux fléaux : le commerce de la drogue et celui de la prostitution ? Que nenni ! Serge Trigano et sa garde rapprochée demeurent stoïques, ils flairent la réhabilitation du lieu qui, après tout, concentre nombre de familles. Un bon indicateur que la cause n’est pas perdue…

A la prise de risque géographique, ce dernier adjoint l’audace, il veut créer des passerelles entre le monde du luxe et de l’hôtellerie bon marché. Dans cet esprit, il concocte un casting 5 étoiles : Philippe Starck n’est pas farouche à l’idée de designer cet « objet hôtelier non identifié » et Alain Senderens, 3 étoiles au Michelin, relève le challenge de signer une carte gastronomique à prix démocratique. Pour pimenter le tout, Jérémie et Benjamin Trigano, proches parmi les proches, souffle à leur père l’idée de repenser également la relation clients : au Mama Shelter, les équipes cultiveront la coolitude et la proximité bienveillante avec les pensionnaires. Tutoiement à portée d’un salut. Un triptyque visionnaire. Le premier concept-hôtel capable de réunir un public aussi hétéroclite qu’improbable, à l’image de businessmen, d’étudiants à découvert, de bobos, d’artistes du show business et de touristes en tout genre, était né. Ou le début d’une success-story dont l’histoire s’écrit encore aujourd’hui.

L’échec, une offense française

Pour autant, dix ans plus tôt, aucun géant de « l’hospitality » n’avait encore osé développer cette forme d’hôtellerie anticonformiste. Marriott, Hilton ou Accor en tête. Côté banques, les établissements n’étaient pas non plus encore prêts pour ce « choc culturel ». Bien que le nom Trigano fût associé à la naissance d’un fleuron français, le Club Med, à travers son créateur Gilbert, père de Serge,  ce patronyme faisait « fuir tout le monde » fin 90, se remémore Serge Trigano. Et pour cause, on ne lui pardonna pas sa forfaiture d’avoir été déchu de son trône par son actionnaire italien. « Vae Victis » ! Du jour au lendemain, l’un des hommes les plus puissants de l’industrie touristique mondiale a fait la douloureuse expérience de ce dicton antique : « Malheur aux vaincus ! », attribué au chef gaulois Brennus. Deux millénaires plus tard, la France « continue toujours de voir d’un très mauvais œil l’échec. », déplore l’entrepreneur. Et d’ajouter : « Il y a une différence fondamentale entre la conception de l’échec aux Etats-Unis et celle que nous avons chez nous.  Les Américains estiment qu’après une chute, la personne en tirera des leçons et saura faire preuve de ressources pour rebondir. Dans l’Hexagone, vous êtes mis au placard car on ne vous pardonne pas d’avoir eu la faiblesse d’échouer. », regrette celui qui n’a jamais accepté cette fatalité franchouillarde.

Lorsque Serge Trigano évoque – apaisé – cette période de sa vie, il retient surtout la médiocrité de ses anciennes relations d’affaires qui « du jour au lendemain, n’ont même plus daigné [le] prendre au téléphone ». Infréquentable Serge Trigano ? Les plus polis lui suggéreront de profiter de ce temps libre pour perfectionner son swing au golf ou pour goûter à l’oisiveté entre deux croisières dépaysantes. Impensable pour l’ancien capitaine d’industrie qui, trente ans durant, a présidé à la destinée de milliers de salariés et côtoyé étroitement chefs d’Etat étrangers et familles royales. Il en est convaincu : il tient un concept novateur prêt à répondre à une demande naissante qui essaime dans des villes comme Paris, Los Angeles, Belgrade ou Rio. Avec son «  ¼  d’heure d’avance » chevillé au corps, il comprend cette minorité de clients désireuse d’égayer leur séjour à l’hôtel par une expérience lifestyle. Le trio Trigano brainstorme jusqu’à aboutir à cette idée de « loft récréatif ». Baby-foot géants, graffitis à foison, rooftop, piste de danse et cuisine soignée réchauffent l’atmosphère au même titre qu’ils attisent curiosité et appétence.

Le Chef triplement étoilé Guy Savoy, signe une carte généreuse et familiale

La seule banque prête à tenter l’aventure sera la Caisse des dépôts, laquelle prédit néanmoins le crash : “Pendant la semaine, vous n’aurez personne. Et le week-end, vous ferez 40 couverts”, se souvient l’homme d’affaires.  Au final, Mama Shelter Paris flirte avec les 800 couverts jour et la restauration représente à elle seule 56 % du chiffre d’affaires. « Ce qui n’est pas fréquent pour un hôtelier. », souligne-t-il, un brin amusé. Autre pied de nez au destin : Accor – hier – réticent à l’idée d’un rapprochement, a fini par reconsidérer sa position une fois le train Mama Shelter lancé. Le mastodonte français détient aujourd’hui 49% de la pépite. Finalement, Serge, Jérémie et Benjamin Trigano remercient la providence de ne pas avoir suscité l’engouement des géants de l’hôtellerie à leur début, car ils se seraient « certainement dilués avant d’avoir pu consolider leur identité ».

Dragué de toute part, notamment par les maires de métropoles hexagonales et internationales, le trio vient d’inaugurer début novembre un établissement à Toulouse. 2019 s’annonce des « plus chargée ». Pour commencer l’année, Mama Shelter mettra le cap outre Manche, à Londres.

Serge Trigano est redevenu prophète en son pays, et même au-delà.

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