logo_blanc
Rechercher

Denis Ladegaillerie, fondateur et PDG de Believe : « Personne n’imaginait que la musique digitale allait devenir un tournant aussi majeur de l’industrie. »

Cela fait presque vingt ans que Denis Ladegaillerie s’est lancé dans l’industrie musicale avec Believe, une pépite tricolore devenue licorne et qui a officialisé son entrée en bourse parisienne en juin 2021. Présent dans 50 pays, Believe accompagne les artistes à toutes les étapes de leurs carrières dans le monde digital , à l’image de Jul, Jeanne Added, Naps, Djadja & Dinaz, Gims ou encore Marc Lavoine, Avishai Cohen, Valentine, Don Broco.

 

Lorsque vous avez décidé de lancer Believe en 2005, la transition de l’industrie musicale vers le numérique apparaissait-elle aussi évidente ?

Denis Ladegaillerie : Considérer cette transition comme évidente revenait à dire que la révolution se jouerait du côté des téléphones mobiles. À cette époque, la plupart considéraient qu’internet ne remplacerait pas la découverte musicale faite par les directions artistiques. Personne n’imaginait que la musique digitale allait devenir un tournant aussi majeur de l’industrie. 

Il y a tout de même trois choses qui m’ont mis la puce à l’oreille… de par mon expérience chez Vivendi Universal où j’ai été en charge notamment du service de musique digitale eMusic et du réseau social MP3.com. À ce moment-là, je me rends compte du gain d’expérience qu’obtiennent les consommateurs de musique avec l’achat des premiers Walkman, Ipod  ou encore Archos.

Il y a eu ensuite une nouvelle vague de musique entièrement digitale, diffusée sur des plateformes de streaming comme Spotify, Deezer ou SoundCloud, et qui conviennent aux artistes qui misent davantage sur le marketing digital. Enfin, cette transition affecte également grandement la distribution – le coût étant bien moins élevé par rapport à la logistique du CD – et favorise la démocratisation de l’accès au marché musical.

Qu’est-ce qui différencie Believe sur le marché de la musique en France ? Quels courants musicaux identifiés, quels artistes repérés qui feront parler d’eux ?

Notre différenciation passe par le fait d’avoir construit un modèle qui parle à l’intégralité des artistes et labels. Auparavant, le marché français était assez petit et monolithique, ultra concentré autour de 200 artistes qui captaient 80% de la valeur. Il y avait donc assez peu d’opportunités sur le marché du CD. 

Avec le digital et le développement des réseaux sociaux, ce sont des millions de musiciens qui ont pu du jour au lendemain accéder aux moyens de distribution. C’est ainsi qu’à la demande de ses fans, l’artiste Lauren Spencer-Smith a décidé de partager son titre “Fingers Crossed” sur Spotify et a atteint la même semaine le top 5 des écoutes. Nous voyons des exemples comme celui-ci toutes les semaines.

Dans la présentation des résultats financiers de Spotify pendant l’année 2021, on y apprend que des milliers d’artistes gagnent leur vie grâce à la plateforme. Tout le marketing et la promotion se font donc sur Internet, peu importe le genre de musique : du hip-hop à l’afrobeats en passant même par la musique classique.

L’artiste est-il voué à devenir musicien-influenceur ? Ne risque-t-on pas que l’influence prenne le dessus ?

La gestion de la relation à l’audience est essentielle à l’heure du streaming musical et je ne pense pas que cela soit amené à changer. Les plateformes jouent aujourd’hui un rôle de filtre et de médiateur pour accéder au contenu de manière ordonnée. Il y a un réel travail éditorial qui est fait et qui permet – à l’aide d’algorithmes de recommandation – de rendre visible les compositions de nos artistes, à l’image du dernier album d’Avishai Cohen.

De la même manière, de nouveaux artistes avec une vision plus en 360 de la création audiovisuelle sont apparus comme le youtubeur Mister V et son album MVP par exemple. Mais cela reste des exceptions car nous avons toujours besoin de créateurs qui entretiennent un lien fort avec la musique.

Evidemment, les artistes qui percent le plus sont ceux qui ont une capacité d’influence très forte : Jul a sans aucun doute réussi à vendre ses albums très vite grâce à son “reach media” et sa chaîne YouTube.

 


Chez Believe, nous nous adressons à des artistes qui ont déjà intégré l’idée de conserver la propriété de leurs créations. Concentrez-vous sur la création et nous vous aidons à vous développer en ligne


 

Est-ce que le passage aux revenus digitaux ne signifie pas pour lui une perte financière ?

Je pense que cela correspond à la perception dartistes habitués au support physique. En effet, ils ont majoritairement des audiences qui ont le même âge qu’eux et qui ne sont pas très habituées aux outils digitaux. Mylène Farmer est par exemple une grande artiste qui continue à vendre beaucoup d’albums en CD. Mais si on pose la question à Jul, qui gagne une large partie de ses revenus grâce au digital, il aura un tout autre avis.

Dans le monde du CD, un panier moyen est de l’ordre de 35 dollars par an – soit environ un CD et demi acheté chaque année. Les maisons de disques reversent traditionnellement 65 à 70% de la valeur du CD. Mais à l‘ère du digital, ces 35 dollars sont devenus 60 dollars. La captation de la valeur par Spotify ou encore Apple Music reste relativement la même mais les consommateurs dépensent plus. 

Les artistes comme Taylor Swift sont très opposés à ce monde, où les labels sont traditionnellement propriétaires des masters. Où vous positionnez-vous dans le débat sur les ayants droit ?

Les contrats d’artistes sont bien moins répandus en France qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. C’est ce type de contrat qui permet aux maisons de disques de posséder leur musique, ce qui laisse moins d’autonomie et de contrôle aux artistes. Des artistes indépendants comme Taylor Swift ou Jul avant elle, souhaitent rester propriétaires de leurs œuvres, être associés à la prise de décision en matière d’investissement marketing et sortie d’album, ainsi que bénéficier d’une meilleure répartition de la valeur.

Chez Believe, nous nous adressons à des artistes qui ont déjà intégré l’idée de conserver la propriété de leurs créations. Concentrez-vous sur la création et nous vous aidons à vous développer en ligne.

Comment expliquer que votre croissance n’a pas faibli pendant la crise alors que les événements culturels et les concerts ont été mis à l’arrêt ?

L’activité de concert est très petite chez Believe et elle s’avère être très séparée de celle de l’enregistrement et de la production musicale. De manière générale, la crise a accéléré la consommation digitale de musique et notre activité s’est vue amplifiée à tous les niveaux. Nous avons signé plus de contrats que jamais : nous préparons justement l’album d’Izia Higelin, qui nous a rejoints en 2021. 

 


Nous avons l’ambition de devenir le premier acteur du marché de la musique en Inde. Nous y sommes depuis une dizaine d’années et nous occupons pour l’instant la troisième position


 

Pourquoi avoir choisi d’entrer en Bourse de Paris plutôt que celle de Wall Street ?

L’entrée en bourse est avant tout un événement au service d’une stratégie. Dans les années à venir, les trois plus grands marchés de l’industrie musicale seront l’Asie, l’Europe et les États-Unis. L’Europe apparaît donc comme l’endroit le plus intelligent pour gérer facilement un business global, tout en restant tourné à la fois vers les États-Unis et l’Asie.

Qu’en est-il de votre implantation en Asie ? Est-ce que ces artistes seront diffusés exclusivement en Inde ou allez-vous les valoriser aussi en Europe ?

Pour vous donner une idée de notre présence territoriale : nous avons une centaine de personnes présentes en Chine, nous sommes le troisième plus gros distributeur au Japon et le premier en ce qui concerne les artistes locaux philippins et indonésiens. L’artiste de l’île de Sumatra “Tulus” par exemple n’est pas très connu en Europe mais son clip a bien fait partie du Top 10 des vidéos les plus visionnées sur YouTube.

Nous avons l’ambition de devenir le premier acteur du marché de la musique en Inde. Nous y sommes depuis une dizaine d’années et nous occupons pour l’instant la troisième position. C’est un marché parfait pour nous car là-bas, la consommation musicale est pratiquement à 100% digitale et plateformisée. Les populations asiatiques sont aussi relativement jeunes – l’âge moyen en Inde est de 26 ans, 24 ans aux Philippines, etc… – et sont donc de grands utilisateurs des moyens digitaux.

La deuxième raison de s’y implanter est que l’Inde va devenir le quatrième plus gros marché de musique d’ici 2030. Certes le marché américain reste le premier marché mondial, mais il est suivi juste derrière de la Chine, du Japon et de l’Inde. Nous misons donc sur les pays asiatiques comme la Chine, les Philippines ou encore l’Indonésie, en soutenant les artistes locaux pour trouver, non pas le prochain Ed Sheeran mais le nouveau Jul de l’Asie du Sud-Est.

 


Nouveaux partenariats stratégiques noués par Believe en 2021 :

  • Novembre 2021 : avec Play Two, le label musical indépendant de TF1 (participation de Believe à hauteur de 25%)
  • Janvier 2022 : avec la société de production de musique et de vidéos Jo&Co (51%)
  • Décembre 2021 : avec Viva Music, label philippin majeur dans la région d’Asie du Sud-Est (15%)
  • Novembre 2021 : avec Think Music, label indien spécialisé dans les bandes annonces de film pour l’Inde du Sud (76%)

<<< À lire également : FOCUS LICORNE | Sorare vise le ballon d’or du fantasy football >>>

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC