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Chronique d’Effectuation #13 : Poétique, Espoir Rock Dans Une Mode Punk

1967. Les Beatles sortaient l’emblématique Sergent Lonely Heart Club band. Johnny était l’idole des jeunes. Gainsbourg et Brigitte Bardot s’aimaient avec style. Ah, le rêve et la nostalgie de l’insouciance des yéyés… Mais voilà, le monde a bien changé. Ou plutôt, nous avons perdu la naïveté avec laquelle nous le regardions. Quand nous réécoutons les Beatles, nous pensons séparation et disparition. L’image de la gloire de Johnny est remplacée par une querelle sordide sur sa succession. Et si l’idylle éphémère et flamboyante de Gainsbourg et BB a gardé son charme, elle n’a pas empêché leur décadence. Le monde chantant du Livre de la Jungle est maintenant celui du réchauffement climatique, du renforcement des inégalités et des violences des communautarismes. Dans ce même désenchantement, la cause animale nous interdit de porter les mêmes oripeaux que les stars des années 1960. Un perfecto à la James Dean a beau vous donner un look du tonnerre, difficile de passer à côté de la souffrance nécessaire pour obtenir tout ce cuir, sauf pour Poétique Paris.

 

En deux mots. « Esthétique respectueuse » n’est pas un oxymore.

Notre sombre présent marquera-t-il la fin du blouson noir ? Pas s’il faut en croire Pauline Weinmann et Cattleya Malejac, les fondatrices de Poétique Paris. La start-up se positionne comme la première maison de mode proposant une alternative végane au cuir. Leurs perfectos, pantalons, jupes et shorts sont faits à partir de cuir de céréales et de cuir de pomme. Créée en 2017, la start-up est victime de son succès. Avec quelques centaines de pièces vendues, sa première collection est en rupture de stock. Elle prévoit un réassortiment ainsi qu’une nouvelle collection dès novembre. Prochaine étape : quatre collections par an et un showroom pour une marque parisienne, rock et respectueuse.

 

Le problème. Cuir j’aurai ta peau. 

Le véganisme envahit les villes. Alors qu’il n’était que 2% de la consommation alimentaire en 2016, sa taille a déjà doublé en 2017 pour atteindre 4%. Ce n’est pas qu’une habitude alimentaire, c’est « organiser toute sa consommation sans faire intervenir de matière issue des animaux ». Alors qu’il est de plus en plus simple de trouver des restaurants et supermarchés véganes, les secteurs de la mode et de la décoration peinent à suivre le rythme.

Il faut dire que c’est l’ensemble des matières employées qu’il faut revoir, non seulement l’absence de soie ou de cuir mais aussi d’ « arrêtes de poisson dans la colle », comme le précise Cattleya. La transformation de la production fait du marché végane un « océan bleu », soit peu de concurrents et une offre hétérogène bas de gamme ou de luxe.

 

L’idée. Végane mais pas sac à patate.

Dans une autre vie, Pauline et Cattleya étaient collègues et face-à-face dans un open space. Avec leurs compétences respectives en vente et marketing digital, elles se sont longtemps dit qu’elles pourraient elles aussi changer le monde. Sensibles au thème de la consommation responsable et stimulées par une amie aux chaussures véganes, Pauline et Cattleya se mettent à la recherche d’une solution prêt-à-porter en cuir non-animal.

Non sans ironie, elles tombent sur un os. Il n’existe pas de solution disponible  en France. Plutôt que d’importer leurs habits des Etats-Unis, elles décident de s’associer pour « ne plus devoir renoncer à un look par refus de favoriser la souffrance animale ».  Attachées à une identité rock, elles créent « une marque respectueuse avant d’être végane »,  qui sera faite à la fois d’une esthétique unique et de convictions. Cette fusion donne leur nom : Poétique Paris, soit des « peaux-éthiques » qui ont du style.

 

La mise en oeuvre. Change-peaux et polymorphes

En l’absence de produit similaire, elles commencent prudemment leurs opérations. Après plusieurs entretiens satisfaisants avec des clientes potentielles, elles commencent alors  à chercher des matières et dessiner des modèles. Grâce à une campagne de crowdfunding réussie sur KissKissBankBank en novembre 2017, elles limitent le risque d’invendus. Après un passage à Station F dans l’accélérateur de l’Institut Français de la Mode et Creative Valley, elles tiennent leurs engagements envers leurs donateurs. Fortes de cette première expérience qui leur permet de financer leur prochaine collection, elles se sentent prêtes à affronter leurs prochains défis. En dépit de la répartition naturelle des tâches selon leurs compétences, elles continuent toutes deux à créer leur collections ensemble. Cattleya nous confie que « la colonne vertébrale chez Poétique a deux têtes », et c’en est même plus harmonieux !

Ce parcours sans faute des jeunes entrepreneures ne s’est pas fait en autarcie. Bien que passionnées de mode et bien au fait de la question animale, elles n’en sont pas pour autant modélistes, spécialistes e-commerce ou encore ingénieures textiles. Bref, il leur manque quelques compétences. Des lacunes qu’elles ont su compenser par un recours à des freelances. Mais comment faire confiance à une personne extérieure sur un projet si jeune ? Le tout, c’est d’en parler aux « bonnes personnes ». Pour Pauline, « il faut planter beaucoup de graines pour qu’une se décide à pousser ». Le bouche-à-oreille et les soutiens dans leurs réseaux personnels sont décisifs. Il est « impossible d’économiser sur ce temps-là », les opportunités qu’elles en retirent sont trop bonnes pour ne pas faire l’effort de s’ouvrir.

 

 

Les difficultés. L’entrepreneur, un animal au cuir épais.

Alors oui, il y en a eu des difficultés. Et la principale a été d’avoir la patience dans la mise sur le marché. Vous n’imaginez pas l’ensemble des difficultés qu’il y a à créer une collection esthétique et engagée.  A commencer par le choix de la matière. C’est la foire d’empoigne entre les différents fournisseurs : un tohu-bohu de cuirs de liège, de vin, de pomme voire même d’ananas. Dans leur processus de sélection, le processus de fabrication s’ajoute à la qualité et l’esthétique du cuir. Il doit être produit en circuit court et en respect de la charte éthique. Attention ! Cela ne doit pas non plus  dépasser les contraintes de prix associées. Si Poétique ne fait pas (encore) de recherche et développement dans les nouvelles matières, le test en réel n’en demeure pas moins un parcours du combattant.

Une fois la bonne matière sélectionnée, il faut en plus s’occuper du prototypage et de la vie du produit. Pauline se rappelle qu’avant d’arriver à un modèle vendable, « il a fallu faire beaucoup de conceptions insortables ». Enfin, lorsqu’il est question de production, c’est de nouveau le casse-tête. Finalement, elles ont opté pour un atelier éco-responsable en région parisienne et un atelier social dans le nord de la France qui emploie des femmes en réinsertion professionnelle et auxquelles elles ont appris à manipuler leur matière. Tout cela est éreintant. Mais c’est aussi ce que Cattleya et Pauline considèrent comme au cœur de l’entrepreneuriat. « C’est dur de se prendre des claques mais l’important c’est d’être tenace ». Leur qualité première est leur résilience.

 

Les finances. L’autofinancement comme mode d’action.

La récompense de cet engagement est le retour d’une communauté reconnaissante de leur travail : des messages de remerciement, des attentes pour ce type d’alternative et même des demandes pour une collection homme. C’est cette communauté qui leur a permis de rassembler les 11 000€ nécessaire à leur lancement, dépassant leur objectif de financement par crowdfunding de 150%.

Aujourd’hui, Poétique rêve de deux collections phares par an et de son propre showroom pour que « les plus frileux puissent essayer et toucher » leur produit. Ce rêve ne se nourrit pas d’amour et d’eau fraîche, mais de monnaie sonnantes et trébuchantes. Si elles n’ont besoin que de prêts d’honneur et bancaire, elles songent dans un second temps à ouvrir leur capital à des investissements privés. Que d’aventures en perspective ! Et après tout, si même les créateurs de perfectos rocks et punks travaillent à un meilleur futur, l’optimisme de 1967 pourrait peut-être connaître une seconde jeunesse.

 

 

Chronique co-réalisée avec @Jean Rognetta, Directeur de la rédaction de Forbes France et Benjamin Heyriès d’Estimeo

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