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Adrien Moreira, cofondateur de Bruce : « Le concept de pénurie est utilisé à tout-va par des entreprises qui ne font pas le nécessaire pour mieux recruter »

À l’heure de la pénurie des talents généralisée, innover dans le secteur du recrutement s’avère primordial. C’est dans ce contexte que le projet Bruce prend toute son importance. Fondée en 2015 par Adrien Moreira et Henrik Perrochon, la start-up défend l’idée que sans investissements – ni innovation digitale – les entreprises ne pourront s’imposer dans la guerre des talents en cours. Entretien.

 

Comment est venue l’idée de créer Bruce ?

Adrien Moreira : L’idée puise ses origines dans des racines assez lointaines. Avec Henrik Perrochon, nous avons créé pour le groupe Casino la start-up Cvous en 2012, un site communautaire d’échange entre les consommateurs et la marque.

Puis, en 2015, nous avons constaté que lorsque nous faisions appel à des agences d’intérim pour des prestations, le process était bien souvent lourd. Et de l’autre côté, quand j’étais moi-même étudiant et en recherche de petits jobs, c’était aussi une expérience laborieuse voire désagréable à vivre avant de trouver un emploi. Nous avons donc décidé de créer Bruce pour réinventer l’emploi temporaire, notamment grâce au digital.

Le digital expose au risque de désintermédiation, vous ne pensez pas ?

A. M. : Oui, recourir à l’intelligence artificielle (IA) peut comporter des risques. Mais nous disposons de recruteurs en interne qui servent à présélectionner les candidatures. Nous ne sommes pas un simple job board (ndlr : diffuseur d’offres d’emploi en ligne), nous avons toujours prôné l’importance de l’intelligence humaine, combinée à une technologie la plus vertueuse qui soit.

Cela suppose de travailler sur les biais de recrutement, de former nos équipes et s’assurer que nos algorithmes soient contrôlés et alimentés par des bases de données variées. Malheureusement le marché du travail temporaire propose des missions de plus en plus courtes et le recrutement en urgence peut souvent amplifier ces biais. Résultat, des talents compétents se retrouvent effacés auprès des recruteurs.

Comment Bruce se différencie-t-il des autres solutions de recrutement basées sur l’IA ?

A. M. : 80% des recherches d’emploi se font désormais sur mobile et non plus sur ordinateur. Les intérimaires tels que les travailleurs du bâtiment, de la logistique ou de l’hôtellerie-restauration utilisent majoritairement leur smartphone pour chercher des missions. Pourtant, un grand nombre d’agences d’intérim traditionnelles n’ont toujours pas pris le virage du “mobile-first”.

Chez Bruce, nous donnons accès à une marketplace des offres proposées par nos clients qui offre un gain de temps considérable aux entreprises et aux candidats, grâce à notre algorithme de matching qui reproduit en 150 critères les décisions d’un recruteur pour trouver le bon talent. À chaque fois que nous leur concluons un CDI, un CDD ou bien un contrat d’intérim, nous prenons une commission.

Depuis votre dernière levée de fonds à 5 millions d’euros à l’été 2018, qu’avez-vous réussi à développer avec Bruce ?

A. M. : Notre rentabilité est depuis à l’équilibre et ces fonds ont quasiment tous été dédiés à notre effort en recherche et développement. Une partie a également servi à payer nos rares campagnes marketing ou bien au recrutement de talents commerciaux. Nous fonctionnons quasi-exclusivement grâce au bouche à oreille et nous venons d’atteindre récemment un million d’inscrits. Chaque année, nous permettons le recrutement de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Quels sont les secteurs les plus actifs en ce moment ?

A. M. : Les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration restent très demandeurs et ils sont aussi rattrapés par la relation client et le retail, dans lesquels le turnover (taux de renouvellement) est souvent marqué. De la même manière, depuis la crise du Covid, la logistique et l’industrie sont devenus très dynamiques, notamment l’industrie autour des voitures électriques qui draine de plus en plus d’emplois.

Il faut bien prendre en compte que ce ne sont pas forcément les profils les plus qualifiés qui sont recherchés mais bien les personnes qui font tourner les entreprises et l’industrie au quotidien. Le secteur du numérique a par exemple besoin de techniciens en data et en intelligence artificielle, pas uniquement de docteur en mathématiques.

Avec le contexte d’inflation et de contraction des investissements, est-ce toujours la bonne période pour recruter ?

A. M. : Il existe une vraie pénurie notamment pour les secteurs très précis et perfectionnés. Mais le concept de pénurie est utilisé à tout-va par des entreprises qui ne font pas le nécessaire pour mieux recruter. Des boîtes qui ont aussi des difficultés à se rendre visibles sur internet.

L’attractivité dépend grandement de la marque employeur et des conditions de travail des offres. Après la crise sanitaire, l’hôtellerie a par exemple décidé de proposer des missions aux horaires plus simples en termes de rythme et avec des salaires plus compétitifs. Même si la période s’avère compliquée en matière de rentabilité, le recrutement doit rester en haut de la pile.

Trop souvent, les entrepreneurs ou dirigeants d’entreprise négligent le sujet du recrutement et se cantonnent à relayer des annonces en ligne. Mais c’est en réalité un travail qui prend du temps et des ressources, même en période d’instabilité. S’assurer de recruter les meilleurs talents est un vecteur assuré de différenciation pour l’organisation. Et si la société, grande ou petite, manque de temps, elle peut choisir d’outsourcer cette activité auprès d’experts comme nous.

Quelles sont les compétences clés demandées généralement aux candidats ? Qu’en est-il des soft skills ?

A. M. : Chaque métier a des besoins différents et nous nous adaptons aux réalités des clients au plus proche de leur organisation interne. Il y a évidemment parfois des entretiens vidéo et des tests mis en place pour mettre en valeur les soft skills. Mais nos algorithmes ont aussi la capacité d’identifier les compétences qui peuvent matcher plusieurs métiers à la fois.

Par exemple, dans le monde de la restauration, un chef de rang dispose d’une parfaite connaissance de la relation client et des atouts nécessaires pour changer de secteur d’activités. Nous nous basons essentiellement sur le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME) de Pôle Emploi, que nous avons directement enrichi au fil des ans avec de l’IA.

Bruce est devenu récemment une entreprise à mission, quel est le but de ce statut ?

A. M. : C’est un engagement pris pour rendre le marché de l’emploi plus juste et plus efficace. Ce rôle est devenu notre raison d’être et le statut d’entreprise à mission permet d’asseoir cette vision. Concrètement, cela implique un audit tous les 3 ans qui challenge notre modèle dans le bon sens. Autrement dit, favoriser un recrutement qui ne se base pas sur des critères méritocratiques mais qui élimine au contraire tous les biais connus.

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