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Vers une forte correction des prix de l’immobilier ?

OPINION | Développement du télétravail, multiplication des familles monoparentales, volonté des ménages, en France, d’être propriétaires de leur logement, faibles rendements des placements obligataires peu risqués, taux du Livret A fixé à 1% : tous les ingrédients d’une poursuite de la croissance des prix de l’immobilier d’habitation semblaient être réunis en début d’année 2022. Des pressions inflationnistes commençaient toutefois à se faire sentir et la FED avait, en conséquence, déjà annoncé la fin de sa politique d’assouplissement quantitatif et des perspectives de hausse des taux aux Etats-Unis. Mais l’accélération de l’inflation suite, entre autres, aux effets de la guerre en Ukraine a changé la donne : l’inflation et la hausse des taux en Europe constituent-elles des facteurs de baisse des prix des actifs ? En particulier, peut-on désormais s’attendre à une forte correction des prix de l’immobilier d’habitation en France ?

Face aux poussées d’inflation aux Etats-Unis, le Président de la FED, Jérome Powell avait ouvert la voie à la hausse des taux, il y a environ un an, en théorisant le tapering : ainsi, tel un sportif qui lève le pied avant la compétition, Powell annonçait la réduction, chaque mois, des rachats d’actifs financiers dont la vocation était l’injection de liquidités dans l’économie pour stimuler la croissance. Le calendrier communiqué prévoyait la fin de la politique d’assouplissement quantitatif en juin 2022 et le début de la hausse des taux durant l’été. La Banque Centrale Européenne (BCE), par la voix de sa Présidente, Christine Lagarde, considérait alors que les poussées d’inflation étaient purement conjoncturelles ; dans ce contexte, et pour éviter d’étouffer des économies convalescentes suite à la crise du COVID 19, le tapering était hors de propos et une hausse des taux encore moins envisageable.

La résurgence de l’inflation ne date pas du début de la guerre en Ukraine : la reprise de l’investissement et de la consommation, suite aux allègements des mesures restrictives permis par la vaccination de masse, a conduit à une forte hausse de la demande que l’industrie n’a pas toujours su satisfaire : la politique de zéro COVID en Chine a conduit à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement ; les fournisseurs de semi-conducteurs qui s’étaient tournés vers de nouveaux débouchés commerciaux pendant les confinements ne donnaient plus la priorité à leurs clients historiques, provoquant ainsi des retards significatifs dans la fabrication de produits finis, notamment dans l’industrie automobile. En outre, cette forte reprise de l’activité a conduit à une hausse de la demande et du prix de certaines matières premières, à commencer par celui du pétrole.

Les marchés obligataires se sont rapidement alignés sur la position de la FED, pariant sur une hausse des taux dans la zone euro. La valeur d’un actif est égale à la somme des flux de trésorerie futurs actualisés que cet actif va rapporter, dans le futur à son propriétaire. Ainsi, l’application de ce principe à n’importe quelle obligation à taux fixe, permettait de chiffrer le taux de référence anticipé par le marché et d’en déduire que la hausse des taux était déjà une réalité.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, a renforcé ces tendances inflationnistes et accéléré le calendrier de Powell. En premier lieu, les sanctions contre la Russie, notamment la volonté de l’Europe et des Etats-Unis de ne plus lui acheter de matières premières énergétiques (à commencer par le pétrole et le gaz) a mécaniquement conduit à une hausse, parfois significative de leurs prix, souvent répercutées au consommateur final. La guerre empêche également la plupart des exportations de matières premières en provenance d’Ukraine, en particulier de céréales. Une fois de plus, la réduction de l’offre se traduit par une hausse des prix conduisant à des niveaux d’inflation que l’Europe et les Etats-Unis n’avaient pas connus depuis le début des années 80, à la suite du deuxième choc pétrolier. L’une de missions de la FED est de maintenir l’inflation en dessous de 2%. À la suite d’un taux d’inflation de 7,9% en février 2022 (sur un an), avant même que les effets économiques de la crise ukrainienne ne se fassent sentir, la FED a décidé, le 16 mars 2022, pour la première fois depuis 2018, une hausse des taux, fixée à 0,25% ; elle a également annoncé que 6 autres hausses interviendraient d’ici la fin 2022. En avril 2022, l’inflation (sur un an) atteignait 8,6%, justifiant une hausse des taux de 0,75% le 15 juin dernier et l’annonce d’une très probable nouvelle hausse en juillet 2022 de 0,50% à 0,75%. En Europe, l’inflation sur un an, en mai 2022, était de 8,1%, contre 7,4% en avril ce qui a conduit Christine Lagarde à annoncer la fin des taux d’intérêt négatifs d’ici la fin du troisième trimestre 2022, ouvrant de facto la porte à une première hausse des taux, par la BCE, depuis 11 ans, qui légitimerait les anticipations du marché.

Dans ce contexte, le taux des OAT à 10 ans ne pouvait qu’accélérer sa croissance : le rendement de ces obligations émises par l’Etat ne peut être décorrélé de celui de leurs homologues américaines, les Treasury Bonds (T-Bonds) à 10 ans dont le taux est actuellement de 3,14% ; sinon, nombre d’investisseurs en dette souveraine se détourneraient des OAT pour privilégier les T-Bonds, rendant impossible le financement du déficit budgétaire de la France.

Or, les taux des crédits hypothécaires proposés aux particuliers sont, en principe, indexés sur celui de l’OAT à 10 ans. En septembre 2021, le taux nominal, nécessairement annuel, annoncé aux particuliers pour financer l’acquisition de leur logement était de l’ordre de 1,5%. Dans ce cas, un emprunteur pouvant mobiliser 1 000 € par mois sur 20 ans pour payer des mensualités constantes avait une capacité d’emprunt de 207 234 €. A cette date, le taux des OAT était de -0,4%. Aujourd’hui, le taux des OAT est de 2,2% ce qui traduit une hausse de 2,6% et devrait conduire à porter le taux nominal à 4,1%. La progression du taux nominal est toutefois limitée par le taux de l’usure qui fixe, actuellement, à 2,4% le plafond que peut atteindre le taux annuel effectif global (TAEG) d’un crédit hypothécaire sur 20 ans. Dans ce cas, les mensualités constantes de 1 000 € sur 20 ans ramènent le montant empruntable de 207 234 € à 190 460 € soit une baisse de 8%.

Le principe du taux de l’usure a historiquement vocation à éviter à l’emprunteur de supporter un coût de la dette anormalement élevé. Il expose aujourd’hui les emprunteurs à un risque de fermeture du robinet du crédit, ou tout au moins à un très fort accroissement de la sélectivité des dossiers : si le coût de refinancement des banques est de l’ordre du taux des OAT à 10 ans et que celui-ci dépasse – ce qui est prévisible – le taux de l’usure, le crédit hypothécaire devient une activité à marge négative, ce qui est inacceptable financièrement donc inenvisageable.

Une modification du calcul du taux de l’usure, pour l’instant écartée reste la voie la plus crédible. En supposant que le taux nominal puisse être porté à 4,1%, les mensualités de 1 000 € sur 20 ans ramènent le montant empruntable de 207 234 € à 163 596 € soit une baisse de 21%. Une telle baisse des liquidités susceptibles d’être investies dans l’immobilier se traduirait probablement par une baisse de 21% des prix de l’immobilier. Plus qu’un krach immobilier, il s’agirait d’une correction des prix, préférable à un credit crunch c’est-à-dire d’un effondrement du marché qui résulterait d’une nette diminution de l’offre de crédit.

Olivier Levyne est Professeur de Finance à l’ISC Paris

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