Le milliardaire Ramzi Musallam ne s’inquiète pas du fait que les agences gouvernementales américaines soient ses plus gros clients à une époque où les réductions budgétaires sont à l’ordre du jour.
Pour une société de capital-investissement dont la plupart des entreprises en portefeuille dépendent des dépenses publiques pour la majeure partie de leur chiffre d’affaires, le département chargé de l’efficacité gouvernementale du gouvernement américain (DOGE) semble jeter une ombre sur ses perspectives de croissance. Le PDG de Veritas Capital, Ramzi Musallam, insiste sur le fait que l’effet a été tout à fait inverse, et son argumentaire a convaincu les investisseurs.
La semaine dernière, Veritas Capital a levé 14,4 milliards de dollars pour son neuvième fonds phare, l’un des plus importants fonds levés par une société dans une année autrement morose pour la levée de fonds privés. Ce fonds porte le total des actifs sous gestion de Veritas Capital à plus de 54 milliards de dollars et lui donne une nouvelle réserve financière pour investir dans des entreprises technologiques dans des secteurs fortement réglementés tels que la santé, la défense, l’éducation, les infrastructures et les technologies financières.
Les sociétés du portefeuille de Veritas Capital génèrent un chiffre d’affaires annuel de 25 milliards de dollars, dont environ 60 % proviennent d’agences gouvernementales américaines et le reste du marché des entreprises (la société n’investit pas dans les entreprises qui vendent directement aux consommateurs). Ramzi Musallam explique que Veritas Capital se concentre sur les entreprises qui disposent d’une technologie « indispensable » permettant de réduire les dépenses inutiles.
« Le gouvernement actuel fait ce qui aurait dû être fait depuis longtemps, en mettant l’accent non seulement sur l’efficacité, mais aussi sur la qualité », explique Ramzi Musallam à Forbes. « L’idée est de savoir comment utiliser la technologie pour réduire les coûts et améliorer les résultats. C’est l’objectif du gouvernement, et cela correspond parfaitement à notre objectif. »
Parmi les entreprises qui composent aujourd’hui son portefeuille, on trouve Cotiviti, une société d’analyse de données dans le domaine de la santé dans laquelle KKR a pris une participation l’année dernière pour une valeur de 11 milliards de dollars, et Gainwell Technologies, qui fournit des logiciels aux agences Medicaid des États américains et à d’autres programmes de santé publique à travers les États-Unis.
Les États américains devront de plus en plus s’appuyer sur la technologie pour se conformer aux nouvelles exigences de certification d’éligibilité prévues dans le « Grand et Beau projet de loi » de Donald Trump, notamment l’obligation pour les États de vérifier chaque mois que certains bénéficiaires de Medicaid travaillent, font du bénévolat ou fréquentent l’école. Les 50 États ont déjà dépensé 34 milliards de dollars au cours de l’exercice 2023 pour l’administration de Medicaid.
Le projet de loi prévoit une réduction d’environ 1 000 milliards de dollars des dépenses de Medicaid au cours des dix prochaines années, et le Commonwealth Fund, une fondation privée spécialisée dans les soins de santé, estime que 500 000 emplois pourraient être supprimés dans le secteur de la santé en raison de ces coupes budgétaires. Cependant, à mesure que les effectifs des pharmacies, des hôpitaux et des cliniques diminuent, les logiciels tels que ceux fournis par Gainwell deviendront probablement plus indispensables pour combler ce vide.
L’année dernière, Veritas Capital a également fait son entrée dans le secteur des technologies financières en rachetant l’activité bancaire numérique basée sur le cloud de NCR Voyix pour 2,45 milliards de dollars. Veritas Capitl a rebaptisé la société Candescent. Cette dernière fournit désormais des logiciels bancaires à plus de 1 500 institutions. Ramzi Musallam a déclaré que son entreprise avait examiné plus de 100 opportunités d’investissement dans le domaine des technologies financières avant de se décider pour celle-ci et qu’elle comptait rester active dans ce secteur.
L’intérêt particulier de Veritas Capital pour les domaines où la technologie rencontre le gouvernement et la bureaucratie s’est avéré fructueux. La société se classe dixième sur 649 dans le classement HEC-Dow Jones des performances des grandes acquisitions de cette année, une liste annuelle compilée par Oliver Gottschalg, professeur à l’école de commerce HEC Paris, qui évalue les performances globales sur une période de dix ans. Les documents du fonds de pension de l’État de l’Oregon révèlent que le sixième fonds phare de Veritas Capital a généré un impressionnant taux de rendement interne net de 36 % par an depuis son lancement en 2017, tandis que son septième fonds a rapporté 8,7 % par an depuis 2020.
Depuis que Ramzi Musallam a pris la direction de l’entreprise après le décès de son fondateur Robert McKeon en 2012, les actifs de Veritas Capital sont passés de deux milliards de dollars à 54 milliards de dollars. La fortune personnelle de Ramzi Musallam est actuellement estimée à 10,8 milliards de dollars. Ce ressortissant jordanien a déclaré à Forbes en 2021 que le gouvernement américain est « le plus grand investisseur individuel dans le domaine de la technologie, sans exception, bien au-dessus de ce qu’investit l’ensemble de la communauté du capital-risque ».
Les résultats obtenus par Veritas Capital ont convaincu ses investisseurs institutionnels de revenir vers elle, alors même que de nombreux fonds de pension et fonds de dotation réduisent leurs allocations en capital-investissement. Ramzi Musallam ajoute que, pour la première fois, une part « significative » du nouveau fonds provient de family offices : solliciter les canaux de fortune privée est devenu monnaie courante pour les sociétés de capital-investissement.
Un document d’investissement destiné au fonds de pension des enseignants de l’Arkansas indique que le fonds de Veritas Capital ciblera des entreprises rentables dont la valeur est comprise entre 500 millions de dollars et cinq milliards de dollars. Cette taille lui permettra de co-investir avec d’autres sociétés afin de cibler également des entreprises plus importantes.
La collecte de fonds de capital-investissement à l’échelle mondiale a chuté d’environ 40 % depuis son pic de 1 100 milliards de dollars en 2021, les sociétés ayant plus de difficultés à vendre des entreprises et à redistribuer les bénéfices aux investisseurs. Veritas Capital fait partie des rares sociétés qui ont résisté à cette tendance cette année. La société de rachat de logiciels Thoma Bravo a bouclé une levée de fonds de 24 milliards de dollars en juin, la seule levée de fonds aux États-Unis supérieure à celle de Veritas Capital jusqu’à présent en 2025.
« Nous allons assister à une bifurcation dans le capital-investissement, et les investisseurs vont se concentrer de plus en plus sur les entreprises capables de fournir un modèle reproductible et d’offrir des rendements constants dans le quartile supérieur ou le décile supérieur », prédit Ramzi Musallam. « Il en résultera une consolidation accrue du marché, et bon nombre des fonds qui existent aujourd’hui n’existeront plus nécessairement dans cinq ans. »
Dans un monde où certains ont tout et d’autres n’ont rien à Wall Street, les 6 800 milliards de dollars de dépenses annuelles de l’Oncle Sam donnent à Veritas Capital un avantage pour s’imposer comme l’un des gagnants. L’entreprise prévoit de s’approprier une part encore plus importante de ce gâteau, car de plus en plus de tâches sont externalisées en raison de la réduction des effectifs fédéraux, ce qui confère un rôle démesuré aux sous-traitants du gouvernement américain.
Article de Hank Tucker pour Forbes US, traduit par Flora Lucas
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