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Télétravail : la mort du bureau ? Retour sur un livre et la notion de care

Si, pour les experts des environnements de travail, la lecture de l’ouvrage de Sara Proust publié par la Fondation Jean Jaurès et les éditions de l’Aube n’apportera pas grand-chose, j’en recommande la lecture aux managers et aux chefs de projet qui démarrent leurs réflexions sur le télétravail et l’adaptation de leurs environnements de travail.

 

Loin des dogmes qui sévissent, soit en faveur du télétravail, nouvelle matrice de tous nos espoirs (ceux des salariés, des sourceurs de talents, des territoires…), ou à l’inverse repoussoir (« dans le mot télétravail, j’entends plus le mot télé que le mot travail », auraient prononcé certains dirigeants d’entreprise) auquel on reproche de tuer le sens du collectif et de l’engagement, il est bon de prendre un peu de recul.

Avec l’autrice, nous nous rejoignons sur la nécessité qu’il y a à rééquilibrer nos modes de management vers plus de confiance et de « pouvoir d’agir » (elle parle d’autonomie), comme nous y invite une forme d’éthique, l’éthique du care (du prendre soin, du souci de l’autre). De fait, « un manager ne devient pas surcontrôlant en télétravaillant, il l’était auparavant », écrit l’autrice. Je partage ! Et l’éloignement, ajoute-t-elle, puisqu’il se renforce avec la pérennisation du télétravail, n’aidera pas au lâcher-prise…

Car il y a une valeur évidente à la coprésence : celle de se rassurer, en tant que manager ! Voir son équipe « travailler » au bureau, c’est être rassuré par une présence qui ne dit rien, en fait, de la réalité de l’activité… Voir les personnes quitter le lieu de travail après 19h, c’est être sûr de leur engagement… Tout cela vous semble daté ? C’est pourtant bien de notre époque dont il est question, et l’autrice rappelle à maintes reprises combien la France pâtit d’une culture managériale qui se confond encore trop souvent avec un certain culte du présentéisme.

Face à cela, face à des managers souvent profondément bousculés, l’autrice nous invite à élaborer collectivement des « guides de bonnes pratiques ». Ils répondent à deux nécessités. D’abord, aider les managers à s’aligner sur un horizon commun (comment repositionner mon rôle de manager dans les nouveaux espaces de travail ?), dans une dynamique de « test & learn » qui consiste moins à figer des règles qu’à définir ensemble des « communs » : des repères pour guider l’action, qui s’ajustent dans le temps, au regard des pratiques réelles.

L’autre nécessité, ce sont les repères dont l’ensemble des collaborateurs ont besoin pour le bon usage des espaces, et là des règles doivent pouvoir être définies : on nettoie un espace et l’on remet « les choses en place » quand on le quitte, par exemple. Tout cela relève en partie d’un certain « bon sens civique », mais il n’en demeure pas moins indispensable d’en parler et de se mettre d’accord. Ou, pour le moins (et là se situe ma préférence), de se donner quelques grands principes directeurs, appelons cela l’esprit des règles. Par exemple, respecter les personnes et les espaces, ce qui peut signifier ceci ou cela (donner quelques illustrations concrètes).

Pour ce faire, la pédagogie du Workplace Game, élaborée depuis 15 ans aux Pays-Bas au sein de l’Université de Delft, apporte une réelle valeur ajoutée : en favorisant une éthique de la discussion, le jeu permet à des pairs (des managers) d’échanger sur leurs convictions autour de questions très concrètes, de tendre (ou non) vers une réponse qui fait consensus. Ce jeu peut aider à rédiger un guide des Bonnes Manières, qui pourra par la suite être éprouvé sur le terrain, ajusté, redébattu, sans cesse amélioré. « Au fond, il faut leur donner des repères, le fait qu’ils échangent entre pairs est un excellent outil pour avancer dans des organisations nouvelles du travail », précise l’un des interviewés de l’autrice, à juste titre.

Ce qui compte le plus, c’est bien de former les cadres « à l’habitude de poser des questions [et j’ajouterais de se poser des questions] sur les environnements de travail proposés, notamment en télétravail ». La pédagogie ludique évoquée plus haut peut y contribuer, indéniablement, en l’insérant dans un corpus pédagogique plus ample, afin de donner aux managers les bases d’un management par l’espace : « Apprendre et changer de positionnement par un travail de groupe entre pairs », c’est bien l’enjeu.

In fine, nous dit Sarah Proust, « l’extension du télétravail fournit l’occasion de repenser les pratiques managériales et de tendre vers un changement de culture, où la confiance et l’autonomie constitueraient des objectifs ». Cette prise de conscience, certes grandissante, doit encore être accompagnée, car pour beaucoup les environnements de travail demeurent pour l’essentiel une préoccupation immobilière, sans réelle connexion avec les enjeux de transformation managériale.

Or il s’agit bien de cela : prendre conscience, collectivement et de façon ludique si l’on recourt au jeu évoqué (ou à une autre forme de pédagogie par le jeu), des potentialités (et ils ne sont que cela) des nouveaux environnements de travail dans un contexte hybride ; prendre la pleine mesure, pour autant, de ces potentialités et des changements qu’elles impliquent très concrètement. Par exemple, ne plus avoir de bureau individuel fermé nécessite de se poser la question du quand et du où recevoir un collaborateur pour un échange qui risque d’être déplaisant… Ces questions nouvelles dépassent le seul enjeu de l’espace, car elles sont à mon sens une formidable opportunité pour, encore une fois, questionner nos modes de management – et se questionner.

 

Parler de transformation PAR les espaces de travail, et non plus de transformation DES espaces de travail, prend alors tout son sens : les nouveaux environnements créent un potentiel de transformation, constituent un « tremplin vers », dont les équipes vont devoir s’emparer – ou non – pour apprendre à travailler autrement. Comme évoqué, certaines questions se posent de façon triviale, il n’y a donc pas d’échappatoire ! Mais ne laissons pas les managers seuls face à ces dilemmes.

Je mesure, après avoir refermé ce court opus, combien la notion de « care » et la transformation par les espaces de travail sont profondément liés, au regard des postures individuelles et collectives qu’il convient de renforcer : confiance et pouvoir d’agir, dont il est question dans le livre, auxquels j’ajoute l’écoute et la reconnaissance. Soit la matrice de nos quatre besoins si je m’inspire de l’éthique du care. Les futurs espaces de travail devront ainsi pouvoir aider à incarner, « dans le dur », ces besoins humains, tout en invitant les occupants à faire évoluer leurs propres postures. Tout cela convoque un triple dialogue : celui de l’espace et du management, celui qui doit pouvoir se créer entre pairs, celui qui se crée entre le manager et son équipe. L’éthique du care, qui est une éthique de la conversation, nous y invite et donne quelques clés pour y parvenir.

 

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