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Rapport au travail : Autonomie, reconnaissance et sens

Publiée en octobre dernier, l’étude du Haut-Commissariat au Plan intitulée « La grande transformation du travail : crise de la reconnaissance et du sens du travail »  a le mérite de proposer une synthèse claire et documentée.

 

Rien de bien neuf in fine, mais la confirmation que le désir d’autonomie, le besoin de reconnaissance et la quête de sens forment un triptyque incontournable. Le management est donc au cœur de cette mécanique complexe. Enfin, jeunes ou moins jeunes, nos aspirations évoluent plutôt à l’aune des contraintes économiques (inflation, prix des logements), qui font remonter en force les attentes en termes de rémunération.

 

Autonomie, reconnaissance & sens : les trois piliers de l’expérience collaborateur
L’étude s’appuie, certes brièvement, sur des travaux académiques qui, à mon sens, font référence. On y retrouve ainsi ces deux piliers établis que sont le désir d’autonomie et le besoin de reconnaissance (ou d’estime de soi), que deux théoriciens allemands ont analysés – Hartmut ROSA pour le premier, Axel HONNETH pour le second. La question du sens au travail, bien explorée quant à elle par Thomas COUTROT et Coralie PEREZ dans leur ouvrage paru en 2022 (Redonner du sens au travail), est également au centre de l’étude.

 

Rappelons que ces deux auteurs ont mis en évidence trois catalyseurs majeurs :
– Le premier, c’est le lien fort qui existe entre cette quête de sens et la dimension du « care » : lorsque le fruit de mon action au quotidien permet de satisfaire les besoins d’une personne « concrète », lorsque je suis de surcroît en relation directe avec elle, cela me confère un sentiment d’utilité. Son degré de vulnérabilité importe bien sûr – prendre soin d’un enfant, d’un patient, d’un senior… tout cela compte.
– Le second pivot, qui montre la cohérence de l’ensemble, c’est la reconnaissance.
– Le troisième, c’est l’accroissement du pouvoir d’agir, le fait d’apprendre, de se transformer personnellement. De gagner, in fine, plus d’autonomie.

 

Au fond, il est bon de rappeler avec Marcel MAUSS (Essai sur le don, 1925) combien la « valeur travail » dépasse les enjeux liés à l’emploi à proprement parler (qui intègrent la dimension rémunératrice) : « Le producteur (…) sent de façon aiguë, qu’il échange plus qu’un produit ou qu’un temps de travail, qu’il donne quelque chose de soi ; son temps, sa vie, il veut donc être récompensé » (p. 210).

 

L’autonomie recherchée, la quête de sens et de reconnaissance façonnent donc un rapport au travail qui n’a rien de bien neuf. Mais ces aspirations sont plus clairement manifestes, voire revendiquées, par les jeunes actifs. Là où les générations précédentes les « internalisaient », les mettaient en sourdine, les générations dites connectées sont plus affirmatives – et elles ont raison de l’être à mon sens. J’y vois le signe d’une réelle exigence, pour elles-mêmes, mais aussi dans leur rapport au travail, dans ce qui donne sens précisément à leur engagement.

 

« Mon » bureau : un rapport à l’espace qui est aussi un rapport à la privacité
Pour les professionnels de l’immobilier, cette copieuse publication apporte des confirmations bienvenues. D’abord, elle nous rappelle que pour les plus jeunes des actifs, l’aspiration au travail hybride se dédouble d’une aspiration tout aussi forte : la jouissance d’un… bureau individuel attribué ! Etonnante perspective, que deux phénomènes semblent éclairer.

 

Le premier, c’est cette « civilisation du cocon » (titre d’un livre du journaliste et essayiste Vincent COCQUEBERT paru en 2021), du « repli sur soi et[d’]un désir de sécurité accru » (p. 14), dont il est essentiel de tenir compte « au bureau ». Ce besoin d’un espace cocon, d’une forme de refuge, exprime donc quelque chose d’extrêmement fort, d’ordre sociétal, qui ne peut être évacué à l’aune des seuls bénéfices attendus (espérés ?) de l’open-space et du flex-office. Il est une autre manière de redire toute l’importance du champ personnel au travail, quand la personne peut disposer d’un espace de pause, voire de bien-être. La disparition progressive du bureau individuel fermé implique donc la création d’espaces où il redevient possible de souffler, de prendre un appel personnel, de s’isoler momentanément du « bruit du monde » et du rôle social joué au travail (tomber le masque). Le respect de la « privacité », ce sentiment de confort lié au respect de mon intimité, est essentiel.

 

Le second, ce sont les nuisances sonores, le bruit justement, ce « facteur de burn-out et la première source de désagrément du travail au bureau » (p. 42 ; sources : Assemblée Nationale, rapport du 15.02.17, et Fondation J. Jaurès, « Le bureau fragmenté », mai 2021). Elles figurent toujours parmi les points de vigilance exprimés par les salariés qui voient évoluer leurs espaces de travail vers plus d’ouverture et de partage.

 

Du mauvais usage du digital : le travail hybride en question
Enfin, l’espace et le temps se rejoignent lorsque l’étude souligne l’inadéquation de nos usages de l’email. Comme l’ont bien montré les travaux de la Chaire FIT² (MINES ParisTech), ce mode de communication asynchrone est constamment dévoyé : une étude de l’ANACT datant de 2018 établissait déjà, à partir d’une étude empirique, que 77% des personnes interrogées traitaient « leurs messages en continu, bien qu’ils soient conscients de l’effet négatif de cette réactivité sur leur concentration et l’avancée de leurs autres tâches » (p. 30).

Comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer sur ce site , nos usages du digital figurent parmi les quatre « tabous » qu’il est utile de travailler si l’ont veut mieux maîtriser le travail hybride.

 

L’étude rappelle enfin que l’anthropologue britannique David GRAEBER, connu pour son étude sur ce qu’il a nommé les « bullshit Jobs » (nul besoin d’une traduction je crois !), avait mis en évidence ce chiffre (issu d’une étude nord-américaine portant sur la période 2015-2016) : le temps consacré aux emails est celui qui a crû le plus, passant de 12% à 16% sur la période considérée, les tâches administratives et le temps alloué aux réunions représentant chacune 11% du temps. Traiter ses courriels au bureau, quand le face à face et la part des échanges informels devraient davantage nous mobiliser, les gérer de façon synchrone, dans l’instant, n’a pas de sens. Réussir le travail hybride, c’est donc déjà mieux utiliser des outils simples.

 

Croire, un peu naïvement, qu’en créant des surfaces plus importantes dévolues au « collaboratif » et à la « convivialité », sans intégrer la dimension temporelle que révèlent nos usages des outils digitaux, n’aidera en rien les managers à progresser. L’espace et le temps, leur gestion combinée : le quatrième pilier d’une meilleure expérience collaborateur ?

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