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Quelle est la réponse juridique à la fusion d’un nouveau géant de la télévision TF1/M6 ?

TF1Source : GettyImages

TF1/M6 vont-ils devenir le nouveau géant de la télévision gratuite ? Avec l’annonce de la fusion la question du risque de monopole se pose quant à la possibilité d’abus du marché publicitaire. Quels sont les risques et quel est le rôle de l’Autorité de la concurrence et du Conseil supérieur de l’audiovisuel ? L’éclairage d’Isabelle Wekstein-Steg, Avocate à la Cour et associée fondatrice du cabinet WAN.

 


Désirée de Lamarzelle : Quel sont les risques d’abus de position dominante ?

Isabelle Wekstein-Steg : Ils semblent a priori très importants. Il faut rappeler qu’en France les dispositions relatives aux pratiques anticoncurrentielles tirées du droit européen (art. 102 TFUE) une position dominante est considérée comme établie à l’égard d’une entreprise lorsque celle-ci détient un monopole de fait ou de droit ou lorsqu’elle peut adopter un comportement indépendant vis-à-vis de ses concurrents. Un abus de position dominante suppose la réunion de deux conditions cumulatives : une position dominante sur le marché pertinent préalablement déterminé et un abus, lequel est apprécié par une exploitation de cette position dominante caractérisée comme abusive. Cela concerne tant le marché des services en cause que le marché géographique. La détention de 50% de parts de marché étant régulièrement retenue comme indice suffisant pour qualifier de dominante une position par la CJUE. Les groupes TF1 et M6 représenteront ensemble près de 70% des parts de marché de la publicité sur les chaines télévisées françaises gratuites.

 

Est-ce la caractéristique d’un abus de position ?

I. W.-T. : Le fait de détenir une position dominante n’implique pas nécessairement en soit qu’elle soit abusive. Toutefois la nouvelle entité aura un tel poids sur certains marchés que l’on peut craindre des comportements de nature à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. En effet, les groupes TF1 et M6 disposeraient ensemble d’une position économique considérable et ce, à plusieurs égards : 42 % des parts d’audience ; 10 chaînes de télévision cumulées ; 70 % du marché publicitaire sur les chaînes gratuites ; et 40 % des commandes de production de contenus audiovisuels (films, programmes TV). L’éviction sur le marché de concurrents ou le renforcement de la position dominante de la nouvelle entité seraient incontestablement constitutives d’un abus.

 

Quels rôles l’Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l’audiovisuel vont-ils jouer ?

I. W.-T. : Il y a « l’opération de concentration projetée » ( une fusion, ou la prise de contrôle d’une entreprise par une autre) que les parties concernées sont tenues de notifier à l’Autorité de la concurrence qui évalue alors les risques concurrentiels liés à l’opération envisagée et peut s’opposer à sa réalisation ou encore l’assortir à des conditions. Dans le secteur de l’audiovisuel, il y a les dispositions de la loi Léotard qui instaure un ensemble de règles destinées à éviter la concentration de médias de masse entre quelques opérateurs de façon à protéger le pluralisme, le jeu de la concurrence : toute personne physique ou morale ne peut détenir plus de 49% du capital ou des droits de vote d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre (Bouygues détient à ce jour presque 44 % du capital de TF1).
Enfin, l’autorisation de diffusion hertzienne terrestre ne peut être accordée à un groupe audiovisuel français qui édite ou contrôle plusieurs publications quotidiennes imprimées d’information politique et générale représentant plus de 20 % de la diffusion totale, sur le territoire national, des publications quotidiennes imprimées de même nature.

 

Et en ce qui concerne plus particulièrement la fusion TF1/M6 ?

I. W.-T. : Dans une interview (France Info) la présidente de l’Autorité de la concurrence, Madame Isabelle de Silva, a émis des doutes au sujet de la fusion entre les groupes TF1 et M6. Elle a en effet expliqué qu’à eux seuls, les deux groupes représentent 70 % du marché de la publicité des chaînes télévisées gratuites, une part de marché très importante qui selon elle pourrait potentiellement faire obstacle à la réalisation d’une telle opération. Au-delà du marché de la publicité des chaînes télévisées gratuites, il y a les marchés d’acquisitions de droits de films ou d’événements sportifs, sur les chaînes TNT, les plateformes de streaming ou encore dans le secteur de la radio.

 

Quels sont les précédents dans l’audiovisuel ?

I. W.-T. : Une opération de concentration entre deux groupes telle que la fusion deTF1 et M6 est inédite en France. Il y a déjà eu des opérations précédentes, mais leur envergure était moindre. On peut citer le rachat des chaines NT1 et TMC par le groupe TF1 en 2009, qui avait suscité quelques craintes pour la liberté et pluralité de la création et de la concurrence. Le Groupe M6 avait d’ailleurs contesté en référé l’autorisation de l’Autorité de la concurrence pour ce rachat, sans succès. L’Autorité avait autorisé le rachat sous plusieurs conditions, notamment la limitation de la rediffusion des programmes du groupe entre les différentes chaines et la prohibition de la promotion croisée des programmes entre les chaines du Groupe TF1 et les chaines rachetées. Plus récemment, en 2012, TF1 et M6 ont contesté l’arrivée sur les chaînes payante du groupe Canal+ via le rachat des chaines Direct 8 et Direct Star par Vivendi (Canal+ étant déjà en position dominante sur le marché des chaînes payantes). L’opération a finalement été autorisée en 2014, une nouvelle fois sous certaines conditions, notamment la limitation des préachats des droits de diffusion des films français inédits, mais aussi des acquisitions par les chaînes Direct 8 et Direct Star de films catalogues auprès de Studio Canal, ou encore l’allocation d’une partie des investissements du groupe dans l’audiovisuel à moyen budget français.
Il est probable que la fusion entre les groupes TF1 et M6 fera donc l’objet d’oppositions de la part de tiers intéressés au projet de fusion, et ne soit pas autorisée facilement par l’Autorité de la concurrence.

 

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