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MANAGEMENT | Ce qu’être parent peut nous apprendre sur l’art de manager

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L’art d’être parents n’est pas anodin lorsqu’il s’agit d’accompagner nos équipes. Petit exercice de comparaison entre ces deux « métiers » au travers de quelques essentiels : la confiance, l’écoute, l’autorité, le respect des règles, la curiosité…

 

NE PAS INFANTILISER : NOS COLLABORATEURS NE SONT PAS NOS ENFANTS

Le danger, lorsque l’on évoque un tel parallèle, c’est de considérer nos collaborateurs comme nos enfants. Or non, le rôle de manager ne s’apparente pas à celui d’un parent. Si des résonances existent bel et bien, et je les développe par la suite, il convient de bien s’entendre sur un point majeur : traiter nos collaborateurs d’adulte à adulte est une évidence, et même une éthique. Dans leurs vies privées, ils font des choix – de mode de vie, d’endettement, d’éducation pour leurs enfants, etc. – pour lesquels ils se comportent en adulte. Ne pas les considérer comme tel en entreprise est un non-sens. Mais ceci mérite d’être rappelé, tant la tentation de l’infantilisation domine encore largement notre culture managériale. Une petite réflexion que je partage avec vous en deux temps (la suite de cet article paraîtra prochainement).

 

FAIRE CONFIANCE
L’éthique du care, sur laquelle je fonde mon approche du management, nous rappelle combien ce besoin est essentiel pour chacun d’entre nous : sentir que l’on nous fait confiance, pouvoir avoir confiance dans notre manager et nos collègues, voir grandir la confiance que nous avons en nous-même et celle du collectif de travail dans lequel nous évoluons. La pédiatrie a depuis longtemps démontré, avec d’autres disciplines qui s’intéressent à l’enfance, combien cette question est primordiale, et ce, dès la naissance.

Il est intéressant de s’appuyer ici sur la juste définition qu’en donne Marc Grassin, professeur à l’Institut Catholique de Paris et à l’ESSEC : faire confiance, « c’est faire le pari de l’autre ». Pour le dire autrement, faire confiance c’est accepter de se placer dans une situation de vulnérabilité, c’est prendre un risque. C’est, par essence, l’enjeu même du management : ne pas considérer que la confiance se mérite, mais qu’elle constitue un préalable dans la relation, du manager vers le collaborateur. Cela requiert, déjà, un certain degré de confiance en soi pour chaque manager.

Thibault Perrin, qui fut un temps responsable R&D chez Great Place To Work France et qui est aujourd’hui maître de conférences à l’Université de Nîmes, a montré que les entreprises labellisées ayant une performance supérieure à la normale (en termes de profitabilité) sont celles qui ont su établir une réelle culture de la confiance.

La confiance demeure donc un enjeu majeur, qui plus est dans le contexte du déploiement des formes dites hybrides de travail. Or les études disponibles ont, toutes, souligné cette difficulté bien française à faire confiance, quand télétravail rime avec télé et moins avec travail selon certaines affirmations caricaturales.

 

ECOUTER ET PARLER
Le pédiatre et psychanalyste anglais Donald W. Winnicott écrit ceci, et c’est terriblement essentiel : « Rappelons qu’un bébé que l’on mure dans le silence est un bébé mort ou mourant. » L’enfant a besoin que nous lui parlions, comme il a besoin que nous soyons attentifs à ce qu’il exprime, et ce dès sa naissance.

Il en va de même, tout aussi profondément, et parfois, malheureusement, avec des conséquences tout aussi terribles, pour nos collaborateurs : la notion de « pouvoir de dire », comme l’expriment les spécialistes de l’éthique du care, donne toute la mesure de ce besoin d’écoute. Lequel est, aussi, la première marque de considération que nous recevons, et donnons. Dire ce que je pense lorsque je ne suis pas d’accord, exprimer ce que je ressens, suggérer une idée, prendre part à une décision… les occasions ne manquent pas, et seule l’instauration d’un climat de sécurité psychologique garantira ce pouvoir et son degré.

 

Deux professeurs de l’Université Paris Dauphine – PSL ont récemment publié un article qui réaffirme l’importance de l’écoute : « De nombreuses recherches ont montré les effets positifs de l’écoute sur la performance de l’entreprise et des collaborateurs. Les employés qui se sentent écoutés par leurs collègues et leurs supérieurs sont plus performants, plus satisfaits et plus engagés dans leur travail, adoptent des comportements altruistes et tournés vers le collectif. Ils sont également moins sujets à l’épuisement professionnel. Les collaborateurs qui se sentent écoutés développent plus clairement leur pensée, leurs propos sont plus modérés. » Ce sont là autant de bénéfices, et pourtant, rares sont les équipes qui se disent suffisamment écoutées.

 

POSER DES REGLES CLAIRES
La liberté, comme la créativité, requièrent un cadre. Pour l’enfant, ne pas traverser la rue sans prendre garde (à la couleur des feux de signalisation ; sans regarder à droite comme à gauche) est une règle évidente pour tout parent, dont l’éventuelle transgression peut avoir des conséquences terribles. L’école participe de cet apprentissage, comme les clubs de sport, la pratique d’un culte ou d’un instrument de musique.

 

Les équipes se sentent « bien » quand elles disposent elles-mêmes d’un cadre clair. Les thuriféraires de la « libération » insistent eux aussi sur le cadre d’expression du processus de libération. Il ne peut donc être question d’une totale autonomie, mais bien d’un pouvoir de dire et d’agir qui s’ancre dans des règles, lesquelles, le cas échéant, méritent d’être énoncées, rappelées, voire co construites.

 

FAIRE PREUVE D’AUTORITE ET NON D’AUTORITARISME

Loïck Roche, ex-directeur de Grenoble Ecole de Management et depuis peu à l’ISG, écrivait récemment ce qui suit à propos de l’autorité, qui, nous le mesurons tous, « a pris un sacré coup » : « Longtemps, je pouvais dire que j’avais de l’autorité si j’occupais une fonction hiérarchique ; si je possédais un titre ; si j’avais des médailles. Aujourd’hui, la position hiérarchique seule, les titres seuls, les médailles seules, ne font plus garant d’autorité. Ceci est vrai dans l’entreprise ; cela est vrai en dehors de l’entreprise. » Et de poursuivre, à propos de la jeunesse : « J’affirme donc : Jamais les jeunes ont eu besoin mais, également, ont réclamé autant d’autorité ! Simplement, et comme je l’ai dit, et cela fait toute la différence, si hier les titres, les intitulés, les positions, les médailles, faisaient autorité : ne compte plus aujourd’hui pour faire autorité sur une personne que ce je suis capable de lui apporter. Si, dans l’entreprise, vous êtes en capacité d’aider, de faire grandir les personnes avec qui vous interagissez – faire grandir, c’est là d’ailleurs, ce qu’aimait rappeler Michel Serres, l’étymologie de l’autorité – alors jeunes et moins jeunes vont reconnaître votre autorité. Si, en revanche, des personnes peuvent avoir le sentiment de n’attendre rien ou plus rien de leur supérieur hiérarchique, alors elles vont s’en détourner. L’autorité d’une personne aujourd’hui n’est plus liée au pouvoir que lui confère un titre, un intitulé, une position, ou une médaille. »

 

Loïck Roche précise par la suite que ce qu’il entend par autorité se fonde sur trois compétences, la première étant cette faculté d’aider l’autre à se grandir. La seconde, c’est l’authenticité, cette capacité à s’exprimer avec sincérité. La troisième, enfin, c’est la décision, le fait d’arbitrer.
Nos enfants ont tout autant besoin d’une autorité qui les guide vers une curiosité – et une morale de la curiosité – sans cesse nourrie, non pas tant pour savoir que pour continuellement apprendre – comme le dit très justement le philosophe Jean-Pierre Martin (2019). De même, cette parole forte s’incarne, elle doit être juste et sincère, quand nous leur parlons d’un incident, quand nous les guidons, quand nous reconnaissons, aussi, nos propres erreurs vis-à-vis d’eux. Enfin, c’est nous qui devons décider pour eux de ce qui est bon pour leur alimentation, bon en matière de relation aux écrans, au repos, etc. Faire autorité, même si c’est parfois désagréable, inconfortable (quand on voudrait faire plaisir), est une nécessité.

 

Il en va profondément de même je crois en matière de management : nos équipes attendent de nous plus qu’une relation hiérarchique, elles ont besoin que nous les aidions à développer leurs talents, ce mot si galvaudé. Elles attendent de nous une réelle authenticité dans nos rapports ; et, surtout, elles supportent mal que l’on ne tranche pas, que l’on ne décide pas. Nombre de dirigeants, d’ailleurs, éprouvent de réelles difficultés en la matière et aimeraient bien voir se résoudre, sans leur contribution, la plupart des différends. Mais arbitrer en dernier ressort, pouvoir expliquer le sens de la décision prise, accepter qu’elle ne « fasse pas plaisir », c’est, comme pour nos enfants, décider de ce qui à l’instant t est le plus juste, le meilleur – le moindre mal parfois, aussi.

 

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