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Long story | L’histoire de Chime, la plus grande banque en ligne américaine

ChimeChris Britt, PDG de Chime. Crédit photo : Cody Pickens pour Forbes

En vue d’une potentielle introduction en bourse prévue en 2025, le PDG Chris Britt partage ses réflexions sur son parcours personnel, ainsi que sur l’activité actuelle et les perspectives futures de Chime. Cependant, des défis politiques émergent, notamment à Washington, qui pourraient remettre en question ces ambitions.

Un article de Jeff Kauflin pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Pendant des décennies, le secteur bancaire a été confronté à une énigme persistante : comment créer une entreprise durable et rentable au service de consommateurs à faibles et moyens revenus ? Il y a seize ans, Chris Britt, alors chef de produit chez Green Dot, pensait avoir trouvé la solution : le dépôt direct des salaires. Green Dot commercialisait des cartes de débit prépayées auprès d’Américains en difficulté financière, dépourvus de compte bancaire traditionnel. M. Britt a constaté que les clients dont les chèques de paie étaient automatiquement déposés sur leurs comptes Green Dot utilisaient la carte pour régler pratiquement toutes leurs dépenses. À chaque utilisation de la carte de débit, Green Dot percevait une part des commissions d’interchange, ces frais de 1 à 2 % que les commerçants paient pour accepter les cartes de débit et de crédit.

« Les personnes utilisant le dépôt direct étaient clairement les piliers de notre activité », explique Chris Britt, le cofondateur et PDG de Chime âgé de 51 ans. Chime est la principale banque exclusivement en ligne du pays. Avec un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliard de dollars (1,39 milliard d’euros) et sept millions de clients effectuant des transactions totalisant 8 milliards de dollars (7,4 milliards d’euros) par mois avec leurs cartes, Chime occupe une position de leader sur le marché.

Il a fallu à Chime 12 années de hauts et de bas pour en arriver là, et l’entreprise n’est toujours pas rentable. Malgré tout, M. Britt est resté fidèle à sa mission, qui est de servir les moins fortunés. Aujourd’hui, alors qu’il envisage une introduction en bourse dès l’année prochaine, le PDG, son équipe de direction et certains de ses investisseurs ont ouvert leurs portes à Forbes, dévoilant de nouveaux détails sur l’entreprise, son histoire, ses échecs passés, et ses ambitions pour l’avenir. Jusqu’à présent, Chime n’avait même pas révélé le nombre de ses sept millions de clients.

 

Le siège de Chime à San Francisco : au cœur de l’innovation dans la finance

Trônant à son bureau d’angle, dans un immeuble de 48 étages dans le quartier financier en mutation de San Francisco, Chris Britt contemple la ville, tandis que le nom de Chime brille en lettres vertes à trois endroits différents de la façade extérieure. L’entreprise a signé le bail en septembre 2021, prenant un complexe de 17 800 mètres carrés répartis sur six étages. L’environnement de travail est verdoyant, aménagé de cinq bars à snacks sophistiqués, d’une cafétéria gratuite avec un menu varié et d’un vaste toit-terrasse avec une vue imprenable sur la ville. Environ trois quarts des employés locaux de Chime viennent généralement au bureau les mardis et mercredis, selon l’entreprise.

Le bâtiment de Chime raconte une histoire bien plus complexe que celle de simples murs et bureaux. C’est un véritable témoin de l’évolution tumultueuse de l’entreprise, reflétant ses succès fulgurants lors du boom de la fintech pendant la pandémie, mais aussi ses périodes de repli stratégique, notamment symbolisées par le licenciement de 12 % de ses employés en 2022. Pourtant, au-delà des hauts et des bas, le bâtiment dépeint également la capacité de Chime à s’adapter et à se réinventer au fil du temps, suggérant une voie de croissance plus stable et durable dans le présent.

En août 2021, Chime a levé 750 millions de dollars (695 millions d’euros) à une valorisation de 25 milliards de dollars (23 milliards d’euros), ce qui porte le total des fonds levés à 2,3 milliards de dollars (2,1 milliards d’euros). Aujourd’hui, nous estimons qu’elle vaut environ 8 milliards de dollars (7,4 milliards d’euros). Nous estimons également que M. Britt et la cofondateur Ryan King, qui dirige la partie technique, détiennent chacun environ 5 % de la société. Cela signifie qu’ils ont été brièvement milliardaires sur le papier et leur fortune vaut aujourd’hui environ 400 millions de dollars (370 millions d’euros) chacun.

En 2023, le chiffre d’affaires de Chime a connu une croissance impressionnante de 30 % pour atteindre environ 1,3 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros), dont plus d’un milliard de dollars de marge brute. Mais elle a dépensé environ 270 millions de dollars (250 millions d’euros) en marketing, selon la société de mesure des médias Vivvix, et une fois que l’on tient compte de ces coûts et d’autres frais, allant de la R&D aux pertes dues à la fraude, elle a perdu environ 200 millions de dollars (185,5 millions d’euros), selon une personne connaissant bien ses finances. Chime affirme avoir été rentable au premier trimestre 2024. L’essentiel est qu’elle dispose encore de 900 millions de dollars (835 millions d’euros) de liquidités pour financer ses ambitions à court terme.

Chime est incontestablement le premier acteur parmi les « banques » exclusivement numériques ; il n’a pas de charte bancaire, mais s’associe à Bancorp Bank et Stride Bank pour offrir des produits bancaires tels que des comptes courants et des comptes d’épargne. Chase, par exemple, comptait 54 millions de clients mobiles actifs à la fin de l’année dernière.

Jusqu’à présent, Chime a surtout attiré de jeunes Américains gagnant entre 35 000 et 65 000 dollars par an grâce à ses comptes courants et ses cartes de débit gratuits. Leur stratégie de développement repose sur l’exigence pour les clients de mettre en place un dépôt direct pour accéder à une gamme croissante de fonctionnalités, incluant une protection gratuite contre les découverts jusqu’à 200 dollars et une carte de crédit sécurisée favorisant l’amélioration de la notation de crédit. M. Britt et M. King font valoir que leur modèle, axé sur la technologie et excluant les agences physiques, leur permet de servir chaque client à un coût qui n’est qu’un tiers de celui des banques traditionnelles.

 

Les défis de Chime : entre réglementation et concurrence

Malgré son avantage en termes de coûts, Chime a quelques faiblesses cachées, notamment la répression réglementaire des établissements non bancaires (le gouvernement Biden et la secrétaire du Trésor des États-Unis Janet Yellen ont envisagé l’idée) et les tentatives des grandes banques d’empiéter sur son terrain.

En effet, pour attirer les investisseurs publics et maintenir sa rentabilité, Chime doit élargir son éventail de produits et, dans une certaine mesure, sa base de clients. M. Britt vise à faire de Chime le compte principal pour ceux dont les revenus ne dépassent pas 100 000 dollars, soit plus de 75 % des travailleurs américains. Cependant, cela représente un défi de taille, car la grande majorité des clients potentiels dans la tranche de revenus entre 65 000 et 100 000 dollars possèdent déjà un compte courant dans une banque traditionnelle et auront besoin d’une incitation convaincante pour changer de banque.

Chime annonce aujourd’hui sa première véritable incursion dans le domaine des prêts, considéré comme la partie la plus lucrative des services bancaires aux consommateurs, et une étape cruciale pour réduire sa dépendance aux revenus basés sur l’interchange. Les clients auront désormais la possibilité de contracter instantanément un prêt personnel de trois ou six mois, pouvant atteindre 1 000 dollars. Aucune vérification de solvabilité n’est requise pour soumettre une demande, et aucun frais de retard n’est imposé. Cependant, tout paiement manqué sera signalé aux agences d’évaluation du crédit. Chaque prêt à court terme sera assorti d’un taux d’intérêt fixe, se situant entre 6 % et 36 % en taux annuel effectif global. Chime prévoit que ces prêts seront disponibles au cours des prochains mois, sous réserve de l’approbation réglementaire.

 

L’histoire et les ambitions de Chris Britt

À un moment donné, sans préciser de date spécifique, M. Britt envisage également d’introduire des comptes de retraite et des ETF dans l’offre de Chime. Cependant, en ce qui concerne les crypto-monnaies, il adopte une approche différente. Alors que des plateformes comme Robinhood ont connu une croissance rapide en proposant des services liés aux crypto-monnaies, et que des applications comme Cash App de Block permettent aux utilisateurs d’acheter, de vendre et de transférer des bitcoins, le PDG ne suit pas cette voie. Il déclare : « Je ne pense pas qu’il soit responsable d’imposer agressivement les crypto-monnaies à des personnes qui n’ont pas d’autres investissements ».

Kirsten Green, investisseuse de la première heure chez Chime et fondatrice de Forerunner Ventures, note que l’équipe de Chime n’adopte pas une approche de « vitesse à tout prix », qui peut parfois être associée à certaines start-ups. 

M. Britt porte naturellement son attention sur les personnes peu fortunées : il est né et a grandi à Mount Vernon, une ville de quelque 70 000 habitants située juste au nord du Bronx, à New York. « C’est une ville assez dure, de classe ouvrière, de cols bleus », explique-t-il. Ses parents ont divorcé lorsqu’il avait cinq ans et ont connu des difficultés financières ; sa mère vendait des aspirateurs Electrolux au porte-à-porte, tandis que son père « n’a pas toujours été le plus responsable financièrement » et a occupé des emplois allant de vendeur de produits cosmétiques à responsable d’un service de conciergerie. Sa mère, qui se démenait pour joindre les deux bouts, l’envoyait à Manhattan pour passer des auditions d’enfants acteurs, et il est apparu dans plusieurs publicités télévisées, notamment une publicité pour Burger King en 1977. Il a également gagné de l’argent en faisant la tournée des journaux, en pelletant de la neige et en préparant des glaces chez Baskin Robbins.

La situation de M. Britt s’est améliorée lorsqu’un voisin, un chef des Boy Scouts of America à la retraite, âgé d’une soixantaine d’années, lui a tendu la main. Joe Sonneborn, décédé en 1998, surveillait Chris Britt après l’école, payait une partie de ses frais de scolarité qui n’étaient pas couverts par sa bourse à l’école huppée Rye Country Day School et contribuait à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de dollars à ses frais de scolarité à l’université Tulane. (Lorsque Chime sera cotée en bourse, M. Britt affirme qu’elle consacrera 1 % de ses actions à des bourses d’études pour les enfants à faibles revenus).

Après avoir obtenu son diplôme d’histoire et d’économie à Tulane en 1995, Chris Britt est devenu consultant en gestion chez Accenture, puis a travaillé pour Flycast, une start-up spécialisée dans les technologies publicitaires, Comscore, une société d’analyse des médias, et Visa. En 2007, il a rejoint Green Dot, l’une des premières entreprises à avoir mis en place des cartes de débit prépayées dans les rayons de points de vente tels que CVS et Walmart. Il était chef de produit lorsque l’entreprise est entrée en bourse en 2010 avec une valorisation de 1,5 milliard de dollars et a vu le cours de ses actions chuter brutalement au cours des deux années suivantes. Aujourd’hui, la capitalisation boursière de Green Dot est inférieure à un demi-milliard. Tout d’abord, elle payait des frais élevés aux détaillants pour qu’ils acceptent de distribuer ses cartes et répercutait ces coûts sur les consommateurs. Deuxièmement, elle avait une image de marque médiocre. « C’était le produit que l’on achetait quand on n’avait pas de chance », explique-t-il. « On ne peut pas monter en gamme à partir de là. »

Au milieu de l’année 2012, M. Britt a vu une opportunité se présenter. Les grandes banques luttaient encore pour rétablir leur réputation et leurs profits après la crise financière de 2007, et Wells Fargo a annoncé qu’elle commencerait à facturer 7 dollars par mois aux consommateurs qui bénéficiaient auparavant de comptes gratuits – à moins qu’ils ne conservent un solde quotidien minimum de 1 500 dollars. En réalité, les clients pouvaient également éviter ces frais en mettant en place le dépôt direct de leurs salaires, ce qui était l’objectif ultime pour M. Britt. Pourtant, le message véhiculé par les articles de presse sur la décision de Wells Fargo était sans équivoque : les grandes banques n’étaient pas intéressées par les personnes issues de milieux similaires à celui de M. Britt, à savoir les Américains de la classe moyenne inférieure ne pouvant pas maintenir un solde de 1 500 dollars.

Cette année-là, il a fondé Chime avec M. King, un ingénieur logiciel de 47 ans, titulaire d’une maîtrise de Stanford, qui avait travaillé pendant dix ans chez Plaxo, le service en ligne de mise en relation d’annuaires sociaux lancé par Sean Parker, cofondateur de Napster (ensuite racheté par Comcast).

Chris Britt savait qu’il voulait cibler les clients à faibles et moyens revenus et les convaincre de mettre en place le dépôt direct. « Dès le début, Chris et Ryan savaient qu’ils ne voulaient pas s’adresser aux fondateurs d’entreprises technologiques de San Francisco ou aux banquiers de New York », explique Satya Patel, de Homebrew Ventures, qui a investi dans le premier cycle de financement de Chime, d’un montant de 3 millions de dollars. « Ils visaient le cœur du pays. »

 

Comment l’entreprise a surmonté l’adversité 

Puis, ils ont fait une erreur. Chime a lancé sa carte de débit en avril 2014 en utilisant les récompenses et les coupons de réduction pour attirer l’attention. Elle a levé 8 millions de dollars (7,4 millions d’euros) de financement en novembre, en déclarant aux investisseurs qu’elle aurait 150 000 détenteurs de cartes à la fin de 2015. Mais les recherches menées par Melissa Alvarado, une nouvelle employée chargée de l’analyse (devenue plus tard directrice du marketing), ont révélé que non seulement les nouveaux détenteurs de cartes de débit ne mettaient pas en place le dépôt direct, mais qu’ils ne savaient même pas qu’il s’agissait d’une fonctionnalité de Chime. Sa conclusion s’appuie sur des recherches : les services bancaires de base, sans frais, suscitent à eux seuls l’intérêt des gens, ce qui permettrait à Chime d’attirer l’attention de ses clients en les incitant à opter pour le dépôt direct.

Chris Britt a adopté une nouvelle approche, mais cela lui a coûté plus d’un an de temps précieux. À la fin de l’année 2015, Chime ne comptait plus que 7 000 utilisateurs actifs, et non 150 000. La recherche de fonds a été épuisante : Britt et King ont présenté leur projet à près de 100 sociétés de capital-risque. En 2016, ils ont finalement obtenu une « extension de série A » de 9 millions de dollars (8,3 millions d’euros) sous la direction de Lauren Kolodny chez Aspect Ventures, pour une évaluation fixe de 34 millions de dollars (31,5 millions d’euros) seulement. L’année suivante, la collecte de fonds n’a pas été beaucoup plus facile. Les investisseurs potentiels ne cessaient de rappeler le sort de Simple, une banque numérique très respectée fondée en 2009 qui avait été rachetée par BBVA pour 117 millions de dollars (108,6 millions d’euros) en 2014 – une petite sortie qui indiquait une économie non viable. Pendant ce temps, Clinkle, une fintech en vogue soutenue par Richard Branson, n’a pas réussi à accomplir grand-chose en dehors de dilapider l’argent des investisseurs.

Hans Morris, qui dirige NYCA Ventures, a envisagé et rejeté Chime en 2016 et 2017. Le problème, selon lui, était le suivant : « Vous n’avez pas beaucoup de revenus parce que vous ne voulez pas facturer beaucoup de frais. Et vous avez des coûts d’acquisition de clients élevés, peu de dépenses parmi les clients, peu de fidélité et un taux de désabonnement élevé. »

À la mi-2017, Chime ne disposait plus que de six à neuf mois de liquidités, et une grande entreprise technologique cotée en bourse a officieusement proposé de l’acheter pour 60 à 70 millions de dollars. Britt et King ont refusé l’offre et ont finalement conclu un tour de table de 18 millions de dollars (16,7 millions d’euros) avec la société de capital-risque Cathay Innovation, basée à San Francisco, en tant que nouvel investisseur principal.

Enfin, l’année suivante, la combinaison des fonctionnalités de Chime a commencé à séduire les clients potentiels. La plus innovante était l’accès aux salaires déposés directement deux jours plus tôt – quelque chose que les banques auraient pu faire, mais qu’elles n’ont jamais été incitées à faire, car cela leur aurait coûté des fonds de caisse. Chime a également mis en place un compte d’épargne, la possibilité de transférer automatiquement une partie de son salaire sur ce compte d’épargne, des retraits gratuits dans un réseau de 38 000 distributeurs automatiques de billets et l’absence de frais de découvert, le fléau de ceux qui vivent d’un salaire à l’autre. À l’époque, les banques facturaient aux consommateurs plus de 30 milliards de dollars (27,8 milliards d’euros) par an en frais de découvert, en partie à cause de la manière dont elles traitaient les transactions, avec des frais de rebond multiples de 35 dollars chacun. Chime préférait simplement refuser un achat par carte de débit plutôt que de laisser un compte atteindre un solde inférieur à zéro.

Les recommandations de bouche à oreille ont commencé à augmenter, et les coûts d’acquisition des clients ont fortement diminué. En 2019, le processeur de paiement de Chime a subi une panne qui a privé environ 500 000 clients de Chime de l’accès à leur argent pendant plusieurs heures, mais l’entreprise a également lancé son service de protection contre les découverts SpotMe, qui permet à un client de Chime d’emprunter jusqu’à 200 dollars sans intérêts ni frais de retard. Bien entendu, pour bénéficier de ce service ou d’autres caractéristiques attrayantes, il fallait mettre en place un dépôt direct.

Le modèle de revenus de Chime, basé sur l’interchange, permet de subventionner de telles fonctionnalités gratuites. Ses revenus d’interchange sont augmentés par une disposition de l’amendement Durbin, nommé d’après le sénateur Dick Durbin américain qui l’a fait adopter dans le cadre de la loi Dodd-Frank de 2010. Cette disposition permet aux banques ayant moins de 10 milliards de dollars d’actifs (comme Bancorp et Stride, les partenaires de Chime) de facturer des frais d’interchange de débit qui sont considérablement plus élevés par transaction que ce que peuvent faire les grandes banques. En outre, au fur et à mesure que le nombre de ses clients et le volume de leurs transactions ont augmenté, Chime a pu négocier une part plus importante des commissions d’interchange qui sont réparties entre les banques, les émetteurs de cartes et les réseaux de paiement comme Visa.

« Chris a réussi à créer une marque à laquelle ses clients sont fidèles », déclare aujourd’hui M. Morris, le capital-risqueur qui n’a pas investi dans l’entreprise. « Ce n’est pas différent d’Amex ou d’autres grandes marques qui fidélisent leurs clients, mais on ne peut pas citer beaucoup de sociétés de services financiers qui pratiquent des prix équitables et qui suscitent ce type de loyauté chez les personnes de ce groupe démographique. »

Malgré sa croissance, Chime n’a jamais été totalement adoptée par la Silicon Valley. Lorsqu’elle a levé 750 millions de dollars pour une valorisation de 25 milliards de dollars en 2021, les investisseurs en capital-risque qui n’y ont pas participé ont déclaré en privé qu’il s’agissait de l’entreprise la plus surévaluée qui soit. « Il est étonnant et triste de constater à quel point cette entreprise a été constamment sous-estimée », déclare Mme Kolodny, investisseuse et membre du conseil d’administration de Chime.

Certes, elle était surévaluée, comme d’autres fintechs qui ont levé des fonds pendant la période de prospérité. Mais les initiés de Chime pensent qu’une partie du scepticisme provient de l’ignorance des sociétés de capital-risque des réalités financières des Américains à faible revenu. « Nous ne résolvions pas un problème que les investisseurs de la Silicon Valley connaissaient bien », explique Mme Alvarado.

Chris Britt, qui est souvent décrit comme humble par ses pairs PDG et investisseurs, se considère également comme un outsider. Il ne tweete pas beaucoup, participe rarement à des podcasts et n’assiste qu’à peu de conférences. Il n’a pas étudié à Stanford ou dans une université de l’Ivy League. Mais lui et son équipe comprennent suffisamment bien leurs clients cibles pour continuer à leur proposer des fonctionnalités qu’ils apprécient.

Par exemple, en avril 2020, au début de la pandémie de Covid-19, Chime a proposé une avance de 200 dollars avant que les gens ne reçoivent leur chèque de relance de 1 200 dollars par personne. L’entreprise a finalement versé 6,7 milliards de dollars (6,2 milliards d’euros) de paiements de relance avec jusqu’à cinq jours d’avance, aidant ainsi les gens à payer leurs factures et faisant un coup d’éclat sur le plan du marketing. Au cours de l’été 2020, elle a lancé une carte de crédit sécurisée sans frais de retard afin d’améliorer la cote de crédit des utilisateurs. (« Sécurisée » signifie qu’un utilisateur place des fonds sur un compte Chime séparé, et c’est ce qu’il peut facturer sur la carte de crédit). Mais la croissance ne s’est pas faite uniquement par le bouche-à-oreille ; au fur et à mesure qu’elle levait d’énormes fonds, Chime a dépensé sans compter pour la publicité.

 

Combattre la fraude tout en maintenant la croissance

Parallèlement, l’afflux de nouveaux clients a également entraîné une recrudescence des mauvais acteurs et des fraudes. Chime affirme qu’elle a fini par restituer 650 millions de dollars (603 millions d’euros) de fonds de relance Covid-19 obtenus frauduleusement aux agences fédérales et étatiques américaines, y compris dans de nombreux cas où les clients demandaient des allocations de chômage dans des États où ils ne vivaient pas. La société a brusquement fermé tant de comptes pour lutter contre la fraude qu’elle a également fermé les comptes d’utilisateurs légitimes. Des sociétés de location de voitures comme Avis ont cessé d’accepter les cartes Chime.

Rétrospectivement, M. King estime qu’une partie de la fraude n’a pas été commise par des escrocs, mais par des clients ordinaires qui ont connu des temps difficiles ou qui ont fait preuve d’opportunisme. « Lorsqu’on perd son emploi et qu’on se retrouve dans le besoin, on agit souvent différemment. On en peut pas simplement catégoriser les gens de bons ou de méchants. »

La fraude a également frappé d’autres fintechs en contact avec les consommateurs et à croissance rapide ; c’est une lutte constante pour contrecarrer les mauvais acteurs sans gêner les bons clients. Chime affirme que son taux de fermeture de comptes pour cause de fraude a baissé de plus de 50 % par rapport à 2021 ; les plaintes déposées auprès du Consumer Financial Protection Bureau (CFPB) concernant des comptes Chime fermés à tort semblent avoir atteint leur maximum au cours du premier semestre 2023. Néanmoins, en novembre dernier, le CFPB a enregistré un pic de plaintes concernant des transactions non autorisées et, en janvier 2024, les consommateurs ont déposé 72 plaintes concernant des comptes Chime ouverts sans leur autorisation, signe que les voleurs d’identité passent à travers les écrans de Chime. Avec un nouveau directeur des risques en place depuis novembre 2022, Chime dit utiliser tous les outils, des modèles d’apprentissage automatique et des services tiers aux équipes dédiées d’analystes et d’enquêteurs, pour essayer de prévenir la fraude.

Pendant ce temps, Chime s’efforce de réduire les coûts dans d’autres domaines, tout en cherchant à atteindre la rentabilité. Elle a supprimé 12 % de son personnel, soit environ 160 employés, à la fin de l’année 2022. Elle a également internalisé une plus grande partie du traitement des paiements. M. King a besoin d’une armée de personnes pour cela – sur les 1 300 employés de Chime, 600 sont des ingénieurs et plus de 100 se concentrent sur les opérations de paiement en arrière-plan.

 

Chime explore de nouvelles frontières avec l’IA : une approche novatrice des services bancaires

Aujourd’hui, Chime explore l’utilisation de l’IA générative pour réduire davantage les coûts. Elle utilise un chatbot alimenté par Google pour automatiser environ 70 % des 1,5 million de demandes mensuelles de ses clients. Selon M. King, l’IA aidera éventuellement Chime à créer de nouvelles fonctionnalités, car il est possible de « canaliser chaque interaction client à travers l’IA pour qu’elle comprenne les besoins et les préoccupations de nos sept millions de membres actifs ». Au cours de l’année ou des deux années à venir, Chime envisage des fonctions d’IA orientées vers le consommateur, où un client pourrait poser à l’application des questions telles que : « Ai-je trop dépensé cette semaine ? »

Dans une salle de conférence du bureau de Chime à San Francisco en avril, Britt et King animent une réunion de bienvenue pour accueillir les nouveaux employés et décrire les grandes ambitions de l’entreprise. « Si je me demande quelles sont les entreprises fintech qui ont le potentiel d’être numéro un en termes de part de marché des comptes primaires dans les 5 à 10 prochaines années, il n’y en a que deux à mon avis. Il s’agit de Chime et de Cash App », explique M. King. À la fin de l’année dernière, Cash App, une application de transfert d’argent aux ambitions similaires à celles d’une banque, détenue par Block (anciennement Square), comptait 56 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Parmi eux, 23 millions possédaient une carte de débit Cash App, mais seulement deux millions avaient mis en place un dépôt direct. En revanche, Chime affirme que la plupart de ses sept millions d’utilisateurs actifs ont mis en place le dépôt direct.

Chris Britt et Ryan King ne peuvent s’empêcher de lancer des piques à leur redoutable concurrent. « La plupart des entreprises de fintech qui sont censées être les héros essayant de perturber les grandes banques génèrent la majorité de leurs revenus à partir des frais », déclare Britt. King ajoute : « Même Cash App facture 1,75 % pour retirer votre argent ». Cash App, Venmo et PayPal facturent des frais allant jusqu’à 1,75 % pour un retrait instantané ; le retrait est gratuit si vous pouvez attendre un à trois jours. Chime ne facture pas de frais pour les retraits instantanés.

Outre le défi que représente la diversification de ses sources de revenus et la concurrence de Cash App et des banques numériques plus petites, Chime est confrontée à quelques risques structurels persistants qui pourraient contrarier les grands projets de Britt.

Un risque potentiel est que les grandes banques se réveillent et entrent en compétition. De la même manière que Robinhood a poussé les courtiers traditionnels à offrir des transactions boursières gratuites et que les robo-advisors ont incité Vanguard et Schwab à proposer une allocation d’actifs automatisée, Chime a influencé le secteur bancaire à adopter des fonctionnalités plus conviviales pour les clients. Un exemple concret est celui de Wells Fargo, qui permet désormais à ses clients de recevoir leur salaire deux jours plus tôt. « Les banques n’ont pas une structure de coûts qui leur permette de servir ce segment de manière rentable », insiste M. Britt. « Une banque typique a un coût de service de plus de 400 dollars pour les comptes courants. Notre coût de service est trois fois moins élevé. Nous bénéficions d’un avantage considérable en termes de structure de coûts. »

Une autre menace émane de Washington. Le Congrès pourrait modifier la disposition qui permet à Chime de générer plus de revenus par débit que les grandes banques – il y a peu de personnes qui pensent qu’elle a été conçue dans l’intérêt d’entreprises comme Chime. Alternativement, sous la pression des détaillants, il pourrait restreindre les commissions d’interchange sur lesquelles Chime compte pour ses revenus.

Si aucune de ces mesures ne semble imminente dans un Congrès divisé, les régulateurs ont déjà commencé à sévir contre certaines banques qui s’associent à des fintechs pour des infractions de conformité. (Les partenaires de Chime, Bancorp et Stride, n’ont pas été publiquement dans le collimateur des régulateurs récemment). Entre-temps, la secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen, et d’autres membres du gouvernement Biden se sont demandé pourquoi les fintechs devraient pouvoir agir comme des banques, sans être réellement réglementées.

Chris Britt n’est pas dupe ; il multiplie les déplacements à Washington pour rencontrer les législateurs. « Et si jamais ils décrétaient que seules les banques peuvent offrir des comptes bancaires aux consommateurs », s’inquiète-t-il. Cela pourrait entraver les activités de Chime : l’obtention d’une licence bancaire pourrait coûter à Chime plus de 100 millions de dollars et s’accompagner d’exigences en matière de capital.

Cependant, M. Britt estime que les premières difficultés rencontrées par Chime l’ont préparée à relever n’importe quel défi. « Cela nous a aidés sur le long terme. Nous n’allons pas nous laisser distancer. »


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