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Les Patrons De Danone Et Veolia Seraient-Ils En Avance Sur Leur Temps ?

transition écologiqueSource : Getty

Les critiques pleuvent sur les champions français face à leur volonté d’adapter leurs entreprises aux grands défis sociétaux et environnementaux. Le détonateur de la crise sanitaire n’a pas rendu les critiques moins sévères. Cette frilosité pourrait-elle handicaper la relance de l’économie et freiner, à terme, la transition écologique ?

 

Que ce soit pour Danone, Veolia ou Accor, toutes font face depuis l’été à une levée de boucliers d’une partie des syndicats et de la société civile. Les motivations sont particulières à chaque situation, mais se fondent dans une atmosphère commune de défiance envers ces grandes entreprises et leur PDG. Alors que le leitmotiv du gouvernement est de protéger l’emploi, les entreprises s’efforcent de restructurer rapidement leur activité pour sécuriser les profits et les investissements, tout en souscrivant, pour certaines, aux politiques de développement durable et de responsabilité sociétale les plus audacieuses.  

Le cas Danone – un pionnier de la loi Pacte

C’est en application de la loi Pacte du 22 mai 2019 que Danone est devenu le 26 juin dernier la première société à mission du CAC 40. Cette décision, votée par 99% des actionnaires, n’est pas seulement juridique, elle reflète un changement majeur du rôle des entreprises en leur donnant une nouvelle liberté : définir elle-même leur raison d’être en l’insérant au cœur même de leur activité économique, bien au delà de la simple recherche de profits et de la mise en œuvre de politiques environnementales et sociétales issues de la RSE.

Il ne s’agit pas seulement de philosophie, mais aussi de stratégie : Créer le cadre juridique et moral pour que l’entreprise soit un acteur proactif et responsable du développement durable. Danone montre l’exemple en donnant une impulsion décisive au mouvement des entreprises à mission. « C’est un mouvement d’avenir et le socle de construction d’une forme économique totalement cohérente avec les solutions nécessaires pour réinventer les entreprises après cette crise et les rendre plus résiliente » affirmait récemment Emmanuel Faber, son PDG.


De l’art d’éviter les OPA hostiles

Danone, dont l’actionnariat est très dispersé avec plus de 60% d’actions flottantes, a jusqu’ici évité une OPA grâce à une politique équilibrée entre intérêts financiers et industriels d’une part, et objectifs sociétaux et environnementaux d’autre part. Il serait dommage que ses efforts soient ruinés du fait d’une perte relative de profitabilité et de compétitivité dans la crise sanitaire.

En juillet 2019, Isabelle Bufflier et Aurore Haas de la SKEMA Business School, arguaient dans The Conversation « qu’au-delà des défenses préventives anti-OPA déjà connues, les sociétés cibles vont en effet désormais pouvoir en ajouter une nouvelle : l’inscription d’une raison d’être dans leurs statuts ». Si Danone a jusqu’ici réussi à protéger l’entreprise d’une OPA, elle a aussi pris conscience qu’elle pourrait rapidement se trouver en danger faute d’adapter sa structure aux tendances actuelles du marché vers une consommation plus locale et plus responsable. Une vente de certains actifs peu profitables est probable en 2021, et sa nouvelle structure décentralisera la prise de décisions.

CGT et FO confondraient-ils raison d’être, RSE et justice sociale ? Répondant aux accusations des syndicats de vouloir embarquer Danone dans une course à la rentabilité, Emmanuel Faber a précisé qu’ « il y aura très peu d’employés qui seront touchés”. Les attaques de la CGT et FO, très médiatisées, omettent de dire que Danone n’est pas un tigre en terme de course à la rentabilité en comparaison avec son grand concurrent Nestlé qui a pris un peu d’avance face au nouveaux défis.

 

Une longueur d’avance sur la finance pour la transition écologique

Alors que le financement de la transition écologique est très en retard sur les objectifs de l’Accord de Paris (2015), la COP26, la conférence des Nations-Unis sur le changement climatique a cette année été remplacée par une conférence mondiale sur le financement de la transition écologique qui s’est tenue virtuellement du 9 au 11 Novembre.
« Nous n’arriverons pas à un objectif de neutralité carbone en gardant la finance verte dans une niche. Il faut que l’intégralité de l’économie réalise la transition écologique» affirme Mark Carney, l’envoyé spécial des Nations-Unis pour l’action sur le climat

Les géants de la finance se cachent encore derrière des arguments un peu légers au sujet de leur présumées difficultés à évaluer la “comptabilité verte” des entreprises. Pourtant, Danone et la plupart des grandes entreprises cotées suivent maintenant les normes TCFD crées en 2017 par le Groupe de travail sur les informations financières liées au climat.

Le cas Véolia – vers un champion mondial de la transition écologique

 
« Nous voulons construire un grand champion français de la transition écologique, et cela passe par un mariage plein et entier entre Suez et Veolia » affirmait récemment Antoine Frérot au Monde. L’ambition du PDG de Veolia se heurte à une obstruction de la part de la direction de Suez avec la création d’obstacles juridiques à la prise de contrôle par Veolia, qui détient déjà 29,9% de Suez.

Prévoyant un combat au long cours, Antoine Frérot avance des arguments plutôt novateurs. Ainsi, lors d’une audition le 10 novembre au Sénat, propose-t-il la création d’un mécanisme de contrôle parlementaire inédit sur les engagements sociaux qu’il prendra : « Je suis persuadé qu’il est possible d’imaginer, au sein du Parlement, de mettre en place un dispositif de suivi, contrôle, et sanction, des engagements sociaux pris, et ce sur un champ pluriannuel. J’ai bien dit ‘sanctions’, y compris financières. »

Il estime même que ce dispositif serait « utile pour d’autres exemples de rapprochements à l’avenir » et que la création d’un « champion mondial » de la transition écologique sera porteuse, et non destructrice, d’emplois. Cette affirmation reste à prouver, mais la France sortirait gagnante de la création de la première plateforme numérique mondiale des services marchands à l’environnement, autant au plan économique que politique, face aux grandes puissances et leurs champions du numérique.

 

Le contre-exemple d’Accor

Accor annonce une perte nette de plus de 1 milliard d’euros en 2020 et un plan social de 1200 personnes dans le monde, dont 300-400 en France. En apparence, ce plan pourrait rappeler celui de Danone qui prévoit un plan d’économie de 1 milliard d’euros et 2000 suppressions dans le monde, dont 400 en France, mais seulement en apparence car la réalité est bien plus nuancée.

Accor se retrouve, en effet, à gérer les questions sociales et environnementales à la mode des années 1990-2000. Son document de référence pour la RSE publié en mars 2020 ne s’intéresse pas du tout à la protection sociale des employés, et ne mentionne que timidement (en page 50) les questions de protection de l’environnement. Ce n’est pas en s’appuyant juste sur des programmes comme Plant for the planet”, consistant à planter des arbres en échange d’une modeste réduction des lavages de serviettes, que le groupe atteindra des objectifs sérieux en terme de transition écologique.

Accor n’a incorporé les notions de raison d’être ou d’entreprise à mission ni dans sa stratégie ni dans ses statuts, ce qui l’expose d’autant plus à une OPA et aux mouvements sociaux. La prochaine “Grande manifestation contre les licenciements dans l’hôtellerie”, initiée par la CGT, aura lieu le 10 décembre à Paris. Pas étonnant donc que Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, reconnaisse « naviguer à vue » au sujet du rapprochement potentiel avec le britannique IHG. Par ailleurs, Accord n’est pas à l’abri d’un rachat subi, vu sa faiblesse en bourse. L’action a perdu 26,61% sur 5 ans et 23% sur 1 ans selon Boursorama. Le statut d’entreprise à mission pourrait lui procurer une protection supplémentaire, et surtout cette attractivité tant désirée par le Capital market américain pour accompagner son développement aux Etats-Unis.

Bref, le gouvernement, les grandes entreprises et la société civile, syndicats en tête, seraient bien avisés de cultiver une entente cordiale favorisant la cohésion sociale et la relance économique du pays. Dans une tempête, faire confiance au capitaine est souvent la meilleure des solutions. Soutenir des champions de la transition écologique, tels que Veolia ou Danone, permettra aux autres de s’inspirer de leur vision et, espérons, de leurs succès. Il ne s’agit pas d’accorder une confiance aveugle aux grands patrons, mais de créer un minimum de cohésion pour ressortir renforcés de la crise que nous traversons.

Par Maxime Filandrov, consultant en coopération industrielle et commerciale, précédemment directeur corporatif de Carrefour en Russie, expert de l’OSCE et représentant de la Commission européenne à St-Pétersbourg.

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