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Décryptage | Le golf à marche forcée vers son ubérisation

© Phil Inglis / Getty Images

L’été meurtrier. Justice, gros sous, polémiques… Le monde feutré du golf est arrivé à un point de bascule. Le lancement d’un nouveau circuit de golf, le LIV Golf, secoue le sport. C’est principalement les instigateurs derrière ce projet devenu réalité qui suscitent des remous, car il est question de l’Arabie saoudite. Eclairage avec le golfeur Arnaud Sérié.

 

La crise que traverse actuellement le golf mondial, est-ce une tempête dans un verre d’eau ou « l’Ubérisation » de la discipline ?

Arnaud Sérié : En effet, cette nouvelle ligue, soutenue par le Fonds d’Investissement Public (PIF) d’Arabie saoudite et dirigée par l’ex numéro 1 mondial Greg Norman, fait beaucoup de bruit dans le monde du golf aujourd’hui. Plusieurs raisons sont pointées : la provenance des fonds, le manque d’éthique reproché à l’Arabie saoudite notamment sur la question des droits de l’Homme, et enfin le montant des sommes en jeu de cette nouvelle ligue. Je pense qu’on peut parler « d’ubérisation », particulièrement pour le circuit et le haut niveau du golf. Jusqu’à présent, on avait deux acteurs historiques : le PGA Tour et le DP World Tour, anciennement European Tour, qui proposaient une approche unique depuis des années. Ainsi, l’arrivée du LIV Golf, avec ses propres codes, bouscule l’ensemble de ces acteurs. D’ailleurs, Depuis la création de la LIV Golf, le PGA Tour et le DP World Tour ne cessent de se rapprocher. Alliés depuis novembre 2020, ils ont décidé d’étendre leur entente avec un nouveau partenariat allant jusqu’en 2035. 

Des joueurs ayant annoncé leur participation au LIV Golf se sont vus bannis du circuit PGA Tour (l’autorité qui fait référence aux Etats-Unis). Les golfeurs Talor Gooch, Hudson Swafford ou Matt Jones ont notamment saisi les tribunaux pour retrouver le droit d’évoluer au sein du PGA. Mais ils ont été déboutés. L’affaire est donc sensible. Risque-t-on une scission dans le golf mondial ?

Oui. Il reste difficile d’imaginer la suite mais il est clair à présent que pas mal de choses vont changer et évoluer. Dans ce cas de figure précis, le problème posé par l’éviction de ces 3 joueurs est qu’avant de partir jouer sur le LIV Golf, Jones, Swafford et Gooch avaient d’ores et déjà assuré leur qualification pour accéder aux phases finales, nommées FedEx Cup. En clair, leur demande est de pouvoir prendre part au tournoi doté d’une bourse d’environ 14,7 millions d’euros, réservé au 125 meilleurs joueurs mondiaux de la saison régulière qui s’est déroulée sur le PGA Tour et à laquelle ils s’étaient donc qualifiés. Cela pose de réelles questions, car l’objectif de ces circuits demeure de faire jouer des joueurs de golf dont c’est le métier. Dans le cas présent, ces 3 joueurs sont tous suspendus pour une durée indéterminée après avoir participé à l’un des trois tournois de LIV Golf et donc… d’avoir joué au golf.

Selon moi, ces circuits devraient travailler ensemble car la finalité est la même. 

© Phil Inglis / Getty Images

 

Pensez-vous que le PGA Tour ira jusqu’à bannir des stars du golf : un Tiger Woods, Dustin Johnson… tentées de jouer aussi dans le LIV Tour ? Aujourd’hui, toutes ces stars du golf ont quitté le PGA Tour d’elles-mêmes pour jouer sur le LIV Golf. Nous sommes donc déjà dans ce scénario. C’était d’ailleurs l’une des raisons du procès qui avait rallié onze joueurs, dont des stars du golf, qui souhaitaient pouvoir jouer sur plusieurs circuits.

Concernant Tiger Woods, c’est une autre histoire, il est aujourd’hui l’un des plus virulents détracteurs. Il aurait refusé 700 à 800 millions de dollars pour rejoindre cette nouvelle ligue ! Selon Tiger Woods, les joueurs ont tourné le dos à ce qui leur a permis d’arriver à ce niveau. Le joueur de 46 ans a toujours affirmé sa loyauté envers le PGA Tour et annoncé qu’il n’avait pas l’intention de suivre les autres vainqueurs de Majeurs, tels que Phil Mickelson, Bryson DeChambeau, Sergio Garcia et Dustin Johnson qui, eux, ont sauté le pas. 

Cette situation évoque le feuilleton footballistique autour de la création avortée de la Super Ligue en 2021. L’UEFA a réussi à conserver son monopole. Se dirige-t-on vers un scénario similaire ? 

Connaissant très mal le football, je comparerais davantage ce qui se passe avec un club comme le PSG par exemple. Notamment car les sommes en jeu s’en rapprochent. On observe ici des circuits de golf historiques avec un format qui fonctionne depuis de nombreuses années et une nouvelle ligue qui fait son entrée, attirant dans son sillage les meilleurs golfeurs en proposant des sommes jamais vues dans le monde du golf auparavant.
Pour vous donner une idée concrète de la situation en cours : Dustin Johnson a signé 125 millions de dollars simplement pour rejoindre la ligue LIV Golf, quand Tiger Woods remportait 121 millions de dollars en jouant au golf toute sa carrière sur le PGA Tour… Aujourd’hui, le record du montant le plus haut accepté est détenu par Phil Mickelson avec 200 millions de dollars. 

Arnaud Sérié : « Je pense que beaucoup de golfeurs ne se positionnent pas, car la symbolique du PGA Tour et les valeurs du circuit sont importantes pour eux. Tiger Woods aurait refusé jusqu’à 800 millions de dollars !« 

 

Le fait que des golfeurs souhaitent gagner plus d’argent via le circuit saoudien semble être décrié. Il y a visiblement une « guerre culturelle » sur la question. Du foot au basket en passant par le tennis, le « sport business » est entré dans les mœurs. L’argent, est-ce le nerf de la guerre selon vous ? 

Je pense que dire non serait mentir. Beaucoup de sportifs jouent au golf pour l’amour du sport, la passion, le challenge et tout ce que cela apporte, mais aucun sportif de ce niveau ne peut prétendre vivre d’amour et d’eau fraîche aujourd’hui. Rappelons que les carrières ne sont pas éternelles, et l’objectif reste de remporter des tournois et donc gagner de l’argent. De plus, à ces niveaux, ce sont plus que des golfeurs – tout comme les stars du foot – ce sont aussi de réels money makers impliquant les univers du sponsorship, de la publicité, des réseaux sociaux, de même, celui des NFT et cryptomonnaies.

Cependant, cela n’empêche pas ces mêmes golfeurs d’avoir des fondations philanthropiques, de s’investir dans de nombreuses causes. Mais pour permettre tout cela, il faut de l’argent. De fait, ce nouveau circuit est en effet une opportunité pour beaucoup. 

Expliquez-nous ce que représente symboliquement le PGA Tour et pourquoi tant de golfeurs ne souhaitent pas encore prendre position ? 

Tout d’abord un peu d’histoire. Créé en 1929, le PGA Tour (Professional Golfers Association) est le circuit professionnel masculin. Il inclut près de 50 tournois disputés sur le sol américain, ainsi que les quatre tournois majeurs. Aujourd’hui, ce tournoi attire un grand nombre de golfeurs à travers la planète, notamment pour ses dotations très élevées, mêmes si elles demeurent moins élevées que le LIV Golf. En moyenne, elles varient entre 3 et 10 millions de dollars en fonction des tournois.

Au-delà des money prizes, le PGA Tour c’est l’histoire du golf, les tournois mythiques et historiques qui se déroulent dans des golfs réputées et souvent inaccessibles, généralement aux États-Unis. Et même s’il n’en est pas l’organisateur, il inclut également les tournois du grand chelem à son agenda (Master à Augusta, l’U.S. Open, le British Open et le PGA Championship) comme le DP World Tour.
Je comprends donc le point de vue de Tiger Woods, car on peut dire que c’est « l’enfant du PGA Tour » qui l’a hissé au sommet. Il est en quelque sorte l’ambassadeur. Je pense que beaucoup de golfeurs ne se positionnent pas, car la symbolique du PGA Tour et les valeurs du circuit sont importantes pour eux. Aussi, beaucoup attendent de voir dans la durée ce qu’il va se passer, le fameux « wait and see ». Rester dans le statut quo, dans l’attente qu’une entente se dessine et que tout le monde travaille ensemble. 

Enfin, à quels développements s’attendre dans ce feuilleton du green et du swing ? 

Tout d’abord, et je l’espère, une entente entre tous les circuits permettrait aux golfeurs de jouer dans les différents tournois sans avoir à choisir et se faire bannir. C’est mon côté optimiste. Toutefois, on a parlé d’ubérisation et selon moi on peut aussi s’attendre à l’émergence d’autres ligues ou même d’autres modèles de circuits.

Le LIV Golf a peut-être donné des idées, qui sait…

 

<<< À lire également : « Arnaud Serie Golf, l’influenceur qui enflamme la toile et la planète golf » >>>

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