OPINION | Pour ancrer les pratiques du management agile. Article écrit avec Jean-Pierre Le Cam, Change Master Chaire ESSEC Changement et Directeur Expert Société Générale Consulting
Agile est devenu le mot valise pour signifier la capacité des personnes et des groupes à s’adapter rapidement et à s’organiser de manière collective pour produire et innover. On parle de management agile, d’agile à l’échelle ou encore de projet agile pour décrire un fonctionnement très réactif en petite équipe. La notion d’agile vient de l’informatique. La méthode de développement classique dite en V (Conception, Réalisation, Validation) préconise des réalisations par étapes sur l’ensemble du projet. La méthode agile a mis en avant les notions de backlog, de scrum et de sprint pour dynamiser les développements informatiques. Un projet est décomposé en sous projets (le backlog) confiés à de petites équipes (scrum) qui regroupent tous les acteurs concernés (développeurs et utilisateurs) sur des durées courtes (sprint) en général de deux semaines. Un management visuel, des postures de résolution de problème et un fonctionnement collaboratif caractérisent ce mode de fonctionnement. La réussite de l’agile en informatique et sa préconisation par des start-up ont fait émerger la notion d’agile à l’échelle (Agile at Scale). Cela consiste à former tous les services informatiques à l’agile mais aussi tous les projets de l’entreprise voire tout le management.
L’agile pose la question du mode de gestion du changement dans les entreprises. Tous les projets doivent-ils être organisés en mode agile ? Si oui, il convient de s’assurer que tous les chefs de projet soient formés. Il faut cependant modérer l’ambition en fonction de l’éligibilité des projets au mode agile. Cela amène une autre question, cela concerne-t-il les projets informatiques ou tous les projets de changement ? Notre point de vue est que cela doit concerner tous les changements et si tel est le cas, il ne vaut pas simplement former les chefs de projet mais tous les managers opérationnels avec l’objectif que les pratiques ainsi acquises se propagent dans les pratiques managériales du quotidien.
Comment former en masse à l’agile dans les entreprises ? Les entreprises offrent souvent à leurs managers des formations de qualité mais qui ont souvent peu d’impact opérationnel et qui pèchent sur le volet de la mise en pratique. Ces managers bénéficient aussi régulièrement de sessions d’inspiration d’intervenants reconnus mais là encore la mise en pratique semble encore plus éloignée. A l’opposé les vagues de déploiement de nouvelles méthodes agiles comme SAFe ou Scrum, si elles peuvent rassurer les équipes par leur formalisme détaillé et précis, elles enferment trop souvent le management opérationnel dans des jargons, des techniques, des rituels insuffisamment adaptés à leurs contextes managériaux. Si le besoin est bien réel, la manière de le traiter suscite l’interrogation d’autant plus que les managers ont souvent des agendas bien remplis et de multiples contraintes à gérer.
Le compagnonnage managérial est une démarche intermédiaire, un chaînon manquant, entre les leviers classiques (formation, communication, démultiplication) de conduite du changement et les solutions de coaching individuel et de co-développement.
Le compagnonnage est une très vieille technique d’apprentissage qui consiste à suivre pendant un certain temps un expert que l’on qualifie de maître auprès duquel on apprend les techniques par la pratique, l’observation et l’échange. Les compagnons du devoir et du Tour de France utilisent toujours ce mode de partage du savoir pour des métiers techniques. Le principe prévoit un travail avec différents maîtres (experts du sujet) afin d’acquérir différentes techniques et compétences et aussi d’apprécier les différences sur un même sujet. Ce mode formatif est différent de celui de l’école traditionnelle qui propose des méthodes et des cadres pour agir. On parle d’approche déductive pour l’école et d’approche inductive pour le compagnonnage même si les frontières entre les approches ne sont pas figées.
La mise en œuvre de cette approche au sein de quelques entreprises de la Chaire ESSEC du Changement a consisté à former des managers au management agile par compagnonnage. La cible a été les managers de managers qui pilotent l’activité d’une dizaine de managers de proximité en général. Pourquoi cette cible ? Parce qu’ils constituent un point d’exemplarité et de diffusion des techniques de gestion du changement. Au-delà de leur rôle de leaders, ils sont ceux qui organisent l’activité et la dynamique organisationnelle qui en découle. Ils sont des activateurs organisationnels du fait de leur travail avec les managers de proximité. La démarche a consisté à proposer à des managers de managers d’être en relation avec des experts du changement agile. Ces experts ont été choisis à partir de deux compétences : avoir géré plusieurs projets en mode agile et avoir exercé des responsabilités opérationnelles. Dans ce projet, les experts devaient être bilingues Agile/Opérationnel.
L’expérimentation a identifié dans l’organisation ces experts et les a formés sur une période de deux jours aux éléments clés du protocole d’accompagnement. En parallèle, les managers de managers intéressés ont suivi une formation courte sur le management agile de deux jours. A l’issu de la formation, ces derniers avaient trois mois pour expérimenter une pratique de management agile. Au cours des 6 dernières semaines du dispositif, il a été proposé aux managers de managers des séances hebdomadaires par groupe de 3 de 45 minutes décomposées de la manière suivante :
- 15 minutes de catharsis sur les difficultés rencontrées pour mettre en place l’agile
- 15 minutes sur les premières victoires et ce qui se met en place
- 15 minutes sur les points clés à traiter par l’expert
Au cours des séances en petits collectifs, l’expert joue le rôle d’intermédiaire et de prétexte à la formalisation des situations amenant ainsi les participants à les analyser, à les traiter et à se donner de l’énergie mutuelle. A la dernière séance, les participants doivent montrer leur expérimentation (leur chef d’œuvre au sens compagnonnage) avec le souci de leur généralisation. Les experts ont aussi un rôle d’évaluation de la maturité de l’organisation à l’agile et de détection des bonnes pratiques.
Ce type de solution de développement et d’accompagnement managérial s’inscrit naturellement dans le quotidien. Les managers arrivent à se mobiliser 45 minutes par semaine. C’est un entraînement managérial de la semaine avec un accompagnateur tiers de confiance. C’est une solution à la fois du temps court (les managers infléchissent leur pratique au quotidien), et du temps long (les managers travaillent ensemble à la prise de conscience et l’ouverture à d’autres postures et cultures managériales).
Le compagnonnage managérial est une démarche intermédiaire, un chaînon manquant, entre les leviers classiques (formation, communication, démultiplication) de conduite du changement et les solutions de coaching individuel et de co-développement. C’est la démarche adaptée aux managers intermédiaires qui sont tiraillés par les injonctions contradictoires et qui ont besoin de solutions opérationnelles d’accompagnement.
Par Jean-Pierre Le Cam, Change Master Chaire ESSEC Changement et Directeur Expert Société Générale Consulting
À lire également <<< Comment développer sa créativité au travail et dans son leadership ? >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits