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Industrie Du Pétrole : Les Faillites S’Enchaînent

pétroleCrédit photo : Pixabay

Aux États-Unis, les faillites dans le secteur du pétrole se multiplient. Cette année, selon l’analyse du cabinet d’avocats Haynes & Boone, 40 sociétés d’exploration et de production pétrolière ont déjà fait faillite, en accumulant près de 54 milliards de dollars de dettes.

À ce jour, la plus grosse faillite est celle de Chesapeake Energy, avec 11,8 milliards de dollars de dettes. Selon Ken Coleman, avocat spécialisé dans la restructuration des entreprises chez Allen & Overy, d’autres banqueroutes, protégées par le chapitre 11 de la loi sur les faillites, sont à venir. Il affirme par ailleurs que « c’est une bonne chose », car cela signifie que les équipes de direction acceptent enfin la nouvelle réalité des prix du pétrole, bloqués à 40 $ le baril dans un contexte d’offre excédentaire et de demande affaiblie par la pandémie. Le monde a changé, la frénésie de la fracturation hydraulique a pris fin. De nombreuses compagnies pétrolières ne peuvent pas survivre sous leur forme actuelle. Ken Coleman explique : « Elles doivent rationaliser leur bilan, convertir la dette en capitaux propres et mettre en place la bonne structure de capital. C’est à cela que sert le chapitre 11 de la loi sur les faillites ».

Ces jours-ci, personne ne souhaite investir dans le pétrole, et c’est bien compréhensible. La demande est faible à cause de la pandémie, et les analystes mettent tous en garde contre le pic de la demande mondiale de pétrole qui approche. La production américaine est tombée de 13 millions de barils par jour avant le début de la crise à environ 11 millions aujourd’hui, les foreurs ayant mis leurs plateformes à l’arrêt et licencié quelque 200 000 travailleurs. Même les crédits les plus sûrs ne sont pas épargnés : ExxonMobil a annoncé des licenciements massifs, a perdu la moitié de sa valeur au cours de l’année dernière et s’est effondrée derrière Chevron en termes de capitalisation boursière. Ces deux sociétés ont même été dépassées par le nouveau géant américain de l’énergie renouvelable : NextEra Energy.

Pour certains en revanche, un tel pessimisme est un indicateur d’achat. Les nouveaux vautours du pétrole peuvent aujourd’hui être plus pointilleux et créatifs dans leurs financements. Ce qui compte avant tout, selon l’investisseur militant Ben Dell, fondateur et directeur général du fonds d’investissement privé Kimmeridge Energy, c’est la qualité des actifs : « Ça ne sert à rien d’investir dans une entreprise en faillite si c’est pour un actif de mauvaise qualité ». Ce mois-ci, Kimmeridge a accepté d’investir 440 millions de dollars de nouveaux capitaux Callon Petroleum, une société pétrolière qui produit environ 100 000 barils par jour. Les fonds de Kimmeridge serviront à rembourser une partie des 3,35 milliards de dollars de dettes de Callon Petroleum et à repousser les échéances. En retour, le fonds d’investissement reçoit 300 millions de dollars en titres garantis de second rang (arrivant à échéance en 2025), ainsi que des bons pour acheter 15 % des actions en circulation de Callon Patroleum. Kimmeridge obtient également un intérêt de redevance prioritaire de 2 % sur toute la production de pétrole et de gaz de la société pétrolière. Si Callon Petroleum atteint une moyenne de 100 000 barils par jour pendant un an, Kimmeridge obtiendrait l’équivalent de 730 000 barils, soit une valeur d’environ 23 millions de dollars par an aux cours actuels. 

Ben Dell, qui a lancé Kimmeridge en 2012 après avoir travaillé en tant qu’analyste pétrolier pour Bernstein Research, estime avoir « construit une passerelle pour eux », avec un coût du capital semi-variable et « fixe-flottant ». Depuis des années, il encourage les foreurs à mettre un frein à la fracturation hydraulique alimentée par la dette. Cela implique de ne pas recycler plus de 70 % du flux de trésorerie libre dans de nouveaux forages, tout en se concentrant sur la restitution du capital aux investisseurs. Callon Petroleum a encore l’équivalent de plusieurs années de forage sur ses 90 000 hectares, qui seront rentables même à un cours de 40 $ le baril. Mais Ben Dell prévient qu’il n’est qu’un investisseur et que c’est au jeune PDG de Callon Petroleum, Joe Gatto, de décider de la lenteur de la mise en œuvre. Kimmeridge dispose encore de plusieurs centaines de millions de dollars en liquidités destinées à des transactions, et est le fonds est impliqué dans les négociations de restructuration de Extraction Oil & Gas, une société cotée en bourse qui a déposé le bilan en juin dernier.


Le groupe de capital-investissement Lime Rock Partners fait preuve du même enthousiasme au sujet d’une stratégie de sortie orchestrée pour Arena Energy, qui a fait faillite. La société de forage est vieille de deux décennies et appartenait à ses fondateurs et à ses employés. Elle est spécialisée dans le forage négligé en eaux peu profondes du golfe du Mexique, une région qui a perdu de sa popularité pendant le boom du gaz de schiste. Arena Energy a déposé le bilan en août, la chute des prix du pétrole ayant rendu impossible le remboursement des dettes d’un milliard de dollars contractées par la société pour acquérir les actifs du Golfe.

Dans le cadre de la restructuration, les actionnaires salariés d’Arena Energy seront remerciés, tandis que les prêteurs seront coincés avec des pertes de plus de 600 millions de dollars. Pour recapitaliser l’entreprise, Lime Rock Partners VIII, un fonds de placement privé de Lime Rock Partners, investira 45 millions de dollars, en plus des 20 millions investis par les dirigeants d’Arena Energy. Lime Rock Partners avait déjà investi dans la société depuis 2016, mais au lieu de détenir des capitaux propres ou des dettes, la société d’investissement avait acquis un intérêt de redevance prépondérant d’environ 2 % sur les volumes de production d’Arena Energy. En 2020, ces royalties se sont avérées être plus sûres que tout le reste de la structure du capital d’Arena Energy. Lime Rock Partners a développé un portefeuille d’intérêts de royalties, et faisait partie l’an dernier d’un groupe qui avait payé 300 millions de dollars pour une dérogation de 1 % sur 140 000 hectares contrôlés par Range Resources dans le bassin de Marcellus. Ayant acquis un large portefeuille d’actifs comprenant plus de 120 plateformes, la chute des prix du pétrole (encore pire que ce que l’on imaginait avec – 37 $/baril) les a fait plonger. L’achat de royalties prouve la confiance en la qualité des réservoirs pétroliers, ce qui donne à Lime Rock Partners des raisons de croire en la renaissance d’Arena Energy, dont les dettes ont presque toutes été épongées.


L’avantage de limiter le capital à un secteur est que seules les meilleures idées reçoivent un nouveau financement, de sorte que les rendements ultérieurs augmentent souvent. Bud Brigham, président de Brigham Minerals, une société de forage cotée en bourse, explique : « Selon moi, nous sommes dans la partie calme du cycle, selon moi. Nos entreprises ont optimisé leurs taux de rendement du capital, en reprenant les dépenses d’investissement sur des projets de premier plan à un moment où les coûts sont à un niveau cyclique bas ».

La société Brigham Minerals, basée à Austin, aime détenir des intérêts de royalties parce qu’elle est payée directement et n’a pas à attendre que l’argent passe à travers une organisation pour se transformer en dividende. Mais la valeur d’un intérêt de redevance n’est intéressante que si ce dernier concerne une terre que le propriétaire est prêt et capable de forer. Brigham Minerals s’est réjoui de l’acquisition par Chevron de Noble Energy cet été, car 8 % de ses intérêts de redevance couvrent des terres autrefois contrôlées par cette dernière. Bug Brigham appelle cela le « darwinisme du champ pétrolifère ». Les meilleurs actifs finissent toujours dans les mains les plus fortes. Les parts de Brigham Minerals ont baissé de 50 % au cours de l’année dernière. 


Cette crise pétrolière est un champ de mines, et les investisseurs mettent en garde : ce n’est pas parce que quelque chose semble bon marché, ou que c’est en vente, que c’est une bonne affaire. Prenez par exemple Sable Permian Resources, qui a fait faillite pendant l’été 2020 avec une dette de 1,4 milliard de dollars. La société, qui s’appelait autrefois American Energy Permian Basin, a été fondée par le profane Aubrey McClendon en 2014 après son licenciement de Chesapeake Energy.

En faisant appel à environ 1,1 milliard de dollars de capitaux privés provenant du groupe Energy & Minerals (dirigé par John Raymond, fils de l’ancien PDG d’Exxon), ainsi que le produit de la vente de 1,6 milliard de dollars de dettes, Aubrey McClendon a acheté environ 30 000 hectares dans le sud du bassin permien. À l’époque, le budget du forage expliquait peut-être un prix de 80 $ le baril, mais ce n’est plus le cas. En 2017, la société a été recapitalisée avec 700 millions de dollars de nouvelles liquidités injectées. En octobre 2019, elle a été recapitalisée à nouveau, et Sable Permian Resources a racheté 2 milliards de dollars de sa propre dette fortement décotée, et a émis 700 millions de dollars de nouvelles obligations de premier rang, réduisant les frais d’intérêt annuels de 94 millions de dollars. Pourtant, cela n’a pas suffi pour survivre au crash pétrolier du Covid-19.

Après la faillite, les prêteurs de Sable Permian Resources, menés par JPMorgan Chase, ont d’abord cherché à vendre aux enchères leurs actifs, mais comme aucun enchérisseur ne s’est manifesté, ils ont annulé la vente et JP Morgan a récupéré les actifs. C’est une fin terrible pour la dernière transaction pétrolière d’Aubrey McClendon, mais aussi un signal fort envoyé à l’industrie pétrolière par une grande banque, indiquant que le temps est venu de réparer son erreur. Le geste a aussi impressionné John Goff, l’investisseur milliardaire, car il pourrait aider à faire circuler les accords de réorganisation : « JP Morgan envoie au marché le message qu’ils n’ont pas peur de posséder des actifs. Ils sont forts et peuvent attendre un meilleur environnement de marché ». Début octobre, après avoir repris Sable Permian Resources, JPMorgan a annoncé travailler avec ses clients pour réduire les émissions de carbone. Par ailleurs, l’ancien PDG d’Exxon, Lee Raymond, a quitté son poste d’administrateur indépendant au sein du conseil de JPMorgan Chase. Coïncidences ? Peut-être.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Christopher Helman

 

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