Zohran Mamdani, vainqueur de la primaire démocrate pour la mairie de New York, estime que les milliardaires ne contribuent pas assez à la société par rapport aux bénéfices qu’ils engendrent. Qu’en est-il vraiment ?
Il aura suffi d’une phrase pour raviver un débat en forme de serpent de mer patrimonial. Le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, a déclaré qu’il « ne devrait pas y avoir de milliardaires » dans un entretien accordé à la chaîne de télévision américaine NBC, le 29 juin dernier. Cette position, défendue par l’aile gauche du parti, a fait bondir les milieux d’affaires de la ville mais aussi de tout le pays, qui se sont empressés d’attaquer celui qui possède également la nationalité ougandaise.
« Franchement, c’est tellement d’argent dans un moment où il y a une telle inégalité, et, à la fin, ce dont nous avons besoin, c’est de l’égalité dans notre ville, notre État et notre pays », a argumenté Zohran Mamdani. La cote de popularité de celui qui ambitionne de taxer les plus gros revenus n’était déjà pas au plus haut auprès de « Big Business », l’élite industrio-économique américaine. Fin juin, les milieux d’affaires de New York avaient rencontré l’actuel édile de la ville, Eric Adams – ancien démocrate devenu proche de Donald Trump – afin de stopper l’ascension du vainqueur de la primaire démocrate.
Peu après, l’un des hommes les plus riches des États-Unis, Jeff Bezos, publiait dans son journal, le Washington Post, un éditorial très virulent dénonçant une possible victoire du jeune candidat. « La victoire de Zohran Mamdani serait mauvaise pour New York et pour le Parti démocrate », y affirmait-il, sobrement. Dans ce climat tendu, la récente déclaration de Mamdani sur l’utilité des milliardaires dans la société n’a fait qu’aggraver sa position auprès du monde économique. Pourtant, elle a aussi ravivé un débat déjà vif lors de la campagne démocrate de 2020.
« Zohran Mamdani a tort : bien sûr que les milliardaires doivent exister », a répliqué le directeur des études économiques de l’American Enterprise Institute, un think tank néoconservateur, dans le Financial Times. Selon lui, les milliardaires jouent un rôle d’« incitation » à la réussite pour les plus jeunes, contribuent à la croissance économique et à l’augmentation des revenus des travailleurs, et allouent le capital de manière plus « efficace » que ne le ferait l’État. En somme, l’enrichissement des plus riches profiterait à l’ensemble de l’économie. Mais qu’en est-il réellement ?
Des millions d’emplois créés
Pour les défenseurs de la théorie du ruissellement, les milliardaires et leurs entreprises sont avant tout d’« incroyables créateurs de richesses ». Sur ce point, il est indéniable que les multinationales qu’ils possèdent génèrent des milliers, voire des millions d’emplois. Fin 2024, Tesla, la société automobile d’Elon Musk, comptait 125 000 employés, et Microsoft (Bill Gates) près de 230 000. En tête de file, Amazon (Jeff Bezos) et ses 1,5 million d’emplois créés à travers le monde. Quant au fleuron tricolore du luxe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, il emploie désormais plus de 215 000 collaborateurs dans le monde et prévoit de recruter près de 17 700 personnes en France cette année, confirmant son statut de premier recruteur privé de l’Hexagone.
Ces milliardaires sont également à la tête d’entreprises qui ont transformé la société — que ce soit dans la tech, l’énergie ou la santé — grâce à leur capacité d’innovation. En effet, les plus gros patrimoines financent parfois des secteurs où les États investissent peu, comme c’est le cas pour l’intelligence artificielle ou le domaine spatial. Jeff Bezos a investi, à travers sa société Blue Origin, 10 milliards d’euros afin de « préserver la Terre en transférant à terme les industries polluantes dans l’espace ». Le fondateur d’Amazon imagine un avenir où l’humanité vivra dans des colonies géantes spatiales pour éviter de surexploiter les ressources terrestres. On peut néanmoins s’interroger sur la contribution réelle à la société tant ce projet apparaît utopique.
Reste qu’avec la philanthropie, les ultra-riches investissent une partie de leur fortune dans des actions humanitaires, sanitaires ou éducatives. Si cette contribution s’avère peu élevée à l’aune de leur patrimoine (de l’ordre de 2 %), cela peut s’avérer utile. La fondation Gates a, par exemple, contribué à éradiquer certaines maladies, comme la poliomyélite, dans les pays en développement. Sans oublier qu’avec un niveau d’épargne conséquent, les grandes fortunes alimentent les marchés financiers, qui peuvent à leur tour financer la création et le développement des entreprises, les projets d’innovation et les infrastructures. De quoi balayer d’un revers de main les arguments mis en avant par Zohran Mamdani ? Pas si vite…
3 000 milliardaires en 2025
Selon la théorie du ruissellement, l’augmentation des patrimoines des plus grandes fortunes devrait ainsi entraîner une dynamique positive pour l’ensemble de l’économie. Aux États-Unis, le nombre de milliardaires est passé de 13 en 1981 – année où Ronald Reagan est arrivé au pouvoir et a lancé une politique de dérégulation favorable à l’accumulation du capital – à 902 en 2025. Sur la même période, leur fortune totale est passée de 92 milliards à 902 milliards de dollars. Pourtant, cette croissance spectaculaire du capital des plus riches ne semble pas avoir pleinement profité à l’économie américaine. Selon les données du Bureau of Labor Statistics (BLS), le salaire horaire réel moyen des employés, ajusté de l’inflation, n’a augmenté que de 0,3 % par an, traduisant une stagnation du pouvoir d’achat de la majorité des salariés sur plus de quarante ans. Par ailleurs, la productivité a ralenti, passant de 2,7 % de croissance annuelle entre 1950 et 1970 à seulement 1,5 % entre 2002 et 2022, selon une étude de l’Aspen Institute, un think tank non partisan.
Qu’en est-il à l’échelle mondiale, alors que la croissance des pays en développement dépasse celle des pays occidentaux ? Le nombre de milliardaires est passé d’environ 140 à la fin des années 1980 à plus de 3 000 en 2025, avec une fortune totale atteignant 16 100 milliards de dollars. « Depuis les années 1990, la richesse des milliardaires a augmenté en moyenne de 7 à 8 % par an au niveau mondial, tandis que la fortune par adulte n’a progressé que d’environ 2 % par an », expliquait l’économiste Gabriel Zucman, spécialiste de la taxation des grandes fortunes, dans une interview accordée à Forbes en avril 2024. Sur cette même période, le PIB mondial a enregistré une croissance annuelle moyenne d’environ 3,47 %, un taux là encore inférieur au rendement du capital.
Une volonté de taxer ces plus grandes fortunes
Le constat est sans équivoque : la richesse s’accumule plus rapidement que la croissance économique et les revenus de la majorité des populations. Pour certains experts, cette situation contribue à creuser les inégalités et menace la cohésion sociale, alors même que de nombreux pays demandent des efforts à leurs citoyens pour faire face à la dégradation des finances publiques. Et ce, alors que les besoins de financement, notamment pour lutter contre le changement climatique, ne cessent de croître. C’est pourquoi de nombreux économistes soulignent la nécessité de mieux taxer les plus grandes fortunes. Ainsi, sept prix Nobel d’économie, parmi lesquels Joseph Stiglitz et Esther Duflo, ont signé une tribune dans Le Monde le lundi 7 juillet, appelant la France à instaurer un impôt plancher sur le patrimoine des milliardaires afin de « montrer la voie au reste du monde » et de combattre « l’explosion de l’extrême richesse ».
En février dernier, les députés avaient adopté la mise en place de la taxe Zucman, un impôt minimum de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Ce projet de loi a cependant été rejeté par les sénateurs début juin. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques, le taux d’imposition global des milliardaires français est deux fois plus faible que celui de la population générale, s’établissant à environ 25 % : 2 % au titre de l’impôt sur le revenu et le reste principalement via l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, les réformes en faveur de la fiscalité du capital, comme la suppression de l’impôt sur la fortune, n’ont pas eu d’effets positifs sur l’économie hexagonale, mais ont plutôt creusé le déficit public, selon l’évaluation réalisée par France Stratégie.
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