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Quand la technologie peut redonner la parole

Derrière Wyes, ce sont des lunettes connectées pour redonner la parole aux personnes handicapées et paralysées. Elles ont nécessité plus de 1 500 heures de recherche et de développement. Sarah Mougharbel, co-fondatrice de Wyes, est revenue pour nous sur cette aventure, son parcours d’entrepreneuse et sa vision de l’entrepreneuriat.

 

Sarah Mougharbel, pouvez-vous nous parler de Wyes et de sa technologie ?

En quelques mots, chez Wyes, nous développons des lunettes connectées permettant aux personnes entièrement paralysées et dans l’incapacité de s’exprimer de piloter un smartphone, une tablette ou un ordinateur grâce aux mouvements de leurs yeux. L’objectif est de permettre à nos utilisateurs de retrouver un moyen de communiquer avec leurs proches et le personnel médical, mais aussi de leur permettre de reprendre part à la société grâce à l’accès au numérique.

 

Quelle a été votre émotion après avoir équipé vos premiers utilisateurs ? Avez-vous un moment de fierté en particulier à nous partager ?

Depuis le début du projet, nous travaillons au plus proche de nos utilisateurs. Nous aimons à penser que nous avons réellement développé les lunettes en co-conception avec les patients, leurs familles, les professionnels de santé et les associations, de façon à ce que notre technologie puisse prendre en compte les besoins de chacun de ces acteurs au quotidien.

Chaque rencontre avec un patient est toujours un grand moment. Chaque fonctionnalité supplémentaire que l’on développe est une véritable victoire pour l’autonomie de ces personnes dans leur vie de tous les jours.

Je me souviens de la rencontre avec un jeune patient qui, pour la première fois de sa vie, arrivait à épeler son prénom. Je me souviens de l’expression de soulagement sur le visage du mari d’une de nos utilisatrices, lorsque grâce à nos lunettes, elle avait enfin une solution pour l’alerter en cas d’urgence, à tout moment de la journée ou de la nuit. Je me souviens du regard intrépide d’un de nos utilisateurs, lorsqu’il a réussi à contrôler une tablette pour la première fois et qu’en l’espace de quelques minutes, il a : mis de la musique, fait une recherche sur Google et vérifié ses messages sur WhatsApp.

En réalité, je me souviens de tous les « Merci » suite aux rencontres avec chaque nouveau patient, et c’est ce qui m’anime dans tout ce que j’entreprends au quotidien.

 

Si vous deviez définir l’entrepreneuriat grâce à une analogie, quelle serait-elle ?

Je crois que j’emprunterais une image que je dois à José Utiel, l’un de nos utilisateurs lui-même des plus innovants et visionnaires.

José est atteint de la Maladie de Charcot ; il est donc entièrement paralysé et se trouve dans l’incapacité de communiquer. La maladie n’atteint pas du tout les fonctions cognitives des patients qui en sont atteints, donc José entend et comprend absolument tout ce qu’on lui dit.

Malgré sa maladie, José est un des plus grands coureurs de marathons que je connaisse. Pour continuer à vivre sa passion de la course, il a fait fabriquer des fauteuils adaptés (appelés Josettes) qui lui permettent d’être poussé par une équipe de coureurs sur des parcours des plus longs et des plus complexes : trails, semi-marathons, et marathons, il n’y a rien qui ne l’arrête lui et ses coureurs !

Ce que j’adore dans cette image, c’est qu’il a véritablement transformé la course à pied en un sport d’équipe. Tout le monde court ensemble et a le même objectif : pousser José et franchir la ligne d’arrivée tous ensemble, et ce malgré la difficulté du parcours et les obstacles qui y sont parsemés.

José nous a d’ailleurs mis au défi de venir le pousser sur un semi-marathon, tout en l’équipant de nos lunettes et d’une tablette pour qu’il puisse communiquer pendant toute la course. Il a ainsi pu nous donner des directions sur le parcours, nous demander de nous arrêter aux ravitaillements, et bien sûr nous encourager tout du long !

Cette aventure, que nous avons maintenant entrepris plus d’une fois, m’emplit réellement d’un sentiment de fierté immense car elle symbolise parfaitement ce que nous cherchons à accomplir au quotidien. Nous courrons avec les patients, pour les patients. Il faut tenir la distance. Le parcours est vallonné, il y a des montées, des descentes, de la pluie, du vent, des pneus crevés mais aussi et surtout des sourires partagés, une équipe soudée, et des personnes qui se dépassent jusqu’à l’arrivée.

 

Pouvez-vous nous décrire votre style de leadership ? Votre manière de diriger ? Quelles sont vos priorités lorsque vous devez prendre des décisions ?

J’aime bien résumer ma philosophie à un « instinct réfléchi ».

On entend beaucoup que pour être un bon entrepreneur, il faut avoir « un bon instinct ». De toute évidence, c’est vrai. Dans ce métier, on est amené à devoir prendre des décisions avec souvent énormément d’inconnues et parfois, avec très peu de temps pour y réfléchir. Dans ces cas-là, pas le choix, il faut assumer la prise de risque, se décider et avancer.

Mais en réalité, je crois que l’expression est trompeuse. On pense souvent qu’il y a une dichotomie : d’un côté, il y a les gens qui ont un bon instinct, et de l’autre, il y a les personnes qui n’en ont pas. En réalité, comme dans la plupart des principes de la nature humaine, les gens sont plus répartis sur un spectre que dans des cases. Un bon instinct, ça se développe, et je crois d’ailleurs que la première règle pour le développer est d’avancer avec humilité.

Le fait de travailler avec des personnes en situation de handicap au quotidien amène nécessairement à cette humilité. Peu importe toute l’empathie dont on est capable, il est réellement impossible de se mettre à la place d’une personne qui est enfermée dans son corps par une paralysie.

J’ai donc passé la majorité de mon temps auprès des principaux concernés par notre solution : à faire tester aux patients chaque version de nos prototypes, recueillir leurs retours, échanger avec leurs proches pour comprendre leurs priorités au quotidien, consulter régulièrement et rigoureusement des professionnels de santé afin de comprendre l’expertise de chacun et d’apprendre de leur manière d’accompagner les patients.

Et aujourd’hui, c’est tout ce temps passé auprès de nos utilisateurs qui me donne la légitimité de prendre de bonnes décisions concernant nos priorités de développement.

 

Quel a été votre parcours avant de vous lancer dans Wyes ? À quel moment avez-vous compris que vous étiez faite pour entreprendre ?

Je dois beaucoup à mes parents. Ils ont grandi au Liban pendant la guerre et sont, de fait, un modèle de résilience. À la maison, nous parlions le français, l’anglais et l’arabe. J’ai donc très tôt développé une sensibilité linguistique et ai plus tard entrepris d’apprendre le japonais, l’espagnol, l’italien et la langue des signes française.

Ce qui me passionne dans cet apprentissage est l’exercice d’ouverture d’esprit qui s’impose lorsqu’on découvre une nouvelle langue, sa logique, sa grammaire et ses sons. Chaque nouvelle langue est comme une nouvelle manière de réfléchir.

Pour mes études supérieures, je me suis donc inscrite en double-diplôme en Linguistique et Informatique entre l’Université de Pierre et Marie Curie et La Sorbonne Paris IV. Afin de compléter cette formation par un cursus plus appliqué, je me suis en même temps inscrite en école d’ingénieurs, à l’ECE Paris.

Bien sûr, j’étais infiniment épanouie de par la stimulation intellectuelle d’étudier dans trois universités en même temps, mais je crois que ce qui me plaisait le plus, c’était le fait de repousser les limites de l’acceptable. Le fait d’avoir une vision ambitieuse et de pouvoir en faire une réalité.

J’ai paradoxalement toujours gardé une certaine candeur. J’appréhende le monde avec énormément d’optimisme et d’empathie, et je crois que l’entrepreneuriat est la manière la plus naturelle pour moi de tendre vers un monde plus juste et plus durable.

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