Issu du programme d’investissements d’avenir lancé par l’Etat, Erganeo est une société d’investissement d’un type particulier qui finance, non pas des start-up, mais des technologies à un stade précoce. Elle permet ainsi de rapprocher le monde des affaires et celui de la recherche académique, univers qui ont bien du mal à communiquer. Rencontre avec le professeur Suat Topsu, universitaire et président exécutif d’Erganeo.

 

Pourquoi est-il encore si difficile de faire se rapprocher le monde de la recherche et celui des entreprises ?

Suat Topsu : Historiquement, la mission de l’Université et du monde académique est la production du savoir et sa transmission. C’est une mission de temps long. De l’autre côté, le monde de l’entreprise, dont la tâche est de produire des biens et services à destination de la population, est dans une optique de temps court. On fait donc face à deux univers dont les contraintes intrinsèques sont contradictoires. Si ces derniers ont commencé à se rapprocher il y a une centaine d’années, il reste utopique de penser que demain tous les chercheurs vont devenir des entrepreneurs. Ce ne serait d’ailleurs pas une bonne chose puisqu’on assècherait ainsi la production de nouveaux savoirs, et donc d’innovations.

 

Toutefois, comment concrètement faire en sorte d’accélérer la mise à disposition de ces innovations issues de la recherche académique ?

Suat Topsu : En créant des intermédiaires qui comprennent exactement comment fonctionnent ces deux univers et peuvent répondre aux contraintes des uns et des autres. C’est exactement le but d’Erganeo qui finance non pas, des sociétés, mais des technologies. Nous intervenons à partir d’un moment où un premier prototype a été créé en laboratoire et finançons son développement pour en faire faire un produit qui fonctionne en milieu opérationnel. Nous créons ensuite une start-up autour de cette technologie ; start-up qui va aller se financer sur les marchés. Il s’agit donc d’un investissement effectué très en amont, donc par définition très risqué, raison pour laquelle le secteur privé refuse d’intervenir à ce stade. C’est pourquoi, l’Etat a créé le programme d’investissements d’avenir et décidé de financer à travers ce dernier 13 sociétés, dont Erganeo.

 

Sur quels critères, effectuez-vous votre sélection ?

Suat Topsu : Erganeo est spécialisée dans le financement des technologies de rupture (deeptech). Les deux grands défis en cours sont la transition écologique et la révolution numérique auxquels il convient de rajouter le domaine de la santé qui est récurrent et traverse les années et représente 50 % des investissements deeptech en France. Pour notre part, nous venons d’investir dans un traitement révolutionnaire qui non seulement stoppe le développement de l’arthrite, mais permet aussi de régénérer l’os pour le ramener à son état originel. Autres exemples qui concernent le développement durable et l’économie circulaire : mentionnons en premier lieu une technologie qui permet de capter le CO2, comme celui issu des cheminées d’une usine, afin de le transformer en source d’énergie qui va venir alimenter l’usine en question. Nous finançons également un projet qui concerne la revalorisation du plastique en privilégiant les circuits courts (afin d’éviter qu’il ne voyage) et en le transformant afin qu’il devienne source d’électricité. Enfin, du côté des technologies du numérique, nous avons investi dans un algorithme d’intelligence artificielle argumentative. L’IA devient donc capable d’expliquer sa décision, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’être humain pourra donc argumenter et contre-argumenter avec cette dernière pour converger vers une décision qui est pleinement justifiée.

 

Toujours dans le but de rapprocher l’université et le monde des affaires, vous avez créé Lencify, une place de marché qui permet aux entreprises d’utiliser les brevets déposés par les chercheurs. Où en est le projet aujourd’hui ?

Suat Topsu : Il s’agit d’une filiale que nous sommes en train de lancer. Nous sommes partis du constat que de nombreux brevets technologiques issus de la recherche académique n’avaient pas trouvé preneurs. Signer un contrat de licence sur un brevet avec une université est un processus long et compliqué qui peut durer jusqu’à deux ans, ce qui ne manque pas de décourager les entreprises, particulièrement s’il s’agit de PME. D’où l’idée de Lencify qui est une première mondiale. Nous avons convaincu les universités de confier leurs brevets à la plateforme. En payant un abonnement conçu sur le modèle de la VOD, les entreprises vont pouvoir y accéder, les consulter et obtenir en un clic un contrat de licence, la contractualisation étant entièrement digitalisée. Nous répondons ainsi à un enjeu sociétal en permettant aux petites organisations de se développer en pouvant bénéficier d’un portefeuille de 200 brevets, ce qui aujourd’hui est réservé aux grands groupes qui en profitent pour verrouiller les marchés. Notre objectif à fin 2021 est de proposer sur la plateforme 2 000 brevets et de parvenir à une centaine d’abonnés.