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« L’IA ne devinera jamais la culture de votre entreprise si vous ne la lui expliquez pas »

« L’IA ne devinera jamais la culture de votre entreprise si vous ne la lui expliquez pas » / Crédits : Andrew Bret Wallis
« L’IA ne devinera jamais la culture de votre entreprise si vous ne la lui expliquez pas » / Crédits : Andrew Bret Wallis

Responsable People Consulting chez EY France, Raphaèle Nicaud décrypte les transformations profondes que l’intelligence artificielle, en particulier agentique, opère au sein des fonctions RH. Automatisation de tâches, adaptation à la culture d’entreprise, nouvelles compétences managériales : un changement de paradigme est en cours.

 

L’intelligence artificielle bouleverse l’ensemble des fonctions de l’entreprise – les ressources humaines n’y échappent pas. Si l’IA générative est déjà largement intégrée pour produire des contenus RH (offres d’emploi, supports de formation), l’essor de l’IA agentique marque une nouvelle étape. Ces « agents intelligents », capables d’exécuter des chaînes d’actions de bout en bout, s’imposent dans le recrutement, la gestion de la paie ou les processus administratifs. Raphaèle Nicaud, experte RH chez EY France, nous livre sa vision de ces mutations et appelle à une approche éthique, progressive et stratégique de leur adoption.

 


Forbes France : Quelles sont les principales applications de l’IA générative dans les ressources humaines aujourd’hui ?

Raphaèle Nicaud : L’IA générative, qui produit du contenu, est déjà utilisée depuis un moment dans les fonctions RH. Elle intervient surtout dans les tâches qui nécessitent de la rédaction, comme la création d’offres d’emploi, la mise à jour de politiques RH ou encore la production de contenus de formation. Ces usages sont désormais bien installés dans les entreprises.

Mais la vraie nouveauté, c’est l’émergence de l’IA agentique, c’est-à-dire la création d’agents intelligents qui exécutent des actions de bout en bout. Ces « collaborateurs numériques » peuvent, par exemple, rédiger une offre d’emploi, la publier et suivre les candidatures. Chez EY, nous utilisons déjà ces agents dans nos processus de recrutement. C’est un changement de paradigme car on ne se contente plus de générer du contenu, on automatise des chaînes d’actions entières.

 

Quelles sont les bonnes pratiques pour intégrer ces agents intelligents dans un processus RH comme le recrutement ?

R. N. : Avant de se lancer, il faut éviter de croire que la technologie résout tout. La première étape, c’est de poser les bases : quels objectifs vise-t-on ? Quels biais faut-il éviter ? Quelles sont les valeurs de l’entreprise ? Ensuite, on identifie les cas d’usage les plus pertinents. Le recrutement, par exemple, est un domaine où les biais sont bien connus, qu’on utilise ou non l’IA. Une IA mal configurée peut les reproduire.

La clé, c’est une équipe RH formée, consciente des enjeux éthiques et des biais. Ensuite, on peut déployer des agents en s’appuyant sur des plateformes comme Orchestra d’IBM Watson X, qui propose des agents prêts à l’emploi appelés “skills”. Il faut ensuite les adapter au contexte de l’entreprise. L’implémentation prend généralement entre 8 et 12 semaines.

 

Ces agents intelligents peuvent-ils vraiment s’adapter à la culture d’entreprise ?

R. N. : L’IA ne devinera jamais la culture de votre entreprise si vous ne la lui expliquez pas. Il faut lui fournir un maximum de contexte : nos attentes, nos valeurs, notre manière de travailler. Chez EY, nous avons développé roleplay.ai, un outil de simulation de conversations managériales pour s’entraîner à des entretiens de performance ou à des feedbacks difficiles. L’IA joue un rôle, pose des questions, analyse le ton, le vocabulaire, la clarté, puis fournit un retour. Plus on est précis dans les informations fournies à l’IA, plus le résultat est utile.

 

Quels sont les bénéfices concrets observés grâce à ces technologies ?

R. N. : L’IA permet de libérer les équipes RH des tâches répétitives et peu valorisantes, avec plus de précision et de rapidité. Une offre de recrutement peut être générée en 12 minutes au lieu de deux heures. Les agents ne se fatiguent pas, ne font pas d’erreurs d’inattention. En gestion de la paie, un agent peut détecter des anomalies automatiquement dans les rapports, ce qui évite une analyse manuelle fastidieuse. Même poser ses congés peut se faire via un message vocal à un agent IA, qui enregistre la demande dans le système.

 

Quels sont les enjeux plus larges liés à l’adoption de l’IA dans les entreprises ?

R. N. : Le défi principal est la gestion du changement. L’IA suscite des craintes, parfois des résistances. La fonction RH doit accompagner cette transition, pour elle-même et pour toute l’entreprise. Chez EY, nous avons mis en place des « académies IA » pour former nos clients aux usages, aux risques, à l’éthique. Cela inclut la maîtrise du prompt, la gestion des données sensibles, la compréhension des impacts. Par ailleurs, nous n’utilisons pas ChatGPT mais notre propre outil sécurisé EYQ, pour protéger nos données internes et celles de nos clients. L’adoption de l’IA doit être progressive, encadrée, et ancrée dans une culture d’entreprise.

 

L’IA risque-t-elle de remplacer certains métiers RH ou d’autres fonctions ?

R. N. : L’IA générative augmente les capacités humaines, mais l’IA agentique peut, dans certains cas, les remplacer. On l’observe déjà dans des domaines comme le juridique : la start-up Harvey, par exemple, développe des agents capables de réaliser des tâches d’avocat junior. D’autres métiers comme ceux de consultant ou de journaliste junior pourraient aussi être touchés. Les jeunes diplômés sont en première ligne, car leurs missions sont souvent les plus facilement automatisables. Cela soulève de vraies questions : comment redéfinir les rôles ? Comment encadrer ces agents ? Comment valoriser l’expertise humaine ? La fonction RH devra réinventer la formation, la mobilité, le sens du travail.

 

Quels sont aujourd’hui les principaux domaines RH où vous mobilisez l’IA agentique chez EY ?

R. N. : Nous l’utilisons surtout pour trois cas d’usage : le recrutement, la gestion de la paie et les processus administratifs comme les congés. Ce sont des domaines où l’on voit clairement les gains : gain de temps, réduction de la charge mentale, meilleure exploitation des données. Mais surtout, cela ouvre une nouvelle ère : des agents qui collaborent entre eux, se supervisent, et des humains qui deviennent chefs de projets de ces équipes hybrides. C’est ici que commence vraiment la transformation.

 


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