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Future of World | Le néolibéralisme au crépuscule de son hégémonie ?

Les idées économiques dominantes façonnent le destin des nations, et peu d’entre elles ont eu un impact aussi profond que le néolibéralisme. Depuis les années 1980, cette doctrine, portée par des penseurs comme Friedrich Hayek et Milton Friedman, a régné sans partage, prônant une dérégulation généralisée des marchés, la réduction du rôle de l’État, et une confiance inébranlable dans les forces du marché. Cependant, un malaise grandissant s’installe. Les crises successives – du krach de 2008 à la pandémie de Covid-19 – ont révélé les limites structurelles de ce modèle. Tandis que les inégalités se creusent, la question se pose : sommes-nous à l’aube d’un nouvel ordre économique ?

L’économie mondiale est en effervescence intellectuelle, portée par de nouvelles voix qui plaident pour une rupture avec le néolibéralisme. Parmi elles, Joseph Stiglitz et Thomas Piketty, figures majeures des critiques contemporaines. Stiglitz souligne les échecs du marché à réguler des secteurs clés tels que la santé et l’éducation, insistant sur la nécessité d’une intervention étatique. Piketty, quant à lui, prône une taxation des grandes fortunes pour corriger les inégalités structurelles.

Cependant, ces figures sont majoritairement issues du Nord global, révélant une fracture avec les penseurs du Sud global, souvent marginalisés dans les grands débats économiques. L’égyptien Samir Amin, par exemple, a longuement dénoncé l’impérialisme économique, mais ses théories restent largement ignorées au-delà des cercles académiques du Sud. Il devient alors essentiel de redéfinir les contours d’une pensée économique véritablement mondiale, qui tienne compte des réalités locales et des défis spécifiques aux économies émergentes.

La transition écologique : l’heure de vérité

Alors que le changement climatique menace de bouleverser notre civilisation, l’enjeu principal du 21e siècle devient clair : comment concilier économie et écologie ? Ici, deux visions s’opposent. D’une part, les partisans du “capitalisme vert” estiment que l’innovation technologique permettra de résoudre la crise environnementale sans remettre en cause les bases du système actuel. D’autre part, les adeptes de la décroissance, comme Serge Latouche, plaident pour une remise en cause totale du paradigme de croissance infinie.

L’Union européenne, avec son Green Deal, tente de se positionner comme pionnière de cette transition, investissant massivement dans les énergies renouvelables. Cependant, ces politiques se heurtent à une résistance croissante, exacerbant les tensions entre les populations rurales et ouvrières, marginalisées par une élite mondialisée. David Goodhart, dans son ouvrage “Les Deux clans”souligne de manière saisissante la fracture croissante entre les “Somewheres”, attachés à leur territoire et leur identité locale, et les “Anywheres”, citoyens du monde bénéficiant des fruits de la globalisation.

Un nationalisme économique en croissance, le mur de la dette en embuscade

Cette tension se reflète aussi dans la montée du nationalisme économique, particulièrement visible dans des pays comme l’Inde avec Narendra Modi ou le Mexique avec Andrés Manuel López Obrador. Ces leaders aux cotes de popularité très élevées dans leurs pays et représentant le Sud global, remettent en cause l’ordre économique mondial en appelant à une plus grande autonomie économique et en défendant des politiques protectionnistes.
La pandémie de Covid-19 a amplifié ces dynamiques, révélant les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement mondiales et accélérant des stratégies de découplage, notamment avec la relocalisation des industries stratégiques. Ce mouvement prend de l’ampleur, et de nouvelles alliances régionales, telles que celles observées au sein de l’ASEAN, émergent pour réduire la dépendance envers les superpuissances économiques comme les États-Unis ou la Chine.

Un facteur déterminant dans cette transformation économique est la question de la dette. Alors que de nombreux pays occidentaux s’enfoncent dans des niveaux d’endettement records, la capacité des gouvernements à financer la transition écologique et à maintenir un filet social devient de plus en plus limitée. La France, sous le gouvernement de Michel Barnier, fait ainsi face à un dilemme aigu. Le déficit structurel du pays ne cesse de croître, et l’équilibre budgétaire semble hors de portée sans augmenter significativement les impôts. Cependant, toute hausse d’imposition pourrait s’avérer politiquement désastreuse, au vu des tensions sociales déjà exacerbées par la réforme des retraites et la hausse des prix de l’énergie.

Barnier tente de trouver une voie médiane, misant sur des réformes structurelles et des économies budgétaires dans l’administration publique. Toutefois, le mur de la dette reste un obstacle majeur : avec une dette publique dépassant les 102 % du PIB, la France se retrouve dans une impasse où elle doit soit couper drastiquement dans ses dépenses publiques, soit trouver de nouvelles sources de financement, au risque de plonger dans une récession prolongée. Ce dilemme illustre la crise plus large que traversent les nations occidentales, confrontées à une dette colossale et à des attentes sociales toujours plus grandes.

L’ultime croisée des chemins ?

Nous arrivons à un tournant décisif. Le néolibéralisme, bien que dominant, vacille sous le poids des critiques, des fractures sociales et des défis environnementaux. Les écoles de pensée alternatives gagnent en influence, et la question n’est plus de savoir si un changement est nécessaire, mais quelle forme il prendra.

Comme le disait Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Ce moment d’incertitude est aussi celui des opportunités. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement une transition économique, mais la redéfinition de notre contrat social global. Les décideurs, les entreprises et les citoyens sont face à une tâche colossale : réimaginer un avenir où économie rime avec équité et durabilité.

 


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