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Et si la confiance au travail était une langue à part entière ?

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Et si la confiance au travail était une langue à part entière ? Source : Getty Images

La confiance au travail est en net recul. Aux États-Unis, seul un salarié sur cinq affirme avoir une réelle confiance en ses dirigeants, tandis que 63 % redoutent que ces derniers puissent les tromper intentionnellement. Mais cette défiance ne se limite pas à la hiérarchie : elle s’étend aussi aux relations entre collègues.

 

Certains collègues nous élèvent, d’autres nous freinent. Là encore, la confiance est en jeu. Bien qu’elle puisse paraître volatile ou difficile à cerner, la confiance n’est ni définitivement perdue, ni totalement absente.

L’incertitude nourrit la peur et l’épuisement. Entre licenciements, instabilité politique et revirements quotidiens de l’actualité, nombreux sont ceux qui s’interrogent : les dirigeants sont-ils sincères ? Peut-on vraiment faire confiance à leurs décisions ? Dans ce climat, tensions et frustrations s’installent en sourdine, se manifestent par des réactions à chaud, des décisions hâtives, et fragilisent, jour après jour, les relations de travail.


Et pourtant, la confiance est le socle de tout ce qui fait avancer une entreprise : engagement, innovation, fidélité des talents et performance durable. Lorsqu’elle manque, les individus se replient, la productivité chute, et le turnover s’accélère. À l’inverse, les entreprises perçues comme dignes de confiance génèrent, en moyenne, des rendements jusqu’à 286 % plus élevés pour leurs actionnaires.

Comme le rappelle Brené Brown, la confiance se construit dans les petits gestes du quotidien. Et selon mon expérience, c’est précisément dans ces instants que votre présence, vos intentions et votre capacité à réparer les liens comptent le plus.

 

La mécanique fragile de la confiance au travail

Elle ne disparaît presque jamais d’un seul coup. Elle s’efface progressivement, à force de questions laissées sans réponse, de retours jamais formulés, ou de réussites ignorées. Peu à peu, les intentions sont mises en doute, l’énergie se tarit, et la coopération laisse place à une prudente conformité. Même les équipes les plus performantes peuvent glisser dans une forme de résignation silencieuse.

Les failles s’agrandissent quand les retours sont vagues, les décisions déconnectées ou mal expliquées, ou lorsque les dirigeants se dérobent dans les moments clés. Entre collègues, la confiance se fissure souvent par manque de clarté, d’attentes alignées, ou à cause des récits que l’on se construit quand la communication ne suit plus. Et quand la confiance s’effondre, c’est le contrôle qui prend le relais. Un contrôle qui, loin de stimuler la performance, alimente peur, retrait, et épuisement.

Selon Gallup, le désengagement au travail coûte près de 9 000 milliards de dollars par an à l’économie mondiale. Un chiffre qui dit tout du coût, bien réel, des environnements où la confiance fait défaut.

La confiance se joue dans les détails. Elle se construit dans ces micro-moments d’échange : la façon dont un feedback est donné, l’attention réelle portée à une parole, l’attitude adoptée quand les tensions montent. Elle grandit quand on parle avec franchise, quand chacun s’efforce d’être à la hauteur de l’autre. Mais la confiance ne se résume pas à être fiable : elle suppose aussi de savoir faire confiance. Croire en la capacité des autres à se dépasser est aussi essentiel que de se dépasser soi-même.

Encore faut-il comprendre que la confiance ne se manifeste pas de la même manière pour tout le monde. Minda Harts, autrice de Talk to Me Nice et consultante en entreprise, raconte un épisode qui a marqué sa perception : « Au début de ma carrière, mon manager ne me faisait jamais de retour. J’ai fini par douter : est-ce qu’il appréciait mon travail ? Est-ce que j’avais ma place dans l’équipe ? Pour moi, le langage de la confiance, c’est le feedback : j’ai besoin de repères clairs pour me sentir soutenue et valorisée. Mais il ne le savait pas. Nous faisions des efforts chacun de notre côté… mais nous ne parlions pas la même langue. » Elle conclut avec justesse : « Comment instaurer la confiance si l’on ne sait même pas ce que l’autre en attend ? »

 

Savoir lire les signes de confiance au travail

Comme le souligne Minda Harts : « La confiance est un langage. Et quand deux personnes parlent des langues différentes, ce n’est pas en criant plus fort qu’elles finiront par se comprendre. Pourtant, c’est exactement ce que nous faisons trop souvent au travail. » Elle poursuit : « Un dirigeant peut croire qu’il instaure un climat de confiance en jouant la carte de la transparence. Mais si ses collaborateurs attendent avant tout du suivi, cette transparence devient creuse dès lors que les engagements ne sont pas tenus. »

Autrement dit, la clé n’est pas seulement ce que vous communiquez, mais comment vous le faites, dans le langage de confiance de votre interlocuteur.

À l’heure où la technologie standardise les échanges, l’émotion s’efface, l’individualité se dilue, et les liens humains s’étiolent. Ce sont justement ces liens — personnels, authentiques, cohérents — qui nourrissent la confiance. Elle s’ancre dans des moments concrets : la régularité des échanges, la qualité des mots choisis, la façon dont on donne suite à ses promesses. On fait plus volontiers confiance à ceux qui sont constants, ouverts, présents émotionnellement, et capables de reconnaître leurs erreurs, qu’à ceux qui ne s’expriment que via des messages génériques ou distants.

Lorsque les dirigeants prennent le temps de comprendre comment chacun vit la confiance, ils peuvent transformer la méfiance en coopération. Et cela paie, une étude menée par Paul J. Zak, directeur du Center for Neuroeconomics Studies, montre que dans les entreprises à haut niveau de confiance, les employés sont :

  • 74 % moins stressés
  • 50 % plus productifs
  • 76 % plus engagés

Et surtout, ils éprouvent davantage de satisfaction au travail. Qui pourrait s’en plaindre ?

 

Les 7+1 langages de la confiance au travail

Le leadership se mesure avant tout à la capacité à instaurer, démontrer et nourrir la confiance.

Dans Trusted Leader, David Horsager identifie huit piliers fondamentaux de cette confiance : clarté, compassion, caractère, compétence, engagement, connexion, contribution et cohérence. Autant de qualités indispensables pour les dirigeants qui souhaitent bâtir des équipes solides.

Mais comment ces principes prennent-ils vie au quotidien dans les relations de travail ? Dans Talk to Me Nice, Minda Harts apporte une dimension concrète en définissant sept langages de la confiance ; autant de façons de traduire ces valeurs en actions tangibles. « L’erreur la plus fréquente des dirigeants est d’essayer de reconstruire la confiance en s’appuyant uniquement sur leur propre langage », explique-t-elle. Pour certains, la confiance passe par la transparence : expliquer les décisions, partager le contexte. Pour d’autres, elle se manifeste par le suivi : tenir ses engagements et ses promesses.

Voici les sept langages de la confiance que Minda Harts recommande pour mieux dialoguer avec ses équipes :

  • Transparence: expliquer non seulement les décisions, mais aussi leurs motivations.
  • Sécurité: créer un cadre intellectuel, psychologique et physique où chacun peut s’exprimer librement.
  • Démonstration: incarner les comportements attendus plutôt que de simplement les énoncer.
  • Feedback: donner des retours clairs, précis et utiles, plutôt que des compliments vagues.
  • Reconnaissance: valoriser les contributions d’une manière qui parle à chaque individu.
  • Sensibilité: être attentif aux émotions et choisir le bon moment pour aborder les discussions difficiles.
  • Suivi: respecter systématiquement ses engagements.

Si David Horsager désigne la « connexion » comme un pilier clé de la confiance, je l’inclus également comme un langage essentiel. Ce sont ces moments (un coaching, une fête importante, ou juste un regard attentionné) qui disent en silence : « Je vous vois ».

Quand je demande à Minda Harts quel langage les dirigeants négligent le plus, elle répond sans hésiter : « La sensibilité. Nous sommes obsédés par l’efficacité et la productivité, au point d’oublier que les collaborateurs restent avant tout des êtres humains. »

Elle évoque des exemples où des dirigeants adressent des critiques sévères par e-mail, annoncent des licenciements en réunion générale ou imposent des changements majeurs sans prendre en compte l’impact émotionnel. Pour ceux dont le langage principal est la sensibilité, ce n’est pas une simple maladresse, mais une véritable rupture de confiance. Elle souligne : « La manière et le moment de communiquer sont aussi importants que le message lui-même. »

 

Comment rebâtir la confiance au travail

Quand la confiance est rompue dans un environnement professionnel, les répercussions sont profondes. Et lorsqu’elle l’est au sein même des fonctions censées l’incarner — comme le leadership ou les ressources humaines — l’impact est d’autant plus déstabilisant. Le cas d’Astronomer en est un exemple frappant : après la diffusion d’une vidéo mettant en scène le PDG dans une relation personnelle apparente avec la DRH de l’entreprise, la démission du dirigeant a provoqué un séisme interne. Ce type d’événement fragilise le socle même des repères organisationnels. Car les RH, censées incarner la culture de l’entreprise et offrir un point d’ancrage en période d’incertitude, deviennent ici source de confusion et de perte de repères.

Toutefois, comme dans toute relation humaine, la confiance professionnelle, même ébranlée, peut se reconstruire. Ces moments de rupture ne doivent pas nécessairement redéfinir votre réputation ou altérer durablement vos relations de travail. Ce qui distingue les collègues fiables et les leaders respectés, c’est leur capacité à affronter le conflit, à engager un dialogue honnête et à rechercher une compréhension mutuelle, même dans la difficulté.

Alors, comment amorcer ce travail de réparation ? En identifiant d’abord où, comment et pourquoi la confiance s’est fissurée, et en assumant sa propre part de responsabilité. Cela implique une introspection sincère.

La consultante Minda Harts recommande de poser à ses équipes deux questions simples mais puissantes :

  1. À quoi ressemble la confiance pour vous ?
  2. Qu’est-ce qui vous ferait vous sentir soutenu aujourd’hui ?

Puis, écoutez avec attention. Certains auront besoin de plus de clarté dans les décisions, d’autres d’une reconnaissance explicite de leurs efforts, et d’autres encore de plus d’empathie autour d’une situation personnelle. Vous n’aurez peut-être pas toutes les réponses. Mais le simple fait de chercher à comprendre ce qui fait naître, ou renaître, la confiance chez chacun est un premier pas essentiel.

Enfin, une autre pratique précieuse : faire une pause. Respirer. Se demander : « Est-ce que je réagis à la réalité ou à l’histoire que je me raconte ? » Dans les moments de tension, prendre du recul permet d’éviter les réactions impulsives. Une promenade, quelques respirations profondes, ou même un échange rapide avec une personne de confiance peuvent suffire à réajuster le regard.

Car rebâtir la confiance, c’est d’abord créer de l’espace : pour l’écoute, pour l’intention, et pour l’humanité.

Lorsqu’un malentendu ou une décision difficile fragilise les liens, il est essentiel de revenir à l’essentiel : le dialogue. Commencez par faire le point, en particulier avec les personnes avec lesquelles la communication semble bloquée ou votre équipe après un changement majeur. Deux questions simples peuvent ouvrir la voie :

  1. Comment avez-vous vécu cela ?
  2. Qu’est-ce qui vous préoccupe encore ?

Ces conversations sont d’autant plus cruciales dans les moments charnières : crise publique, vague de licenciements, ou abandon d’initiatives liées à la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI). Comme l’explique la consultante : « C’est dévastateur, car cela brise plusieurs langages de confiance en même temps. Renoncer à l’inclusion, c’est rompre la continuité, la reconnaissance. Pour les employés marginalisés, cela ressemble à une trahison fondamentale. »

Dans mon travail auprès de dirigeants et d’équipes, j’ai souvent observé à quel point la confiance est intimement liée à la DEI. Lorsque ces engagements vacillent, de nombreuses questions émergent : Suis-je encore à ma place ? Était-ce sincère ? Qui sera le prochain ? Autant de doutes qui minent l’engagement et le sentiment d’appartenance.

Les leaders ont alors une opportunité décisive de reconstruire la confiance. Comment ?

  • En nommant la réalité. Si les priorités changent, dites-le. Le silence nourrit la suspicion.
  • En écoutant activement. N’imaginez pas que tout le monde se sent en sécurité : demandez-leur.
  • En incarnant vos valeurs. Ne vous contentez pas de parler d’inclusion : montrez-la dans vos choix, vos ressources et vos comportements quotidiens.

La confiance ne se rétablit pas d’un claquement de doigts, mais elle peut être ravivée avec de la constance, de l’attention et le courage d’ouvrir des conversations sincères.

 

La confiance est le langage du leadership moderne

Dans un monde du travail mouvant, la confiance est devenue le socle du leadership moderne. Elle exige une conscience plus fine de ce que vivent les gens, et une volonté d’entretenir ces liens au quotidien, avant que la tempête n’éclate.

Car c’est dans les petits gestes que la confiance se renforce : une reconnaissance sincère, un retour honnête, un aveu de vulnérabilité lorsqu’on n’a pas toutes les réponses. Comme le rappelle Minda Harts : « Ce ne sont pas les titres qui inspirent la confiance, mais les gens. »

La confiance est bien plus qu’un atout culturel ou un levier RH : elle est le fondement d’un travail épanouissant, d’un leadership crédible, et d’organisations humaines — qui nous inspirent et nous élèvent au lieu de nous épuiser.

 

Une contribution de Daisy Auger-Domínguez pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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