Aujourd’hui, plus de la moitié du temps des cadres de santé est engloutie dans la gestion des plannings et des tâches administratives, au détriment du soin et de l’accompagnement des équipes.
Une contribution de Nicolas Michel-Vernet, DG du Groupe Octime
Malgré un million de soignants mobilisés chaque jour en France et plus de 120 milliards d’euros investis pour garantir la continuité des soins en 2023, l’hôpital s’enlise dans une complexité de gestion inédite. L’intelligence artificielle (IA), présentée à grand renfort de promesses comme la solution miracle, risque pourtant de devenir un énième outil de rationalisation, voire de déshumanisation, si elle n’est pas pensée au service du terrain. C’est un choix de société : voulons-nous confier nos hôpitaux à des algorithmes ou redonner la main à ceux qui nous soignent ?
Redonner la main aux équipes, pas aux machines
La planification hospitalière vire au casse-tête, accaparant des cadres de santé dont la vocation n’a jamais été de jongler avec des tableurs. Même le législateur s’en mêle : la loi du 29 janvier 2025 impose désormais des effectifs minimaux de soignants par patient, pour garantir une prise en charge sécurisée et de qualité. Mais sur le terrain, la réalité est implacable : complexité du droit social, mille-feuille de normes, pression budgétaire, réformes à répétition, besoins métiers, compétences, continuité des services… et, surtout, une aspiration croissante des professionnels à plus de flexibilité. 70 % des modifications de planning sont aujourd’hui dictées par le souhait de mieux concilier vie professionnelle et personnelle (Source : CH de Tarbes SantExpo 2025). Ce chiffre est sans appel : c’est au système de s’adapter aux humains, pas l’inverse.
L’IA, si elle est bien pensée, peut transformer cette grille de contraintes en un levier d’engagement et d’attractivité. Elle ne résoudra pas la crise des vocations, mais elle peut enfin libérer les équipes de la complexité des plannings : automatiser, apprendre des pratiques passées, croiser les préférences, anticiper les besoins. Mais surtout, l’IA doit rester un outil d’aide à la décision : elle éclaire, propose, alerte, mais ne décide jamais à la place de l’individu. Le vrai progrès ? Donner aux soignants la capacité de piloter eux-mêmes leur organisation, de négocier, de choisir. L’IA doit être l’alliée d’un planning collaboratif, pas l’arbitre d’un système déconnecté de la réalité.
L’IA, levier d’émancipation ou nouvel outil de contrôle ?
La réforme du financement hospitalier (décret n°2025-186 du 26 février 2025) introduit une nouvelle structure de financement censée valoriser la qualité, simplifier les processus administratifs et optimiser l’organisation. La tentation sera grande : certains voudront faire de l’IA un instrument de contrôle, d’optimisation à outrance, au détriment du sens et de la confiance. Ce serait une faute stratégique et humaine. La révolution technologique ne réussira que si elle s’accompagne d’un changement culturel : faire du système d’information RH un espace de dialogue, de transparence, d’association réelle des professionnels aux décisions qui les concernent.
L’intelligence artificielle est une réalité. Elle ne doit pas être le bras armé d’une gestion déshumanisée. Elle doit devenir le levier d’une organisation plus agile, plus respectueuse, plus collaborative. Redonner le pouvoir aux soignants, c’est refuser la fatalité du pilotage par les chiffres et les algorithmes pour créer, enfin, un nouveau pacte de confiance au bénéfice de tous : soignants, cadres de santé, patients.
À lire également : Vivatech 2025 : l’Europe à la conquête de sa souveraineté technologique à l’ère de l’IA

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits