Le salon Vivatech, rendez-vous européen incontournable de l’innovation technologique, ouvre sa neuvième édition à Paris. Cette année, l’IA est de nouveau mise à l’honneur, mais avec une vision plus pragmatique et une ambition européenne affichée en matière de souveraineté technologique.
Né pour rivaliser avec des salons d’envergure comme le CES de Las Vegas, Vivatech est devenu en moins de dix ans le plus grand événement tech d’Europe. Il s’impose comme le lieu stratégique pour observer l’innovation française et européenne. « Avant, on allait aux États-Unis, au CES pour voir les technologies mises en avant par les entreprises françaises, Vivatech s’est imposé comme alternative pour voir les entreprises françaises et européennes évoluer », nous vante Pierre Louette, cofondateur du salon.
Avec 150 nationalités représentées, des pavillons venus de Chine, du Maroc, du Canada (invité d’honneur), et un écosystème riche en startups, Vivatech 2025 prend des allures de mini « ONU de la tech », où la coopération prévaut sur la rivalité. Une initiative bienvenue à l’heure des crispations commerciales qui se font ressentir à l’international, notamment entre l’Europe et les États-Unis.
Symbole de cette synergie technologique au-delà des frontières, Vivatech a ouvert les festivités avec une annonce forte : celle du rapprochement entre Mistral AI, pépite française de l’IA, et Nvidia, géant américain des processeurs graphiques. Ensemble, ils lancent « Mistral Compute », une offre de cloud souverain pour l’IA en Europe.
« Le premier cloud IA industriel, ici, en Europe », a souligné Jensen Huang, CEO de Nvidia, lors de sa keynote au salon ce mercredi.
Ce projet, estimé à plusieurs milliards d’euros, vise à fournir aux entreprises et administrations européennes une infrastructure complète allant de la puissance de calcul aux services managés. Parallèlement, Nvidia prévoit le déploiement de 20 “AI factories” et 200 data centers dans plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Objectif : créer un réseau industriel à grande échelle pour accompagner la révolution de l’IA.
Une lettre d’amour à l’Europe
Dans une déclaration qu’il qualifie de « love letter » adressée à l’Europe, le CEO de Nvidia rappelle que l’Europe dispose des ressources humaines, techniques et culturelles pour conduire la prochaine révolution industrielle.
« Il y a toute une production de talents ici en Europe, et il ne s’agit pas seulement de trois personnes brillantes : c’est tout un vivier, un véritable pipeline de création de talents qui est en effervescence depuis des années », explique-t-il.
Il a ensuite décrit deux grandes applications émergentes de l’IA :
L’IA agentique, capable de décomposer un problème et de planifier une réponse via des agents spécialisés.
L’IA robotique, qui incarne l’intelligence dans le monde physique.
Ce dernier en a également profité pour dévoiler, sur scène, un prototype de robot intelligent conçu par Nvidia, capable d’interagir par la voix : preuve formelle que ces technologies ne relèvent plus de la science-fiction.
Souveraineté numérique : entre ambition politique et attentes du terrain
Présent au salon ce mercredi, Emmanuel Macron a lui aussi affiché son soutien à l’innovation européenne.
« Nous devons construire des champions à l’échelle européenne », a-t-il déclaré, saluant la collaboration avec un géant des puces comme un pas stratégique vers le renforcement de la compétitivité de la technologie européenne.
Mais la question de la souveraineté ne se limite pas aux symboles ou aux alliances stratégiques. Elle se construit aussi dans les entreprises, à travers des choix concrets de gouvernance, d’infrastructures et d’usages.
« La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit : par la résilience, les zones redondées, la protection des données, et surtout par l’action », souligne Benjamin Revcolevschi, CEO d’OVHcloud.
Pour lui, il faut passer de la subvention à la commande publique et privée :
« Il ne sert à rien de construire un datacenter à 100 milliards si personne ne l’utilise. Il faut générer du revenu. »
Même constat du côté des usages de l’IA en entreprise, selon Frédérique Liaigre, présidente de Verizon France :
« Les entreprises les plus avancées sont celles qui ont développé leur IA en interne, pour des cas d’usage internes. C’est là qu’on voit les gains. »
Elle insiste aussi sur l’importance d’un cadre éthique solide :
« Il faut une gouvernance d’entreprise rigoureuse pour rester dans les clous juridiques. Il y a trois ans, un seul client sur vingt avait un comité IA. On peut vite franchir la barrière de l’éthique. »
Ainsi, la souveraineté passe autant par les infrastructures industrielles que par la capacité à intégrer l’IA de manière éthique et ciblée, avec une vision de long terme dans les entreprises.
Une Europe encore entravée par ses limites structurelles
La French Tech, présente partout en Europe, est porteuse de cette compétitivité européenne dans l’innovation et dans l’IA en ayant déjà permis la création d’1,3 million d’emplois dans son écosystème, comme rappelé lors de ce salon. Lors d’une prise de parole mercredi soir à Vivatech, Paul Midy (député Renaissance) a insisté sur l’importance d’intensifier l’effort ces 10 prochaines années pour ériger une French Tech « encore plus grosse, encore plus européenne, encore plus féminine ».
- Plus grosse, car il faut davantage de fonds de pension en France et en Europe pour rivaliser avec des modèles plus compétitifs comme celui des États-Unis. « Nous devons accélérer la transition de notre système de retraite vers la capitalisation », a-t-il lancé.
- Plus européenne, via un effort budgétaire accru de l’Union européenne dans le secteur de la tech et de l’innovation. Il rappelle qu’aujourd’hui, la tech ne représente que 10 % du budget de l’UE. Pour Paul Midy, ce chiffre devrait être multiplié par trois, pour atteindre les 30 % d’investissement du budget de l’UE.
- Plus féminine enfin, car malgré les efforts en matière de parité, les chiffres restent « très stagnants, et cela, partout dans le monde ».
« Nous ne sommes pas loin de cet objectif… on a besoin de plus de fonds », concluait le député. L’horizon reste optimiste, mais conditionné à des efforts tangibles.
Un accélérateur continental
Depuis ses débuts, Vivatech agit comme un accélérateur pour les startups européennes. Cette année encore, le salon a présenté un Top 100 des startups européennes les plus prometteuses, dont plus d’un quart spécialisées en IA.
« L’Europe a les capacités de s’imposer comme un grand bloc géopolitique de la tech, résumait Pierre Louette. Et un bon moyen d’y parvenir, c’est d’utiliser cette ressource qu’est Vivatech. »
Vivatech 2025 marque un tournant. L’Europe ne veut plus seulement réguler, elle veut aussi produire, investir, gouverner. Avec des projets comme Mistral Compute, le soutien politique affirmé, un vivier de talents en croissance, des infrastructures en cours de déploiement, et une réflexion plus mature sur la gouvernance de l’IA, les bases sont posées pour une souveraineté numérique européenne réelle.
« D’ici 2030, l’Europe peut devenir une puissance tech. On sait ce qu’il faut faire. Maintenant, il faut juste le faire », concluait Pierre Louette.
À lire aussi : Quelles chances pour l’Europe dans la course mondiale à l’IA ?

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