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TRIBUNE | L’Europe, laissée-pour-compte de la révolution de l’IA ?

Michel Fantin, président de Blitzzz Media.Michel Fantin, président de Blitzzz Media.

Alors que la géopolitique mondiale a longtemps été structurée autour de deux grands blocs, et dans un contexte mouvant, l’intelligence artificielle semble prête à aiguiser les rivalités, risquant d’attiser les flammes d’une nouvelle « guerre froide » technologique entre deux superpuissances. Faiblesse organique face à des puissances-états, abandon consenti de souveraineté numérique, dans cette bataille où l’IA (intelligence artificielle) cristallise ses lacunes, l’Europe risque-t-elle d’être marginalisée entre la Chine et les USA ? Dans cette tribune, Michel Fantin et Augustin Garcia, respectivement président et ingénieur prompt de Blitzzz Media nous explique pourquoi l’Europe devrait jouer la carte de l’éthique pour espérer s’imposer dans la course mondiale à l’IA.

L’émergence éclair de l’IA générative, symbolisée par GPT4, conjuguée aux récentes sanctions technologiques contre la Chine, suggère que le monde a franchi un Rubicon de la révolution IA. Et peut-être au détriment de certains.

Cet intérêt pour l’intelligence artificielle n’est pas nouveau ; il est profondément enraciné dans la géopolitique et les intérêts militaires des nations depuis les travaux novateurs du mathématicien Alan Turing dans les années 1950. Du déchiffrement du code secret de l’armée allemande Enigma à la création du fameux test de Turing définissant l’« intelligence » d’une machine, Turing a planté les graines de l’IA et a ouvert la voie à son potentiel disruptif.

Se prévalant de leur statut de puissance dominante de l’après-guerre, les États-Unis ont alors atteint des sommets dans la recherche sur l’IA, soutenus par une politique gouvernementale audacieuse et un réseau industriel et universitaire vigoureux.

L’Europe et le Japon leur ont emboîté le pas. Et la course à l’IA a pris un nouveau virage au début des années 2000 avec l’essor du web et des nouvelles technologies digitales. Cette accélération a été stimulée par l’arrivée de nouveaux acteurs tels que la Corée du Sud, Israël et la Russie, soutenus par des plans stratégiques nationaux. Mais sans jamais vraiment réussir à allouer des ressources financières et politiques comparables à celles des USA. L’Europe, par exemple, sous la bannière Union européenne, n’est pas une Europe fédérale, mais une agrégation d’États qui doivent se mettre d’accord avant de bouger leurs pions sur l’échiquier. Dès lors ces États pourraient peiner à rivaliser avec des puissances-états comme les USA ou la Chine.

Un match États-Unis vs Chine ?

Pour bien comprendre ces enjeux, il faut revenir sur l’imbrication entre intelligence artificielle, géopolitique et intérêts militaires. L’IA est un outil crucial pour les militaires à plusieurs titres : détection de la menace, appréciation de la situation, aide à la décision, autonomie des systèmes d’armes… Elle sert aussi bien pour analyser les failles de sécurité sur les systèmes d’Information que pour reconnaître des caractéristiques sur des images satellitaires. Voilà pour le volet défensif, mais l’IA joue aussi un rôle important sur le volet offensif : désinformation, cyberattaques intelligentes, armes létales autonomes ou semi-autonomes, empoisonnement des données à des fins stratégiques…

C’est dans ce contexte que depuis 2017, la Chine ambitionne de devenir leader mondial dans le domaine des technologies de l’information. Aujourd’hui, la Chine et les États-Unis sont ainsi en tête du peloton de l’IA. Les entreprises chinoises font preuve d’ingéniosité pour contourner les sanctions américaines, notamment celles concernant les puces A100 de Nvidia, essentielles pour le développement de l’IA. Le but est clair : freiner les entreprises chinoises à tout prix.

La Chine voit l’IA comme une arme asymétrique pour défier la puissance économique et militaire des États-Unis. Elle s’appuie sur un pouvoir fortement centralisé pour orienter l’économie et la recherche afin de mettre en œuvre les orientations stratégiques du pays. Les Américains se reposent, eux, sur les MAAMA (Meta, Alphabet, Amazon, Microsoft et Apple) pour compenser le manque relatif d’investissements publics, la Chine compte sur les BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent et Xiaomi) pour rester à la pointe du développement de l’IA. Les entreprises et les stratégies des états jouent désormais de concert sur une carte à la fois géoéconomique et géopolitique.

L’Europe, parent pauvre de l’IA

Alors qu’en est-il de l’Europe ? Comment peut-elle garder le rythme ? L’Europe cherche à se joindre à la course mondiale à l’IA, une vision soutenue par la France. Face aux tensions sino-américaines sur les nouvelles technologies, de nombreux pays européens ont pris conscience de l’importance vitale de s’unir et de coopérer pour avancer ensemble dans le domaine de l’intelligence artificielle. Mais avec… les USA ! Une coalition, lancée en 2016 et justement dirigée par les États-Unis (via ses MAAMA), vise en effet à faciliter un échange ouvert d’idées et de connaissances entre les pays et les organisations, avec une emphase sur les aspects éthiques de l’IA.

Cette collaboration se matérialise par plusieurs projets concrets, dont le Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle (PMIA). C’est une initiative collaborative visant à rapprocher la théorie et la pratique de l’IA en soutenant la recherche avancée et les projets concrets dans le domaine. Le PMIA regroupe des experts de divers secteurs, tels que la science, l’industrie, la société civile, les gouvernements, les organisations internationales et le milieu universitaire, pour encourager la coopération internationale.

Et au-delà de la dimension géopolitique, être absent du marché de l’IA revient aussi à laisser la manne financière aux deux grandes puissances. Car les applications de l’IA touchent de très nombreux domaines qui sont autant de marchés lucratifs, aussi bien dans le médical (détection de maladies) que militaire. Sur ce plan, l’Europe a choisi d’axer ses efforts sur la réglementation. Une position qui pourrait lui coûter cher. La souveraineté numérique pourrait être son talon d’Achille, faisant d’elle le parent pauvre de l’IA.

Le spectre de la « singularité » technologique

Un point cependant peut lui sauver la mise. Au-delà de la géopolitique et de l’économie, plus d’un millier de chercheurs en IA ont exprimé leurs inquiétudes « d’une course sans entraves vers une IA de plus en plus autonome ». En d’autres termes, ils jouent la carte de l’approche de la « Singularité », moment où les IA deviennent réellement intelligentes. Selon eux, une telle course pourrait potentiellement conduire à des catastrophes, à moins que les efforts de contrôle de la technologie ne soient intensifiés.

Avec des investissements massifs, l’Europe pourrait alors devenir le garant des principes éthiques de l’IA, luttant pour que cette technologie soit utilisée de manière responsable, en évitant que la course à l’IA ne devienne incontrôlable et se retourne contre son géniteur.

La révolution IA ne fait donc que commencer, et l’Europe, même si elle semble prendre du retard par rapport à d’autres acteurs mondiaux, a encore l’opportunité de jouer un rôle significatif en adoptant une approche centrée sur les aspects éthiques de l’IA. Le défi consiste à équilibrer la nécessité d’innover et de progresser technologiquement tout en respectant les principes fondamentaux de l’humanité.

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