Près d’une entreprise sur deux a déjà réduit ses effectifs sous l’effet de l’intelligence artificielle, selon une étude internationale de LHH. Un basculement discret mais profond, qui révèle un décalage majeur entre les stratégies des entreprises et la perception des salariés.
L’intelligence artificielle recompose déjà les effectifs dans de nombreux secteurs. Selon une étude menée par LHH auprès de 2 000 dirigeants dans 13 pays, près de la moitié, soit 46 %, affirment avoir réduit leurs effectifs à cause de l’intelligence artificielle et 54 % prévoient de le faire dans les cinq années à venir. Si l’IA est souvent présentée comme une promesse d’efficacité, derrière se dessine donc une vraie réorganisation des effectifs et une automatisation accélérée des fonctions administratives, comptables et marketing, selon le Future of Jobs Report 2025 du Forum économique mondial.
Les chiffres recueillis par LHH traduisent une accélération nette de la réorganisation du travail, souvent opérée discrètement. Les entreprises réajustent leurs modèles opérationnels à mesure que l’IA prend en charge des tâches jusqu’alors humaines. Ce phénomène, amorcé dans les secteurs les plus technologiques, s’étend désormais bien au-delà de la sphère du numérique notamment dans les services juridiques, la logistique et les fonctions support.
Une réalité différente pour les salariés et les dirigeants
Les entreprises agissent, mais les salariés, eux, n’en mesurent pas toujours l’ampleur. Seuls 12,4 % des personnes licenciées suivies par LHH identifient l’IA comme cause de leur perte d’emploi, un contraste saisissant avec la stratégie affichée par les dirigeants. Ce décalage s’explique notamment par la nature des transformations en cours puisque, dans de nombreux cas, l’IA ne « remplace » pas directement un poste mais modifie la structure des équipes, réduit les besoins en main-d’œuvre ou déplace les compétences requises.
Ces mécanismes restent souvent invisibles pour les salariés jusqu’au licenciement. Certains secteurs sont toutefois plus conscients que d’autres. Les travailleurs de la tech, de l’assurance et de la banque sont parmi les premiers à percevoir cette évolution, tandis que dans des domaines plus éloignés de la numérisation, comme l’énergie, l’agriculture ou l’industrie lourde, l’impact de l’IA demeure encore abstrait.
Une récente enquête de l’OCDE (septembre 2025) estime que 27 % des emplois européens présentent un risque élevé d’automatisation, mais que seuls 8 % des travailleurs estiment leur propre poste menacé à court terme, illustrant ce même biais de perception.
Des transitions professionnelles plus longues et plus incertaines
Les effets de l’IA sur les trajectoires professionnelles sont tangibles. Les personnes licenciées en raison de l’IA retrouvent moins vite un emploi que les autres : 36,9 % d’entre elles parviennent à se repositionner en trois mois, contre 46,2 % pour les licenciés hors IA. Elles sont également deux fois plus nombreuses à traverser une période de transition supérieure à un an. Ce temps d’ajustement reflète une réalité simple : ces salariés doivent non seulement trouver un nouveau poste, mais souvent se réinventer professionnellement. L’étude de LHH montre que 58 % des candidats concernés ont changé de métier pour rebondir.
« Trop souvent, les personnes concernées cherchent à réintégrer des postes similaires à ceux qu’elles occupaient auparavant, sans mesurer l’ampleur de la transformation désormais nécessaire », souligne auprès des Échos Izabella Khazagerova, vice-présidente en charge des transitions de carrière chez LHH.
Cette dynamique d’identité professionnelle à reconstruire marque une rupture avec les cycles de reconversion classiques.
La réinvention : une compétence stratégique ?
Face à cette vague discrète mais concrète, les salariés comme les entreprises doivent repenser leur approche de l’emploi. D’un côté, plus de 70 % des personnes en transition déclarent apprendre à maîtriser l’IA pour s’adapter. De l’autre, seules 10 % bénéficient de dispositifs de formation mis en place par leur employeur. Cette asymétrie pose la question de la responsabilité collective dans la transition, car si les suppressions d’emploi sont inévitables dans certains cas, la capacité à offrir des parcours de reconversion devient un enjeu économique autant que social.
Pour les entreprises, l’IA n’est plus seulement un levier de productivité mais bien un test de leur stratégie RH et de leur capacité à transformer leur capital humain. Le groupe Adecco, maison mère de LHH, a ainsi annoncé le lancement d’un programme international de “reskilling” visant à accompagner 5 millions de salariés d’ici 2030.
L’IA ne signe pas la fin de l’emploi, mais elle accélère sa transformation en profondeur. Derrière les chiffres dévoilés par LHH se joue une réorganisation structurelle du travail. Les gagnants de cette transition seront ceux qui auront anticipé : ceux qui investissent dans les compétences, les dispositifs d’accompagnement et la mobilité plutôt que de subir l’envolée technologique.
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