Dans un contexte où les nouvelles technologies sont omniprésentes, dans nos smartphones, nos voitures, les pacemakers de nos grands-mères, ou nos systèmes de défense, une question de souveraineté fondamentale se pose : sommes-nous prêts à dépendre de l’étranger pour nous procurer des produits indispensables à notre quotidien, à notre santé ou à notre sécurité ? À ce titre, le secteur des semi-conducteurs révèle une bascule stratégique.
Une contribution de Gilles Cavallucci, EMS BU Manager, Atraltech
Le Covid, révélateur brutal
La souveraineté industrielle ne peut s’envisager sans s’adosser à la souveraineté technologique. En effet, du chauffage aux GPS embarqués, en passant par les objets de santé connectée ou les voitures, les semi-conducteurs irriguent aujourd’hui tous les objets du quotidien. Être dépendant de l’extérieur pour ces briques technologiques, c’est rendre vulnérable l’ensemble de notre tissu économique et de notre système de santé. Il y a quelques années encore, l’idée de réindustrialiser la France paraissait lointaine, presque nostalgique. La réponse était souvent la même : trop coûteux, trop lent et trop tard. Mais depuis le Covid, tout a changé.
Des actes enfin
La pandémie, en particulier la crise des composants qu’elle a provoquée, a mis en évidence une forte dépendance industrielle, synonyme de vulnérabilité. Les chaînes d’approvisionnement se grippant progressivement, les entreprises se sont retrouvées démunies. Pas de composants, pas de production et aucune marge de manœuvre. L’idée de relocaliser, jusque-là cantonnée aux discours politiques et aux tribunes d’intention, est soudain devenue aussi concrète qu’urgente. Pour la première fois, les discours ont laissé place aux actes. Désormais, les entreprises mettent en place des stratégies de double sourcing : elles conservent un pied en Asie, mais établissent des relais de production en France ou en Europe. Certaines rapatrient même des lignes de production entières. Ce n’est pas un mouvement de masse, mais un mouvement structurant, qui redéfinit les priorités : sécurité d’approvisionnement, réactivité et robustesse.
Le projet Crolles : une vitrine européenne
Et le revirement est tangible. L’illustration concrète de ce virage se trouve à Crolles, en Isère. En partenariat avec GlobalFoundries, le site de STMicroelectronics accueillera d’ici 2028 une nouvelle méga-usine de semi-conducteurs dans le cadre d’un investissement de 7,5 milliards d’euros, dont 2,9 milliards d’aides publiques via France 2030 et le Chips Act européen. À la clé : 1000 emplois directs et la structuration d’un pôle technologique stratégique (1). Rentabilité et made in France oblige, cette dynamique de relocalisation concerne principalement des productions B2B à haute valeur ajoutée : électronique embarquée, armement, domotique, équipement médical.
Une relocalisation ciblée, mais partielle
L’électronique grand public, elle, reste durablement asiatique, pour des raisons de coût, de process, mais aussi de savoir-faire : seuls Taïwan ou la Chine savent encore produire en volume et en qualité les galettes de silicium indispensable à cette industrie. Cette situation montre bien que des choix stratégiques sont indispensables. Réindustrialiser tout, partout, n’est ni réaliste ni souhaitable. En revanche, identifier les nœuds critiques (défense, énergie, santé, infrastructures numériques) et les relocaliser partiellement est devenu un impératif. Pour cela, la France dispose d’atouts structurels : écoles d’ingénieurs, tissu de sous traitants compétents, marché européen structuré, et un État prêt à soutenir les projets d’envergure.
Le retour de l’écosystème
La réussite de ce mouvement tient aussi au fait que l’écosystème, bien que fragilisé, était encore là. Il n’a jamais totalement disparu. Des petites unités de production, parfois artisanales mais flexibles, ont pu être réactivées rapidement. Il n’a pas été nécessaire de reconstruire une filière en partant de zéro. Cette résilience discrète, souvent invisible aux yeux du grand public, a permis d’amortir la relocalisation. Cependant, tout n’est pas gagné. Le secteur fait face à une pénurie de compétences : ingénieurs en méthodes, en tests, en programmation ou maintenance. Si les écoles d’ingénieurs assurent une formation d’excellence, le manque d’effectifs est réel. Et la compétition intra-européenne, avec des pays à bas coûts salariaux comme la Pologne, complique l’équation.
Une dynamique à confirmer
En 2023, la France est devenue la première destination européenne pour les projets industriels étrangers selon Business France. Et malgré les incertitudes économiques, plus de 300 usines ont été implantées depuis 2021 (2). Après cinq années de forte croissance post-Covid, l’année 2025 marque un coup d’arrêt conjoncturel. Un trou d’air qui pourrait n’être qu’un ajustement temporaire mais qui souligne l’importance de penser la réindustrialisation comme un cycle long, résilient, et non comme une simple réaction à la crise. Une dynamique est là. Elle mérite d’être prolongée.
Le semi-conducteur est un cas d’école. Il montre que les nouvelles dépendances, numériques, logistiques, énergétiques, redéfinissent la notion même de souveraineté. Il montre aussi qu’un secteur peut redémarrer si l’écosystème est encore là, même en veille. Mais cette base technique, aussi solide soit-elle, ne suffira pas sans une volonté politique constante, des financements pérennes, et une vision à dix ou vingt ans.
Sources :
1. France 2030 – Investissements dans les semi-conducteurs
2. Baromètre 2024 de la réindustrialisation
3. Business France – Bilan 2023 de l’attractivité
1. France 2030 – Investissements dans les semi-conducteurs
2. Baromètre 2024 de la réindustrialisation
3. Business France – Bilan 2023 de l’attractivité
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