C’est la rentrée. Les cartables se remplissent, les salles de classe reprennent vie et un nouvel élève, pas tout à fait comme les autres, s’installe de plus en plus ostensiblement au fond de la classe : ChatGPT. L’Intelligence Artificielle ne se contente plus d’être l’alliée ou l’ennemie des élèves ; elle séduit désormais certains enseignants, tentés de l’utiliser pour corriger ou concevoir leurs cours.
Une contribution de David Benguigui, vice-président du CMIT.
Faut-il y voir une dérive ou une adaptation logique ? Dans un monde où les rôles s’inversent et où le savoir est à portée de clic, cette tribune interroge notre rapport à la transmission, à l’évaluation et à la place de l’humain dans un système éducatif en pleine mutation.
Je corrige, donc je suis (ou pas)
Jusqu’ici, on regardait les élèves du coin de l’œil, soupçonnés de confier leurs devoirs à ChatGPT. Les efforts se limitaient à trouver des parades pour traquer les « tricheurs ». Mais voilà que le script se retourne : de plus en plus d’enseignants s’en remettent eux aussi à l’IA pour corriger des copies, concevoir leurs cours ou générer des fiches pédagogiques. On trouve même aujourd’hui en ligne des tutoriels à destination du corps enseignant.
Faut-il s’en indigner ? Pas forcément. Ce n’est ni paresse, ni trahison. C’est un glissement. Un changement de posture. Un signe, surtout : le sachant d’hier est désormais plongé dans l’incertitude d’aujourd’hui.
Michel Serres l’avait pressenti dans son essai Petite Poucette : le savoir n’est plus détenu par une seule personne devant un tableau noir, mais par chacun dans sa poche. L’enseignant ne dispense plus un savoir vertical, il accompagne dans un monde saturé d’informations et d’algorithmes.
L’IA, en accélérant ce phénomène, transforme le rapport au savoir. Le professeur n’est plus au sommet de la pyramide cognitive. Il navigue avec ses élèves, parfois en eaux troubles, parfois avec les mêmes outils, souvent avec les mêmes doutes. De sachant, il devient apprenant avec différents objectifs : éviter une nouvelle forme d’illectronisme, maîtriser le cadre juridique, comprendre les limites de ces outils et, in fine, former ses élèves à les utiliser avec une intelligence qui n’a rien d’artificielle.
Du bon usage des robots (en salle des profs)
Cette transformation amène son lot d’enjeux cruciaux. Si tout peut être généré, comment évaluer de manière juste ? Si l’enseignant utilise lui aussi une IA, comment ne pas décrédibiliser le cadre de l’apprentissage et éviter que les cours perdent toute singularité ? Enfin, si élève, algorithme et professeur dialoguent à trois voix, comment éviter la cacophonie et déterminer qui pilote la pédagogie ?
Sans cadre, ni repères ni régulation, le risque est réel : de l’école républicaine à l’école du Far West cognitif, il n’y a qu’un clic.
Il ne s’agit pas pour autant d’interdire et encore moins de sacraliser l’IA. Elle peut être un formidable levier pour enrichir l’enseignement, alléger certaines tâches, voire rendre des savoirs plus accessibles. Encore faut-il qu’elle soit utilisée avec discernement. L’enjeu n’est pas seulement technologique, il est éthique, pédagogique et profondément humain. Si l’IA est programmée pour répondre à tout (avec plus ou moins de fortune), elle ne lève pas encore la main en classe, elle ne détecte pas non plus une incompréhension dans un regard.
Le rôle du professeur ne disparaît donc pas. Il évolue. De transmetteur, il devient accompagnateur, médiateur, boussole dans un monde de savoirs illimités. Et ça tombe bien : face à une IA qui génère tout, l’esprit critique devient notre meilleur pare-feu.
À l’heure où tout peut être copié-collé ou généré, le vrai luxe éducatif, c’est l’humain : l’attention, le regard, le temps passé à expliquer une idée, à corriger autrement, à réconforter, à stimuler, etc.
L’école ne doit pas devenir un théâtre d’ombres où élèves comme enseignants se cachent derrière des générateurs de texte et des prompts.
Oui, l’enseignant d’aujourd’hui apprend lui aussi. Il explore, il doute, il tâtonne. Et c’est tant mieux d’autant qu’il reste un guide qui, plus que jamais, a besoin d’accompagnement.
Car si l’IA peut écrire un cours, donnera-t-elle un jour envie d’apprendre ?
À lire également : Comment les écoles européennes peuvent-elles innover dans le cadre de la loi européenne sur l’IA ?

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits