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Pour créer des géants européens, la croissance transfrontalière doit devenir la norme

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Pour créer des géants européens, la croissance transfrontalière doit devenir la norme

L’Europe possède les talents, les infrastructures et les valeurs nécessaires pour jouer un rôle de premier plan dans la technologie mondiale. Pourtant, malgré ces atouts, développer une entreprise technologique à l’échelle européenne demeure l’un des défis les plus complexes et épuisants qu’un fondateur puisse affronter.

Une contribution de Steve Osler, CEO et co-fondateur de Wildix

 

Le marché unique européen, en théorie seulement

 


L’Union européenne promeut l’idée d’un marché unique. Pour les consommateurs, cela est en grande partie vrai. Mais pour les entrepreneurs, elle demeure un patchwork de systèmes nationaux, d’interprétations incohérentes et d’incertitude réglementaire. Chaque pays applique ses propres règles fiscales, lois du travail, obligations de reporting et cadres en matière de protection de la vie privée. En conséquence, passer de l’Italie à la France, à l’Allemagne ou à tout autre pays de l’UE ne donne que rarement l’impression d’une extension du périmètre de l’entreprise. Cela ressemble plutôt à un nouveau départ à chaque fois.

 

Des législations appliquées différemment

 

Un jour, nous avons reçu deux évaluations contradictoires de TVA émanant du même bureau des impôts. L’une affirmait que nous avions trop payé. L’autre que nous n’avions pas payé assez. En demandant des éclaircissements, la réponse du fonctionnaire fut : « Cela dépend de celui qui contrôle. » Dans un autre cas, le fisc italien nous a reproché d’avoir transféré trop de revenus à l’étranger, tandis que l’autorité allemande nous accusait de ne pas en avoir transféré assez. Les deux exigeaient une rectification. En tant qu’européens, nous promulguons des règlements comme le fait une union de pays, mais nous nous développons comme un continent divisé. Il ne s’agit pas d’erreurs opérationnelles, mais d’un défaut structurel plus profond : ce continent est pensé pour le commerce et non pour la croissance.

 

Quand l’interprétation remplace la loi

 

Les entrepreneurs ne craignent pas les règles claires. Ils craignent celles qui ne le sont pas. La réponse la plus fréquente que nous avons obtenue en sollicitant des conseils auprès de plusieurs juridictions — y compris de consultants chevronnés — a été : « Cela dépend. » Cette ambiguïté accroît les risques, ralentit les décisions et oblige les fondateurs à consacrer leurs ressources à régler les problèmes de conformité plutôt qu’à s’occuper de leurs clients. Les grandes entreprises peuvent amortir les inconvénients de ces ambiguïtés grâce à leurs avocats et comptables. Pas les fondateurs de start-ups. Et dans un continent où l’échec est encore souvent vécu comme une marque d’infamie plutôt que comme une expérience valorisante, trop de start-ups renoncent tout simplement à essayer de croître.

 

Le coût stratégique de l’inaction

 

Il ne s’agit pas seulement de frictions qui handicapent les startups. Il en va du positionnement à long terme de l’Europe dans l’économie mondiale. Alors que les États-Unis accélèrent leur domination en termes de plateformes et d’investissements en IA, et que la Chine développe ses infrastructures domestiques, l’Europe risque de demeurer une voix politique sans aucune base compétitive. Cette situation n’est pas tenable. Les récentes tensions avec les États-Unis autour des taxes technologiques et des droits de douane soulignent encore davantage le danger d’une dépendance numérique. L’Europe ne peut pas se permettre de déléguer à des entreprises étrangères les systèmes qui propulsent son économie. Elle doit les construire — et les soutenir. C’est le moment pour nous de ne plus observer depuis les coulisses, mais d’agir aux côtés des États-Unis et de la Chine. Pour cela, il faut rendre la croissance possible, et non pénalisante.

 

Les politiques doivent se confronter à la réalité

 

À son crédit, la Commission européenne pose les bonnes questions. Le Digital Services Act, le Digital Markets Act et la stratégie pour la décennie numérique 2030 témoignent d’une bonne compréhension des enjeux. Mais cet encadrement ne produira aucun résultat si rien ne change au quotidien pour les startups européennes qui souhaitent croître en dehors de leur pays d’origine. Simplifier l’extension du périmètre d’une entreprise d’un pays de l’UE à un autre implique d’harmoniser les règles de base en matière de fiscalité et de travail, et de cesser d’exiger la création de structures juridiques redondantes juste pour servir des marchés voisins. Mais surtout, il est grand temps d’apporter une clarté juridique car l’Europe ne peut se prétendre souveraine si elle contraint ses meilleures entreprises à croître ailleurs pour survivre.

 

L’échelle doit devenir la norme

 

L’Europe a raison de se positionner en leader sur les questions d’éthique, de vie privée et d’équité. Mais aucun système de valeurs ne peut prospérer sans faciliter le passage à l’échelle pour ses entreprises. Nous devons cesser de traiter la croissance transfrontalière comme une prouesse exceptionnelle. Un fondateur avec un client à Milan devrait pouvoir en servir un autre à Rotterdam, Prague ou Valence sans devoir tout reconstruire à chaque fois. En Europe, l’ambition ne meurt pas dans un garage, elle meurt à la frontière. Le modèle actuel rend ce parcours inutilement difficile. Résultat prévisible : trop d’entreprises demeurent à l’état embryonnaire, d’autres délocalisent et beaucoup abandonnent.

 

La fenêtre se referme

 

Je continue à construire en Europe parce que je crois en ce qu’elle peut devenir. Je crois en ses ingénieurs, ses institutions, ses valeurs. Mais la foi ne suffit pas. Il faut montrer à la prochaine génération d’entrepreneurs qu’ils peuvent croître ici — et pas seulement démarrer ici. Sinon, nous continuerons de les perdre. Pas seulement au profit de la Silicon Valley, mais au profit du renoncement.

 

Cessons de décrire l’Europe comme l’avenir de l’innovation. Faisons de l’Europe cet avenir. Construisons enfin un système dans lequel grandir à travers l’Europe n’est plus une exception audacieuse, mais une étape de croissance évidente.

 


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