Depuis l’essor fulgurant de l’IA générative, les entreprises sont entrées dans une ère de transformation accélérée. Le secteur des ressources humaines n’échappe pas à cette dynamique : l’IA modifie en profondeur les pratiques de recrutement, de gestion des talents et d’évaluation des compétences. Elle s’invite dans tous les segments de la chaîne RH, promettant une efficacité décuplée. Mais derrière cet enthousiasme légitime, subsistent des questions de fond. Car si l’IA bouleverse les organisations, elle questionne aussi nos responsabilités et nos valeurs.
Une contribution de Benoit Labrousse, Président du groupe Randstad en France
Une promesse à double tranchant
Le potentiel est indéniable : l’IA est un levier pour répondre à la pénurie de talents qui frappe de nombreux secteurs d’activité. En automatisant certaines tâches, en élargissant le champ de recherche des recruteurs ou en facilitant l’intégration de tous les profils, elle ouvre de nouvelles perspectives. Mais ce potentiel n’est pas encore accessible à tous.
Et c’est précisément dans ce manque d’accès que se niche le principal danger : celui que l’IA amplifie les écarts existants. Ce risque se manifeste à deux niveaux critiques qui se renforcent mutuellement.
D’une part, un risque humain et social : celui de l’accès inégal aux compétences. Notre récente étude “Comprendre la pénurie de talents : IA et équité” démontre l’ampleur de ce phénomène. Certains groupes, comme les femmes et les seniors, sont encore sous-représentés dans l’acquisition des compétences liées à cette technologie. Un chiffre parmi d’autres : seuls 29% des professionnels mentionnant l’IA dans leur profil sur les réseaux sociaux sont des femmes. Une réalité qui s’explique autant par un déficit d’opportunités de formation que par des biais déjà ancrés dans le monde la tech, entretenant la pénurie de talents dans le secteur des nouvelles technologies.
D’autre part, un risque technique, niché au cœur même des algorithmes. Ces derniers sont en effet rarement neutres : ils héritent des biais présents dans les données sur lesquelles ils sont entraînés et reflètent les choix de conception de leurs développeurs. Ce risque est particulièrement sensible dans le secteur du recrutement où l’IA est utilisée pour identifier, recommander ou évaluer des talents.
Bâtir la confiance : une responsabilité à plusieurs échelles
C’est pourquoi le développement d’un cadre de confiance est impératif. L’Union européenne a franchi un cap décisif avec l’AI Act, qui classe les applications RH comme « à haut risque » et impose des exigences fortes : gouvernance renforcée des données, supervision humaine obligatoire, transparence des algorithmes. Une approche que nous soutenons pleinement, car elle pose les fondations d’un déploiement responsable de l’IA dans notre métier.
Ce cadre réglementaire, bien qu’essentiel, appelle une déclinaison concrète et une ambition éthique propre à chaque entreprise. L’introduction de l’intelligence artificielle dans les ressources humaines, un secteur où les données personnelles sont la matière première, impose à ses acteurs une exigence éthique préalable. Avant même de viser la performance, il est primordial pour toute organisation de bâtir un cadre de gouvernance solide. Ce dernier doit être fondé sur des principes intangibles : l’équité des systèmes, la transparence de leur fonctionnement et, surtout, la garantie d’une supervision humaine constante et effective. À titre d’exemple, le groupe Randstad s’est doté dès 2019 de directives globales pour guider ses pratiques en matière d’IA et assurer que ses systèmes soient conçus de manière juste et transparente. Ces fondations sont le socle de toute innovation technologique durable.
Une fois ce cadre éthique posé, sa mise en œuvre devient un projet résolument humain. Le succès de la transformation repose alors sur un investissement massif dans la formation et l’acculturation des équipes à tous les niveaux de l’entreprise. L’objectif est de permettre une appropriation de la technologie pour augmenter les capacités de chacun. Il s’agit d’utiliser l’IA pour libérer les collaborateurs des tâches répétitives afin qu’ils puissent se consacrer pleinement à ce qui fait leur valeur ajoutée unique : l’écoute, le conseil, l’empathie et la finesse du jugement. La qualité de service proposée dépend de cet équilibre entre intelligence artificielle et intelligence émotionnelle.
Cette dynamique interne, lorsqu’elle est bien menée, s’enrichit et se prolonge naturellement au-delà des murs de l’entreprise. La maturité acquise dans sa propre transformation confère en effet une nouvelle responsabilité : celle de contribuer à un écosystème plus large. Les défis de l’IA étant systémiques, la réponse se doit d’être collective. Le partage d’expertise, la contribution à des projets de recherche communs et l’élaboration de standards sectoriels apparaissent alors comme une suite logique.
Cette démarche peut prendre plusieurs formes concrètes : mener des audits sur ses propres systèmes de matching et publier des analyses sur l’atténuation des biais, participer à des consortiums européens comme le projet de recherche FINDHR visant à développer des algorithmes non discriminatoires, ou encore co-créer des guides pratiques pour la profession, à l’image de l’”AI Toolkit” de la World Employment Confederation. C’est en mutualisant ces connaissances que l’ensemble du marché pourra progresser de manière responsable et cohérente.
L’inclusion, condition sine qua non du progrès
Mais tout cela ne suffira pas si l’IA n’est accessible qu’à une minorité de talents. Former tous les professionnels aux compétences de demain, en particulier à l’IA, est la condition indispensable pour que cette technologie devienne un vecteur d’inclusion. Il ne s’agit pas uniquement de répondre aux tensions sur le marché de l’emploi : il s’agit de créer des opportunités et des passerelles afin de garantir que la transformation numérique bénéficie à toutes et tous.
L’IA n’est ni un risque à éviter, ni une solution miracle. Elle est un outil puissant, qui demande à être encadré et partagé. Le futur des ressources humaines ne dépend pas seulement des algorithmes que nous utilisons, mais de l’éthique que nous leur appliquons.
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